J'ai souri
Pour la première fois je vis mon grand frère, Cléfer, ne rien dire simplement se murer dans un silence funèbre. Le genre à vous donner froid dans le dos, le genre à contaminer tout un clan, le nôtre. Cette terrible nouvelle fut, autant pour nous que pour nos frères, affligeante, tellement qu’il fallut attendre deux jours entiers pour qu’enfin nous pûmes en sortir. Ce fut autour d’un grand feu qu’avaient préparé les jeunes du clan qui pour l’occasion avaient abattu un arbre immense, pour marquer les funérailles de notre père à tous, mais aussi pour la passation du pouvoir.
Pour que Rondine puisse prendre la place de chef du clan. Cette passation avait un goût amer pour tous, j’aurais presque versé une larme si je n’avais pas vu que l’avenir s’annonçait plus obscur encore, mais cette fois-ci, je n’ai rien dit, mais je n’ai rien fait non plus. J’ai attendu que ma prédiction soit la plus juste pour agir, car je me sentais coupable. Coupable d’avoir été leurré par une magie dont les origines semblaient des plus sordides. Ainsi, autour du feu, nous étions, mon grand frère et moi, aux côtés de notre nouveau chef Rondine qui rompit le silence pour notre plus grand plaisir à tous.
— Mes frères, l’heure est grave, mais aujourd’hui nous allons fêter, au lieu de pester et nous verrons demain comment nous allons nous venger. En attendant, levons nos verres à ceux qui ont délivré notre Père et nos frères de l’horreur.
Tous levèrent leur godet pour nous et je me suis senti plus stupide encore, puis je jetais un coup d’œil à Cléfer qui, je crois à cet instant, devait être comme moi, gêné et admiratif de la patience et de l’amour que nous portaient nos frères et notre Chef. Plus tard dans la soirée, après avoir bien mangé et bien bu, Rondine m’avait interpelé pour se concerter avec moi et personne d’autre que moi. Je vis qu’il voulait le voir une dernière fois.
Quand nos poignets se sont relâchées, Rondine s’était effondré sur le lit de sa tente, l’esprit tourmenté par la vision passée de son père, lui qui tenait tant à le voir, ne s’en était pas remis de sitôt, allant même jusqu’à me faire promettre d’aller débusquer ceux qui tiraient les ficelles de cette magie noire. Il s’était rappelé qu’aux abords de la frontière du pays de Trihane vivait un clan de magiciens qui pourrait savoir de quelle magie il s’agissait.
Dès l’aube nous partîmes à cheval, mon grand frère et moi avec deux des plus forts guerriers du clan, Dryane et Doyantes, pour aller investiguer les terres de notre enfance, pour débusquer les nécromants qui agissaient dans l’ombre contre nous, les frères Clarens. Ainsi nous fûmes missionnés par notre Chef pour qu’enfin il puisse trouver le repos. Mais il était très loin, même à des lieux de savoir que notre futur allait être aussi sombre que les carrières de fers de la Vallée des Mines. Vallée où nous avons fait ta rencontre, Anaëlle Flores.
C’est au moment du repas des mineurs que tu as croisé le regard de Cléfer, alors que tu servais le déjeuner à un régent. Ce regard avait fait tomber son assiette de tes mains. L’homme visiblement pas d’humeur avait crié à la maladresse et c’est dans la honte que tu t’étais emmurée, ce jour béni où vous êtes tombés sous une influence, sous les grâces d’une autre puissance. Le régent homme d’autorité des Mines ne se calma pas, nous nous sommes alors arrêtés pour qu’il n’ait eu à lever un petit doigt sur Toi. Mais aussi parce que ce jour-là, Cléfer avait lui aussi lu les lignes d’un Destin, le sien.
Enfin presque, disons que depuis cet instant, il avait voué sa vie à protéger la vie, la tienne. Et c’est seul qu’il était allé hurlant au lâche, sabre levé, provoquant ainsi tous les régents des Mines. Je n’ai rien pu faire pour l’empêcher, car ce jour-là, je crois et j’en suis certain qu’il s’était battu pour autre chose. Pour Toi, pour te délivrer de cette pénitence que d’être esclave. Je n’ai jamais compté combien d’hommes mon grand frère avait vaincus. Or, cette journée, Dryane, Doyantes et moi-même avions compté combien Cléfer en avait puni sévèrement pour le cœur d’une femme.
Nombreux étaient en ces Mines à le regarder avec admiration, l’encourageant comme aucun autre, mais une seule n’avait détourné son regard de lui, mains jointes sur sa poitrine comme si inquiète elle était. Quand le quarante-septième et dernier régent tomba, tous hurlèrent à la joie, tous, sauf, une, Toi parce que tu avais peur pour tous car lourdes allaient être les représailles. Mais ce jour-là tu ne savais pas qui tu avais enchanté, qui allait être cet homme dans ta vie même si au fond de ton cœur tu le savais déjà.
Tous l’acclamèrent, mais lui te cherchait comme si la seule personne de qui il attendait cela ne vienne que de Toi. Et quand vous vous croisèrent enfin, tu lui avais souri. Ce jour-là, tu aurais pu avoir le visage recouvert de charbon que cela n’aurait rien changé. Et pour la première de ma vie, j’ai vu mon grand frère sourire aussi timidement qu’une femme. Dryane et Doyantes avaient eux aussi souri, content pour leur frère, mais aussi pour Toi, car libre tu allais être. Laissant loin derrière des années difficiles à servir dans l’ombre, alors que ton Âme, elle, est lumière.
Nous partîmes à cinq et c’est sur mon cheval que tu trouvas refuge. Parfois, je te sentais regarder au-dessus de mes épaules pour tenter de voir celui qui l'avait sauvé et à ce moment-là, j’ai souri, car tu n’y étais pas arrivée.
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