Ne me remplace pas

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La lourde porte du manoir se referma derrière Velory. La main encore posée sur le sombre et solide bois, le maire analysait les bruits discrets qui l’entouraient : les pas discrets des employés de la mairie, des doigts agiles courant sur des claviers… Puis il y avait ce bruit plus singulier : cette respiration, cette démarche... Il savait qu’il était là.

  • Aayden…

Cette voix, gonflée en émotions, fit frémir M. Chessman. Il n’avait pas l’habitude de se faire appeler par son prénom, sauf par cette unique personne.

  • Que se passe-t-il, Driss ? demanda-t-il d’un soupir.

Aayden se retourna pour faire face à son interlocuteur. Le Petit Chaperon Rouge était sur les escaliers, une dizaine de mètres les séparaient. Il se tenait fermement à la rampe pour descendre sans tomber. C’était une épreuve particulièrement complexe avec le nombre de grammes d’alcool dans le sang qu’il avait.

  • Pourquoi…

Sa voix se perdit dans un élan de chagrin qui l'empêcha de terminer sa phrase. Les employés présents dans la pièce étaient très mal à l’aise devant cette scène. Le maire en avait bien conscience. Il se rapprocha de Driss pour que ce dernier n'ait plus à hausser le ton pour se faire entendre.

Aayden arriva à sa hauteur lorsque Driss parvint à descendre la dernière marche. Le maire n’avait aucune difficulté à voir les larmes qui montaient aux yeux de l’alcoolique. Il lui laissa donc le temps qu’il lui fallait pour articuler sa question.

  • Pourquoi un deuxième Petit Chaperon… Il n’y en a jamais eu qu’un seul par cité… Alors pourquoi un deuxième, Aayden ?
  • Driss, tenta de s’expliquer le maire…
  • Je te suffis plus ? C’est ça hein ? J’sais encore me battre ! Je… J’ai pas besoin de remplaçant ! Et… Et je peux apprendre à faire des trucs pour toi aussi ! Comme la cuisine ou… Ou…

Les sourcils de Aayden se froncèrent. Il avait du mal à comprendre où Driss voulait en venir. Ce dernier était proche de l’hyperventilation à cause de la panique qui le gagnait.

  • Vel est plus beau et plus jeune mais…
  • Ça suffit ! s’exclama alors Aayden, choqué par ses sous-entendus.

Le maire accompagna ses mots d’un geste ferme. Il attrapa Driss par le menton pour le forcer à le regarder. Il comprit cependant très vite que cela ne suffisait pas à mettre fin à la paranoïa délirante de l’alcoolique. Les mains tremblantes de Driss se levèrent vers le visage d’Aayden pour venir glisser ses doigts sur les cicatrices.

  • Je te jure… Je vais le retrouver et le tuer… Tu as pas besoin de prendre quelqu’un d’autre pour ça… Je vais le faire, je peux le faire…

L’agacement dans les yeux de M. Chessman firent couler les premières larmes sur les joues du malheureux.

  • Pitié, Aayden… Je sais que je ne te suffis plus mais…
  • Je n’ai jamais dit ça.
  • … Ne me remplace pas, poursuivit Driss.

Pour parvenir à reprendre le contrôle de cette discussion qui ne menait nulle part, le maire tira le visage de Driss vers le sien pour s’emparer des lèvres de Driss, l’instant d’un baiser possessif. A peine le lacha-t-il que Driss se jeta sur son amant pour réitérer ce moment de bonheur, Aayden l’interrompit dans son mouvement et prit enfin la parole.

  • Je ne sais pas exactement pour qui tu me prends, Driss, ni ce qui te fais croire que je ferais ce genre de choses. Ce que tu insinues est choquant, jamais je n’ai songé te remplacer par ton cadet… A ce niveau. Tu as besoin de repos mais tu es à moi et tu le resteras.

L’agacement était palpable dans sa voix. Il détestait que l’alcool mène Driss à ce genre de débordement en public. Le maire se devait de garder une certaine aura devant les membres de sa cité. Les agissements de Driss amenaient des commérages néfastes à sa réputation. Il entendait d’ailleurs quelques murmures plus loin qui n’arrangeait pas son humeur. Toutefois, sa colère se mua en surprise lorsque Driss lui arracha sa canne d’un coup de pied. Cette dernière vola jusque dans le dos d’un employé qui faillit tomber sous le choc. Dépossédé de son appui, le maire perdit l’équilibre et tomba sur Driss qui tomba à son tour. Le bruit des os du sorcier sur le marbre de l’escalier n’était vraiment pas naturel, mais n’inquiéta personne. Son pouvoir le protégeait de toute fracture potentielle.

