Remords
De fait, je leur avais à tous fait se préoccuper de leur faim pour qu’ils ne s’occupent d’autres choses que de cela et pour qu’enfin, il puisse écouter leur cœur et surtout pour n’être uniquement qu’à l’écoute de mon histoire. Car cette histoire est avant tout une histoire douloureuse et violente. Et quand tous ou presque eurent terminé de manger, j’avais commencé mon histoire à commencer par ma rencontre avec celui qui m’avait sauvé d’une vie misérable, d’une vie d’esclave et en eux, j’avais projeté des images à commencer par celle-ci :
— Dans la pire des souffrances existera la plus grande des espérances, mais pour que celle-ci puisse délivrer, il ne faut jamais arrêter d’y croire.
Ainsi, c’était avec cette parole que je débutai mon histoire véritable, celle d’Anaëlle Florès, avant la mienne, celle qui fait que je suis, moi la Flamme Destinée. Mais aussi celles de mes fidèles et grands amis, sans oublier mon issue, mais cette issue sera la dernière idée à laquelle je penserai. En attendant, je conterai chaque après-midi à celles et ceux qui le voudront et ce tant qu’elle ne sera pas terminée cette histoire. Le reste du temps, j’attendrai la naissance des frères Clarens… car quelque chose me dit que sans eux, je ne pourrai repartir de ce monde et même si ce monde en paix et merveilleux. Je ne peux me permettre de laisser celui d’où je viens dans l’état où je l’avais laissé.
Cette première image avait de suite captivé leur attention et je poursuivis. À chaque parole dite, à chaque mot dit, à chaque phrase alignée, je voyais dans leur esprit se représenter mon histoire :
Tout commença alors que je n’étais qu’une simple adolescente d’à peine âgé de quinze ans. J’avais la vie simple, sans encombre, j’avais mes deux parents, une vie sans douleur, rien de plus une vie pleine d’humilité. Jusqu’au jour où mon père voulut agrandir la maison pour en faire une ferme et ainsi gagner un peu de monnaie. Tout cela parce qu’il voulait plaisir à maman et lui offrir des vêtements plus nobles. Alors, mon père se mit à travailler dur, très dur pour agrandir notre petite maison. Je me rappelle qu’elle ressemblait à une cabane de pêcheur, mais en un peu plus grand. Autant dire que mon père était ambitieux. Alors, il se mit à couper des arbres, deux beaux arbres, centenaire. Je crois qu’il lui avait fallu au moins une journée par arbre à la hache. Couper un arbre à la hache pour homme comme mon père dont le physique était faiblard était un véritable défi. J’aurai même dit un calvaire, mais avec volonté et force, il en était arrivé à bout.
Je me rappelle que maman le regardait inquiète, comme si elle regrettait sa requête. Il était vrai que les habits de maman ne ressemblaient à rien si n’était qu’à des morceaux de chiffons cousus et recousus. Et le soir après que l’arbre était tombé, alors que je jouais à chasser les papillons dans le pré qui ornait notre habitation, j’entendis maman crier et papa hurler tellement plus fort que j’avais trébuché alors que je courrai pour attraper ce papillon. Inquiète, je me suis précipitée vers notre cabane et j’avais vu maman effondrée sur le plancher et en pleurs. Ce jour-là, j’en avais tellement voulu à papa que pour la première fois de ma vie, j’avais fui. Fui loin, très loin alors que la nuit commençait à tomber, alors que le froid commençait à s’annoncer. J’avais passé un bon moment dans les bois à courir, jusqu’à ne plus entendre mon père me dire de revenir.
Je m’étais retrouvée seule dans une clairière en pleine nuit, avec rien sur le dos, simplement la vielle robe que m’avait donnée maman. Ce soir-là, je crois que j’avais trop peur pour pleurer, alors j’avais marché comme si j’avais été guidé sur ce chemin par une force mystérieuse. Celle qui allait me porter droit un vers un petit campement, dont la lumière m’avait attirée. Je sentis une odeur embaumer l’air et remplacer celle de l’humidité et celles des odeurs boisées.
J’avais faim et je me suis approché du campement où se grillait de la viande sur un feu, aux côtés d’une marmite d’où s’échappait de la vapeur. J’avais attendu un moment près du feu, pour me réchauffer et je me rappelle encore qu’en regardant rôtir cette volaille, j’avais eu de plus en plus faim. Mais une pensée m’avait fait perdre soudain l’appétit. J’étais perdue et mes parents me manquaient. J’étais dans un lieu à attendre des personnes pour qu’elles puissent m’aider à retrouver mon chemin, tellement que je m’étais endormi à la chaleur de ce feu. Je me rappelle avoir fait un rêve… un rêve très puissant, tellement que j’en suis sorti de mon corps. Dans ce rêve, j’étais toujours dans bois et je voyais toutes les sources de vies comme des lucioles.
