Machine.

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J’ai la conscience sale. C’est ce que je voulais. Me débarrasser de la pureté et du romantisme, laver la souillure du rejet de Marie avec encore plus de honte, pour que ma crasse ne porte pas son nom. J’ai contrebalancé une fille qui avait tout pour me plaire avec une qui avait tout l’inverse. Un point partout, je me suis retapé mon karma à neuf.

J’ai tout vu tout fait tout compris, je m’autorise tout et plus rien ne m’échappe. C’est ce que j’essaie d’expliquer à Machine, en toute humilité. Oui, je l’appelle Machine. Machine, Mistinguette, Tartempionne. Elle ne m’a pas dit son prénom, et je n’ai pas réussi à lui en inventer un non plus. Et je vous mets au défi de la baptiser correctement.

Machine, comment vous dire, c’est une espèce de… elle est d’une sorte assez… enfin c’est une drôle de bête. De loin comme ça je vous dirais volontiers que c’est une fille, mais en fait, ça n’est pas si net. C’est à cause de ses cheveux, qui partent, comme ça, vous voyez, dans tous les sens, quoique non, pas exactement dans tous les sens, mais dans un sens qui n’est pas ce qui… Et puis elle a un visage qui est plutôt une gueule, ce qu’on appelle avoir une gueule, une gueule qui fait qu’on se dit à la voir “ qu’est-ce qu’elle a une gueule celle-là ”. Ses yeux, ses yeux regardent, oui, mais en même temps, peut-être qu’ils passent au travers des choses, on sait pas. Autour des doigts, elle a des genres de truc-muches qui font penser à des machins, vous voyez ? Aussi elle s’habille d’une façon, mais d’une façon différente des autres dans la mesure où elle s’habille comme tout le monde mais pas vraiment pareil. Machine, c’est… C’est Machine quoi !

Je la connais depuis, depuis un rien de temps, on est placés côte à côte dans le train, et elle n’avait encore rien dit qu’elle m’énervait déjà. Elle m’énerve, parce que jusqu’à maintenant, j’étais sûr de savoir à peu près tout dire, et elle, elle est indescriptible. J’ai beau essayer, c’est comme si face à elle, je perdais ma langue, parce qu’elle a ce truc, cette, elle me fait bégayer, alors que d’habitude, je suis si sûr de mes mots, je les crache vite fait bien fait et ça cible pile ce que j’ai voulu dire.

Elle a commencé à me parler, elle a dit, euh, oh et puis zut, même ça je ne pourrais pas vous le répéter, alors moi je lui ai répondu “ euh ouais peut-être ”, et là elle s’est foutu de ma gueule, ou du moins j’ai interprété ça comme ça, donc je me suis cordialement fâché et c’est là que j’ai commencé à lui tartiner comme quoi je suis quand même vachement expérimenté, j’ai roulé ma bosse moi avec Marie et Violette, et…

Elle me prend par la main, elle nous entraîne jusqu’aux chiottes du train, et là, disons que… elle… je… Machine me… dans le bidule… et elle y va hein… et pis le machin là… du coup ça me schtroumpfe quoi. Carrément.

Je sais pas quoi dire. Je me sens tout chose. Elle s’en va en rigolant. À moins qu’elle ait soupiré. Ou hoqueté. En tout cas elle part en faisant du bruit. Attendez, est-ce qu’elle a fait du bruit ? C’était peut-être le train. Ou ma tête. Je ne sais plus rien. Je n’ai jamais rien su.

Je n’ai connu ni Marie ni Violette, je ne les ai jamais prises en compte en tant qu’elles-mêmes. J’ai couché avec l’idée que je me faisais d’elles, avec leur prénom, tout au plus. Mais Machine, je n’en pense rien, elle ne m’inspire aucune idée, et pourtant, il s’est passé quelque chose, au niveau des corps.

Je me rends compte que le sexe n’est pas une affaire de fantasmes. C’est une pratique concrète où on s’entube la mécanique. C’est un nœud de chair qui sent la sueur et la poissonnerie. Peu importent ma jolie collection de fétiches, mes scénarios et mes points d’ancrages. L’affaire se noue sur un tout autre plan, un plan que je n’ai jamais appris à nommer. Oh, les gros mots, je les connais pourtant. Mais jusqu’ici, je les ai dits comme un enfant, pour enfreindre et blasphémer, plutôt que pour véritablement désigner ce qu’ils désignent. Je ne veux plus parler dans le vent, j’ai tout un répertoire lexical à recalibrer au réel. Je répéterai mot après mot, jusqu’à invoquer ce qu’ils évoquent. Allons, compagnons de l’obscène, il y a tant de digues à rompre !

L’interprète lance jurons et grossièretés, de plus en plus vulgaire, s’enflamme, s’ébroue, onomatopète, chante et danse à l’envi, sans craindre le bizarroïde. Il s’autorise.

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