  • Espèce de… commença Aayden, le visage encore collé sur le torse de Driss qui lui servait de matelas.
  • Je ne veux pas être à toi comme l’une de ces multiples décorations dans ce manoir ! Je veux être utile ! Je veux t’être indispensable !

Alors que le seul désir du maire était de se remettre debout pour éviter au maximum de s’afficher devant ses employés, il laissa échapper un rire nerveux. Il était temps d’en finir.

  • Bien ! Bien ! Mais tu vas d’abord aller prendre un bain pour t’éclaircir les idées ! Tu pues l’alcool.

Son amertume s’apaisa légèrement en entendant Driss laisser échapper un petit rire.

  • Puisque, visiblement, tu souhaites remplacer mon indispensable canne, veux-tu bien m’aider à regagner mon bureau ?

***

Driss prit une grande inspiration avant de glisser sous la surface de l’eau. La chaleur réconfortante du bain l’aidait à détendre son corps meurtri, marqué à jamais par de vieux hématomes et tout un panel de cicatrices. Le Petit Chaperon était si fin, presque maigre, avec une peau pâle et d’énormes poches de fatigue sous les yeux. Son esprit s’éclairait enfin. Il arrivait même à se calmer au point d’oublier tout ce qui l’entourait…

Lorsqu’il sortit la tête de l’eau pour reprendre sa respiration, son regard croisa celui d’Aayden. L’homme était debout près du bain. Il s’appuyait sur sa canne tout en tenant, de sa main libre, une grande serviette blanche. Le regard qu’il lançait à Driss fit frémir ce dernier. Le Petit Chaperon Rouge n’avait pas l’habitude d’être la proie. Désormais, son seul désir était de se faire dévorer tout cru.

  • Tu as fini ? demanda Aayden avec un demi-sourire.

Le maire sursauta lorsque, comme réponse, son amant décida de lui envoyer une vague d’eau au visage... Il fut incapable de retenir un juron.

  • Oh zut alors ! Quel maladroit fais-je ! Te voilà trempé ! Il va falloir que tu te déshabilles. Que c’est dommage...

Driss se mit à rire tandis que Aayden se contenta d’un soupir amusé. Bien que la majorité des proches de Driss ne supportait pas son côté puéril, Aayden avait toujours trouvé cela attachant. Selon lui, ça faisait partie de son charme.

Le maire tendit la serviette à son amant avant de coincer sa canne sur le rebord de la baignoire. Basculant son poids sur sa jambe intact pour rester en équilibre, il commença à déboutonner sa chemise trempée. Le corps du maire était moins marqué que celui de son amant, mais le peu qu’il avait était bien plus impressionnant. Des cicatrices venaient déchirer le bas de son ventre. Elles étaient particulièrement profondes, rappelant celles de son visage. C’étaient les risques du métier de Chaperon. Il est probable qu’un grand nombre de personnes aurait été repoussé par ces blessures de guerres, mais ce n’était pas le cas de Driss. Son regard courait le long des muscles qui se contractaient gracieusement à chaque mouvement, rappelant son passé d’homme de terrain. Il se délectait des délicats mouvements des mèches grisonnantes et rebelles qui venaient caresser ses joues légèrement creusées.

Son admiration, presque hypnotique, fut toutefois interrompue lorsque Aayden reprit sa canne pour se diriger vers la porte. Sans un mot, le maire sortit de la pièce. Le Petit Chaperon ne savait que dire face à ce silence, mais il ne pouvait contenir sa déception. Alors qu’il allait l’exprimer, il croisa le regard de Aayden juste avant qu’il ne referme la porte. Un regard lourd de sens.