Je marchai comme si je volais, comme si invisible j’étais. Je parcourais cette forêt, jusqu’à retrouver mon chemin. Celui qui menait chez mes parents. Je m’étais aussitôt réveillé. Mais avant de retourner dans mon corps, je vis des lumières se rapprocher du campement et j’avais lu dans ces lumières de mauvaises intentions. Je précipitai de plus en plus vite, vers mon corps pour leur en réchapper. Je n’avais pas perdu de temps à me réveiller que j’étais déjà en train de courir aussi vite que je le pouvais. Mais derrière moi, trois hommes me poursuivaient en ricanant et grognant. .
Trois hommes qui me faisaient penser à des ombres. Quand je pus enfin sortir ce bois, je reconnais la prairie dans cette nuit noire. Celle où je jouais à chasser les papillons et je me suis mis à hurler comme si ma vie en dépendait. J’appelais mon père par son prénom, Rubens, pour qu’il puisse me venir en aide. J’arrivai à peine devant chez mes parents que je vis mon père courir vers moi, comme un furieux avec sa hache en main, comme s’il savait qu’en danger j’étais, comme s’il n’attendait que cela.
Mon père aussi faible était-il n’en démordait pas face à ces trois hommes dont la taille et le nombre aurait fait déguerpir le plus vaillants des hommes, mais pas mon père, non. Lui était plus courageux que vaillant et d’autant plus quand nos vies étaient en jeu. C’était dans le noir complet que se déroulait cet affrontement, accompagné des rires sadiques de ces hommes.
Mais mon père s’était révélé être plus courageux encore quand le premier s’être effondré au sol, car il fut pris du plus grand des courages pour un homme en rage et ne le tua pas. Simplement le sonnait d’un coup de manche. Mais cela lui coûta un coup de poignard dans le dos, mais ce coup était trop faible pour le faire abandonner. Ce moment fut accompagné de son cri et il pivota d’un quart cercle et trancha de sa hache la bras de l’autre qui attendait pour agir. Ce dernier fut aussitôt pris d’un cri de douleur. je me rappelle que cette blessure l’avait soudainement réveillé et je vis une lumière s’échapper de son corps comme celles que j’avais vu lors de mon rêve.
Déterminé, mon père allait tout donner ce soir, quitte à prendre leur vie pour sauver les nôtres. L’inconnu devenu manchot avait donné le repli. Mon père recula du corps de l’homme évanoui pour que tous trois puissent s’enfuir et quand plus loin ils furent, mon père hurla :
— La prochaine fois, je serai impitoyable ! Alors, je vous prie de nous laisser en paix !
Les semaines passèrent et notre cabane s’agrandissait, jusqu’au jour où elle était devenue une ferme. Ce jour-là, je me rappelle encore qu’il partit au village de Thiel, situé dans le pays du royaume de Trihane, pour acheter deux moutons et des graines de blé avec le peu de monnaies qu’il lui restait. Arrivé aux portes du village, il croisa l’homme qu’il avait blessé cette nuit faire la manche. Lui-même savait qu’un infirme dans ce pays ne valait plus rien et était la risée de toutes et tous. Il reconnut alors cet homme qui en avait voulu à sa fille.
Il contracta sa mâchoire et l’ignora, se dirigea vers la place du marché et à son retour, il revint trois moutons pour le prix de deux, un petit sac de graines de blé et quelques denrées, dont une miche de pain. Lorsqu’il passa devant l’homme était toujours là replié sur lui-même, comme si sa vie n’était plus qu’un immense chaos que mon père avait provoqué. Il s’approcha de lui et posa à ses pieds le pain et partit sans dire mot. L’homme ne l’avait pas vu son geste et avant qu’il mon père ne passe les portes de Thiel, il se dirigea vers lui et l'interpella sourire aux lèvres :
— Merci mon brave ! J’espère que bon sera votre chemin.
Cette parole avait résonné comme une note parfaite et il se retourna. Tous deux restèrent dans un silence très révélateur et mon père lui proposa :
— J’ai besoin d’un bras, mais plus encore d’un homme digne de confiance.
Je crois qu’à ce moment l’inconnu avait su que c’était mon père qui lui avait rendu la vie plus dure encore et il s’était emmuré dans un silence, le même que celui que peuvent avoir ceux dont le cœur est rempli de remords.
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