La parole
Je retournai le sablier du temps, comme l’on peut inverser le sens d’une roue pour que jamais plus elle n’avance dans son sens. C’est alors que je vis au travers du regard de ce craivien, du nom de Nimbel, que je me retrouvais face à d’autres. Leurs vêtements faits de couleur pourpre, dont les larges capuches cachaient la moitié de leur visage étaient du même rouge que leur manteau qui couvrait leur corps tout en entier.
Je remarquai que moi aussi j’avais revêtu cet habit, donc la couleur m’avait semblé être bleu nuit. Je remarquais encore à ma droite et à ma gauche que les craiviens de cette rangée étaient tous vêtus de la même couleur. Sauf ceux face à moi, dont la nuance rouge devait représenter qu’ils étaient d’un grade supérieur. Nous étions tous dans une salle dont l’obscurité était telle, que je ne puis en voir la structure et encore moins la charpente.
Seule derrière ces êtres se situait une sphère où à l’intérieur s’écoulait un énorme sablier, je compris alors qu’il avait réussi à contenir cet élément, cette force de la nature, cette toute-puissance, dans un contenant dont le verre m’avait semblé être très spécial. Quand l’un d’entre eux prit la parole :
— Mes frères, l’heure du détournement du Destin va tourner en notre faveur, nous Craiviens, Peuple élu du temps, Peuple dont la force est issue du Temps, Peuple qui reprendra ses droits face et contre tous et surtout contre toute attente, notre suprématie ! Mais pour cela, je prie de ne faire aucun bruit pour qu’ensemble nous entendions les rouages du temps s’axer en notre faveur, s’axer pour que précise en soit le nôtre, celui qui fera de nous des êtres suprêmes, celui qui fera de nous des immortels !
Je compris aussitôt la démarche de ce peuple dont les origines étaient, je crois, plus obscures encore, je dirais même, jusqu’à aller dire qu’elles étaient proches, très proches de l’origine de la vie. Mais, la vie originelle n’est plus et n’avait plus lieu d’être, mais eux possédait un savoir que je qualifierai de prohibé.
J’avais attendu le meilleur moment pour agir, pour rompre le silence, celui qui déjouera leurs plans, celui qui a fait que je suis, moi, cette Destinée sans Espoir, celui qui a fait que je suis à l’égal d’un dieu mais de la guerre. Enfin et quand le silence se fit, j’entendais, non seulement, les rouages s’enclencher, mais je vis aussi des images se représenter dans mon esprit. Mais je n’avais pas lu mon destin, ni même celui de Nimbel, mais celui de Craven, le soir où sa prédiction avait été faussée, peu avant qu’il n’ait eu vent de sa prédiction. Ce moment, je me suis mis hurler tellement fort que ce sablier en verre se brisa en mille morceaux, créant ainsi une fluctuation dans l’espace et le temps, que j’eusse à peine eu le temps d’extirper mon cœur de son âme… et l’instant d’après, je me retrouvai allongée sur un lit, dans un lieu où le luxe aurait fait rêver le plus orgueilleux des hommes. Quand une voix douce et mielleuse m’interpelait :
— Reine Destinée ? Que puis-je pour vous, maintenant qu’ouvert sont vos yeux, dont la couleur émeraude est plus précieuse encore que la pierre du même nom.
J’observai de la tête au pied cette femme dont les vêtements légers m’avaient immédiatement fait penser à une guerrière du clan des Rivertès. Femmes dont la taille était impressionnante tellement qu’à côté d’elle, je me suis sentie, un court instant, ridicule. Quand je lus dans son regard, j’avais tout suite su tout de cette femme. Elle n’était autre que la femme d’un membre du clan de Rohandes. Cet instant où j’avais pénétré son âme, je vis encore que mon bien aimé Cléfer ne l’était. Et personne d’autre ne le connaissait, non personne. Je fus pris d’une grande détresse, tellement que j’eusse dit sur un ton impérieux à cette femme :
— Mais c’est impossible ou encore, dites-moi que je rêve ?! Je veux et j’exige de ce pas que l’on me porte, les frères Clarens ou je risque, moi, Destinée de prendre chaud, très chaud !
Je vis aussitôt, cette femme dont la corpulence devait me doubler, se prosterner et me dire d’une voix tremblante :
— J-je m’en charge… R-Reine Destinée.
Je me levai et quand je m’aperçus que nue j’étais, je pris alors mon drap fait de soie et me couvris avec. Puis j’avança vers une terrasse dont la taille m’avait semblé démesurée. Un vent d’Est soufflait comme pour me confirmer qu’un nouveau règne venait de naître. Mais c’était, pour moi, bien trop beau, bien trop précieux, bien trop merveilleux et je me mis aussitôt à penser que peut-être, je m’étais fait capturer. Je me rappelai aussitôt l’illusion de Rydanio, dont le monde était merveilleux, digne d’un Eden.
