Violette.
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Je pourrais chercher une autre Marie, rechoper la première demoiselle venue, n’importe quelle fille qui se promène dans les parcs en robe d’été pour tester de la main si le sexe d’un garçon généalogiquement taillé pour elle lui convient.
Mais ça ne m’intéresse plus.
Me marier, fonder une famille… J’y ai déjà passé toute une vie, même si cette vie n’a duré qu’un soir. À quoi bon me relancer dans le même mythe ? Comment est-ce qu’une deuxième Marie pourrait être la Seule et l’Unique, la première et la dernière, puisqu’elle serait déjà la deuxième d’une série de plusieurs ? Non, deux, c’est déjà deux fois trop pour un amour pur : la nouvelle relation serait constamment entachée d’une ombre. J’ai horreur des demi-mesures. Puisque le mépris de Marie m’a barré la route d’une vie absolument vertueuse, je veux en façonner une qui soit absolument vicieuse.
Je renie la voie canonique, le modèle parental et son carcan domestique. Je ne reproduirai pas le cycle, je pars en croisade contre tout ce que j’étais censé devenir ! À bas les patterns – oh oui, c’est ça, il me faut du pas-terne : j’ai soif de couleur. Basta les fées et les mères, je veux de l’éphémère, de l’inconnue au bataillon, de l’étrangère à mes goûts qui étonne et dégoûte.
Je rencontre Violette dans la cohue d’une soirée où tonnent les basses. Gorges sèches à force de danser. L’alcool nous désaltère, nous désinhibe, nous déshabille. Elle étale sur moi une nudité immédiate, gratuite, contre laquelle je ne dois signer aucun contrat matrimonial.
Violette est caméléonne, le squelette élastique et le visage versatile. Elle s’arque-boute, contorsionne des mimiques moqueuses qui désarçonnent, sait prendre des poses de fillette et de garçonne. Tantôt coquette, tantôt brutale, elle mène la danse et ne se laisse pas emprisonner dans un rôle.
Violette est comédienne, elle joue tout ce qu’elle fait. On se touche à peine, et pourtant elle joue qu’on fait l’amour, comme si je la pilonnais au dixième ciel. Elle ne simule pas, pour ça il faudrait qu’on ait commencé quoi que ce soit ; elle simule qu’elle simule. Elle n’attend pas d’initiative de ma part, se souffle elle-même la réplique, répond à ses propres questions, ne me laisse même pas l’occasion de placer un silence. Je reste assis, sans rien dire ni rien faire, spectateur du soliloque, voyeur et passif.
Je me sens comme face à un porno. J’ai suffisamment frotté du pixel pour savoir l’effet que ça fait. Excitation extérieure, superficielle, puis on enclenche les bons fétiches dans le bon ordre, court-circuit dans le sentiment de solitude et soudain le plaisir crève l’écran.
J’essaie d’envoyer des signaux à Violette, d’approuver certains jeux de jambes et mouvements de bassin, d’appuyer du regard les zones à bomber vers moi. Elle ne m’écoute pas vraiment, préfère s’exciter elle-même à se croire excitante. Je ne lui en veux pas, à sa place je ferais sans doute pareil. Je commence à connaître mes kinks, avec un peu de chance je les décrypterai dans ses déhanchements aléatoires.
Quand on a cuvé suffisamment de milliers d’heures de porno, comme la plupart des ados de mon genre, on commence à décanter les critères précis de la branlette réussie. Au début, on croit qu’on aime un type de corps, un rythme dans les va-et-viens, une position. Puis on se rappelle qu’on ne regarde pas des gens baiser, qu’on n’entend pas des voix jouir : on s’enflamme avec des petits carrés de lumière ordonnés en forme de femme et des grésillements mécaniques qui retranscrivent la fréquence de voix absentes. On se rend compte que le désir n’a plus rien à voir avec le sexe : on n’idolâtre rien de plus que des courbes géométriques, des vecteurs lumineux, des arrangements sonores.
Je peine à les retrouver chez Violette. Sa taille est sans arrondi, ses mouvements trop saccadés, et surtout il n’y a pas autour d’elle ce cadre rectangle si rassurant, que je peux ranger dans ma poche et mettre sur pause quand je suis mal à l’aise.
Elle simule un orgasme cabotin, caricatural, un que personne ne saurait donner dans le vrai monde, un qui soit à la hauteur de ce qu’elle aimerait recevoir sans doute : elle gueule, exulte, serre les dents, regueule, chante des arpèges, récite un début de prière, donne des coups de poing à l’oreiller, piaille des kiaï de karaté, et moi, piteux, je me regarde en bas du bide, demi-molle même pas décalottée, le bout qui pend l’air de dire eh bah au moins y’en a qui s’amusent en face, et pourtant… Mais non, j’y crois pas, merde, Violette est toujours en train de jouir, c’est censé durer combien de temps son cirque ? Elle se trémousse par vagues, fait le pont, fait la roue, un salto arrière, convulse comme une possédée et vomit un gros pâté de bière et de chips.
Je sais pas à qui sont les draps, je les roule en boule dans un coin de la chambre. Je sais pas non plus à qui est la chambre, si je pouvais la rouler en boule toute entière dans un coin du monde très très loin, je le ferais aussi. Je me sens comme dans un mauvais porno où on peut pas fermer la fenêtre de navigation privée à la fin.
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