3. Le Dragon et ses filles
- CENDRELLA !!!
C'est un rugissement qui me réveille. Vraiment Adélie devrait économiser sa voix au lieu de me hurler dessus ainsi. J'émerge tout doucement du sommeil.
- CENDRELLA !!!
Cette fois-ci, j'entends la fine vitre vibrer tellement le cri est puissant. Je cherche à tatons le volet pour fermer la fenêtre mais je me souviens qu'elle l'a retiré des années auparavant pour qu'elle puisse me surveiller depuis le balcon de sa chambre. Tandis que son hurlement résonne encore dans mes oreilles, je soulève doucement les couvertures d'où s'échappe un nuage de poussière qui me fait éternuer.
J'ouvre un carreau pour répondre à Adélie :
- J'arrive.
Je frissonne. Vraiment, il fait super froid ici. Il va falloir que je pense à reboucher le toit un jour ou l'autre. Mais là, ce n'est pas le moment. J'époussette ma robe rapiécée qui tombe en lambeaux, enfile mes souliers troués et passe une main dans mes cheveux. Puis je jette un dernier coup d'œil à mon "chez-moi" avant de sortir en claquant la porte.
Dehors, la pluie bat la pelouse et je me couvre la tête comme je peux avec mes bras. Malheureusement, quand j'arrive à la maison, je suis trempée. J'entre à pas de loup dans la cuisine où m'attend Valérienne, un plateau dans les mains.
- Je suis à la bourre, je sais. Mais tu n'as pas envie que je m'étale dans une flaque de boue comme le mois dernier.
Cette anecdote nous fait sourir comme à chaque fois. C'était un jour où il avait particulièrement plu la nuit. Au petit matin, je me suis dêpechée d'arriver à l'heure mais alors que j'atteignais la porte, j'ai glissé sur une flaque, envoyant au passage une giclée de boue dans le bol de chocolat chaud destiné à Urielle, ma demi-sœur. Je lui est apporté et la seule remarque qu'elle a faite a été sur ma tenue.
- Bon. Ma chérie, il faut que tu dêpeches. Le Dragon va se mettre à rugir sinon.
Depuis que mes parents sont décédés, Valerienne est la seule famille qu'il me reste. Enfin, je parle affectueusement parce que légalement, j'ai une belle-mère dragon Adélie et deux pestes de demi-sœurs, Urielle et Prielle. Et aussi une vieille arrière-tante gâteuse dans le royaume voisin, je crois.
Je prends le plateau des mains de Valérienne et sors de la cuisine. Je monte les escaliers qui menent au rez-de-chaussée en faisant attention à marcher à côté du tapis pour ne pas le salir comme me l'a réclamé Madame le Dragon. Quitte à devoir enlever mes souliers.
J'entre dans la salle à manger. La longue table en bois vernie s'étale sur toute la longueur de la pièce. À un bout, trône ma belle-mère, poudrée comme un bonhomme de neige tandis que face à face, mes demi-sœurs observent la tenue de leur rivale. Il est vrai que Urielle et Prielle sont toutes les deux splendides. En fait, ce qu'on remarque chez elles, c'est surtout qu'elles sont identiques. Ce sont des vrais jumelles et ça se voit. Leurs cheveux roux retombent exactement au même endroit, leurs tâches de rousseur sont disposées de la même manière et leur tenue se complètent parfaitement.
Je dépose les œufs devant Adélie puis dépose les deux bols de lait frais devant chacune de mes demi-sœurs. Je sens le regard du Dragon me scruter mais je ne dis rien. Une fois mon travail terminé, je me place à mon poste, à côté de la porte. Et c'est là que ça fait tilt. J'ai oublié le courrier.
Je recule de quelques pas, espèrant qu'elle ne me voit pas pour que je puisse récupérer le courrier qui est au pied de la porte d'entrée.
- Où vas-tu ?
- Je vais chercher le courrier.
Autant être directe.
- Comment se fait-il que tu ne l'ai pas déjà récupéré ?
Je sais d'expérience qu'Adélie déteste les mensonges.
- J'ai oublié.
- Et bien. Qu'est-ce que tu fais encore là ? Allez !
Je me faufile rapidement au-dehors de la pièce et dévale les escaliers en faisant bien attention à l'endroit où je met les pieds. Comme d'habitude, le courrier est posé devant la porte d'entrée et je le récupère sans prendre la peine de regarder. Je remonte les marches et déboule dans la salle à manger.
- Et bien, tu en as mis du temps ! Ne reste pas plantée là ! Allez, amène donc le courrier !
Je lui tends la pile de parchemins qu'elle saisit avant d'agiter la main comme pour chasser une mouche dans ma direction. Adélie passe en revue les quelques invitations à prendre le thé avant de s'arrêter brusquement en voyant une lettre à l'encre dorée.
- Une lettre du palais, s'exclament mes demi-sœurs simultanément.
Ma belle-mère lit le carton d'invitation pour elle-même avant d'en faire part à ses filles adorées.
- Le prince organise un bal au palais. Et vous êtes toutes conviées !
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