Cette illusion, si tant est qu’elle en soit une, me dictait tout, sauf de partir et pourtant, partir je voulais. Mais ici c’était comme si ma volonté déclinait, comme si mon espoir mourait. Je me rappelai encore que mourant était Cléfer et ce part ma faute. Je mis mes mains contre ma poitrine et serra le drap entre mes doigts et plongea mon regard à l’horizon où se levait le Soleil. Je balayais toute ma peine de mes pensées, pour y voir ce verre très spécial de ce sablier qui, je crois, en réalité, était devenu ma seule issue. Car je n’étais point dans une illusion, mais bel et bien dans la réalité et dans cette vie ni Cléfer, ni Craven ne pouvaient être, car mourant ou pire encore morts ils étaient dans l’autre. Je me repris soudain avec une cette nouvelle réflexion, si l’un ou l’autre venait à mourir dans l’autre monde. Cela signifierait qu’ici, ils allaient peut-être naitre, quand la même voix féminine me sortit de ma pensée pour me la confirmer :
— Ma Reine, j’ai peur de ne voir aucun Clarens dans la liste de votre monde...
Cet instant était marqué par une silence dont je ne pus en sortir que la nuit tombée alors que le soleil se couchait. Je me souviens être resté toute la journée à observer l’horizon, comme si mon cœur s’y trouvait mais qu’il ne pouvait encore exister. Ainsi débutait, pour moi, une nouvelle vie ou la vie ne devait venir que de moi.
Une nuit sans Lune, une nuit à veiller, une nuit tout entière à penser à lui, à penser à eux et à comment j’allai les retrouver. Toujours debout à la même place, je chatoyai de flammes bleuâtres pour ne pas prendre trop froid. Je regardai le ciel et je vis une étoile filante dont la trainée était restée gravée un moment dans ce ciel noir de jais, clairsemé d’étoiles, dont l’une d’entre elles m’avait semblé être plus scintillante. Et le temps passa si vite que j’eusse à peine eu le temps de me souvenir de toute notre histoire. Histoire que j’avais envie de raconter à une personne de confiance. Ainsi, j’appelai cette grande femme par son prénom, Tayhra qui ne mit pas longtemps à rappliquer :
— Vous m’avez demandé, reine Destinée ?
Je l'observais d’un regard plus chaleureux et d’un ton plus humble, je lui avais proposé :
— J'aimerais vous raconter une histoire, puis-je ?
Elle se mit aussitôt à sourire, se rapprocha sans crainte et cette fois-ci, elle me répondit humblement :
— Je serai honorée de vous entendre me raconter une histoire et plus encore… permettez-moi de m’installer à même le sol, juste pour que je puisse être le plus à l’écoute possible.
À cela, je l'interrompit et lui avais demandé ceci :
— Voulez-vous, avant je vous prie de bien vouloir inviter mes plus fidèles serviteurs et vos amis, je vous prie. Car longue sera cette histoire et je ne veux en aucun cas être dérangée par vous autres, sauf si besoin nécessaire ou encore si grande question il y aura. Faites passer le mot, revenez et prenez place sur cette même terrasse et surtout, mettez-vous à l’aise. Car je crois bien qu’ici nous ne manquons de rien. Je vous attendrai, dans l’attente laissez-moi penser cette histoire et dès que prêt vous serez, dites-le-moi.
Je ressentis en cette femme, une joie que jamais je n’avais vue… et mon cœur se remis à battre comme pour la première fois. Je plongeai de nouveau mon regard au loin et je vis le Soleil se lever et éclairer plus bas mon royaume qui s’étendait à perte de vue. La vie commençait tout juste à s’animer d’une longue nuit à espérer.
J’avais attendu la moitié d’une journée avant que tous ne puissent se libérer de leur activité, car il fallait le dire et le reconnaître, un palais tel que celui-ci demandait à toutes et tous des tâches bien précises. Pour cela, je m’étais dit que je ne prendrais que quelques heures de leur temps, car un palais sans activités est un palais sans vie. Dès lors, quand tous furent présents devant moi, je leur avais fait part de ceci — je ne prendrai qu’une ou deux heures de votre temps — le reste vous en retournerez aux vôtres.
Le Soleil était au point le plus haut dans un ciel presque sans nuages. J’avais alors proposé à tous de manger à commencer par les femmes et les hommes en second. Quant aux plus jeunes, je leur avais exigé de jeuner, à chaque fois qu’ils viendraient et s’ils désiraient m’écouter. Je leur avais faire part à eux de ceci — comme vous ne savez pas faire taire votre faim — je vous impose cela, car face à moi, je ne tolérerai aucunement que l’un d’entre vous ne me coupe la parole.
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