Driss resta stoïque l’espace d’un instant avant de sortir du bain en précipitation. A plusieurs reprises, il faillit tomber. D’un mouvement, il essuya en vitesse son corps gringalet. Driss ne prit pas le temps de se rhabiller pour sortir de la pièce. Son corps nu n’était toutefois pas celui d’un homme classique : son entre-jambe s’apparentait plus à celle d’une femme que celle d’un homme. Il n’avait jamais ressenti de gêne particulière par rapport à cela car l’homme qu’il aimait l’acceptait ainsi.

Déboulant dans la chambre, il trouva très vite Aayden qui était simplement assis sur le lit. C’était un énorme lit à baldaquin. Il rappelait fortement l’air médiéval de par son matelas particulièrement surélevé, particularité aménagée pour soulager au maximum les douleurs du maire.

Driss repoussa ses longs cheveux encore trempés et s’approcha de son amant. Une fois face à lui, il s’agenouilla et, silencieux, il commença à lui délasser ses chaussures. Il s’y prenait avec une rare délicatesse, comportement qu’on associait difficilement à Driss ses derniers temps, tant l’alcool le rendait maladroit et bourrin. Mais cette douceur n’était pas là dans un but de séduction, simplement par respect. Il en eut un triste rappel lorsque, en retirant la chaussette de sa jambe meurtrie, il sentit tout le corps de Aayden se raidir.

  • Désolé…

Le Petit Chaperon se redressa pour jeter un regard malheureux au maire qui se contenta d’un sourire rassurant. Il prit le visage de Driss entre ses mains pour l’attirer vers lui et l’embrasser. Ce dernier retrouva rapidement sa bonne humeur. Après quelques caresses sur le torse d’Aayden, il commença à défaire sa ceinture. Son attention fut à de nombreuses reprises détournée vers les lèvres de son amant qui ne le laissait pas réaliser sa tâche en paix. Driss profitait de chaque baiser mais ceux-ci ne faisaient pourtant qu’agrandir son impatience.

Une fois la ceinture défaite, Driss aida son amant à se lever pour lui retirer son pantalon. Son regard s’arrêta un instant sur cette jambe tordue et douloureuse qui l’empêchait de tenir longtemps debout sans aide. Il y avait pourtant un tas de solutions qui aurait pu éviter une souffrance éternelle à Aayden, Driss ne comprenait toujours pas son choix. Mais ce n’était pas l’heure des débats. Les amants se laissèrent tomber dans le lit.

Driss embrassa tendrement son compagnon à mainte reprise. Leurs mains respectives prenaient le temps de caresser chaque parcelle du corps de l’être aimé. Des corps abîmés. Ils n’étaient pas vieux, pourtant la vie leur avait déjà réservé beaucoup d’épreuves compliquées. Ce moment de tendresse intime était précieux, peut-être même primordial. Le silence n’était interrompu que par le bruit délicat du matelas ou par de légers soupirs et de lourdes respirations. Ils ne firent qu’un, l’espace d’un instant, instant où tous les problèmes pouvaient être oubliés, où toutes les souffrances étaient sous le tapis.

  • Comment as-tu pu imaginer que je voulais te remplacer…

Driss était finalement venu s’allonger contre Aayden, la respiration encore emballée. Il eut un bref rire à ses mots. Le Chaperon ferma les yeux lorsque son compagnon glissa son pouce sous ses derniers pour constater l’ampleur des dégâts dus au manque de sommeil.

  • Tu ne peux plus continuer ainsi…

Le Petit Chaperon Rouge ouvrit ses yeux vairons pour regarder Aayden, son émotion était indéchiffrable.

  • Demain, tu accompagnes Velory. Ne fais rien d’imprudent d’accord ?
  • Oui, bien sûr…
  • Après ça, tu resteras ici. Tu te reposeras, et je serai là pour toi.

Un soupçon d’angoisse put se lire pendant un instant dans le regard de Driss.

  • A.. Aayden… Je ne veux pas être un poids pour toi… Je… Je…

Le maire laissa échapper un petit soupir.

  • Tu n’es pas un poids pour moi. Tu ne l’as jamais été.

Il s’interrompit le temps de déposer un baiser sur le front du mage inquiet.

  • J’ai besoin de toi, Driss. J’ai besoin de toi auprès de moi.

Des larmes commençaient à remplir les yeux de Driss. De la joie ? Du soulagement ? Difficile de savoir ce qu’il se passait exactement dans sa tête à ce moment-là.

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