cette fille.

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Personne ne vient me reprocher mon meurtre. Pour la maison de retraite, un cadavre de plus ou de moins… Il n’y a que moi qui n’arrive pas à revenir à la normale.

Je fais comme si de rien, tente un petit date à l’ancienne avec une fille, oh, si courtisable. Flirt, clins d’œil, je joue mon rôle en auto-pilote, la raccompagne chez elle, ôte la culotte, pénètre. À la première secousse, je me paralyse. Tout sonne faux. Lumière froide, moiteur compacte, ambiance cryogénique. Une fille en papier sur un lit en carton. Je suis mort à l’intérieur.

Le temps se détraque à nouveau, cette fille s’assèche, s’écorche, son visage s’épine d’épluchures, les yeux frelatent et ratatinent, le ventre crève et fourmille d’asticots. Je couche avec une charogne au crâne échevelé, deux orbites noires plongées dans les miennes.

Le présent m’échappe totalement, et de fait, le présent n’est rien, un curseur vide qui creuse le sillon entre le néant du passé et le gouffre du futur, une fuite en avant sans consistance propre.

Ma nuit avec Paule a piraté tous mes repères. Ou plutôt non, elle m’a révélé ce que je m’efforçais de nier depuis toujours ! Désormais, je ne vois dans la jeunesse que la promesse de la mort. C’est comme si tout ce qui n’existe pas encore n’était déjà plus. J’ai consommé l’éternité à l’avance, et je vis dans une interminable dette. Déjà vu, déjà fait, déjà déjà déjà trop tard, toujours trop tard — et même ma voix, avec laquelle je parle, ce n’est pas moi, ce n’est qu’un écho dilaté de moi ; je ne l’ai jamais vraiment entendue sortir de ma gorge, elle a le temps de se réfracter dans tous les recoins de la pièce avant de me ricocher dans le tympan. Je m’entends, je me rends compte du son que j’ai fait, mais ce n’est déjà plus qui je suis.

Je me laisse aller. Je continue de faire l’amour à cette fille, mille fois elle tombe en poussière. Je n’essaie même plus de rien agripper, les choses n’arrivent pas contre ma peau qu’elles sont parties en fumée.

Je me laisse aller. La porte claque derrière nous, c’est le copain de cette fille qui rentre de voyage plus tôt que prévu. Scène de vaudeville mais c’est pas ce que tu crois je vais tout t’expliquer. Le copain me tire hors de sa copine, m’accule dans un coin de chambre et frappe.

Je me laisse aller. Il frappe, je ne sais pas pourquoi ça me fait rire, il frappe, frappe, encore, encore, allez, vas-y, plus fort, frappe. J’ai joui – ça ne se voit peut-être pas parce que je gicle beaucoup de sang.

Cette fille ramène son copain contre elle, s’efforce de diluer son adultère dans des baisers plus légitimes. Qu’est-ce qu’elle galoche bien. Elle se presse nue contre lui, défait sa ceinture, lui rattrape les lèvres quand il veut protester. Elle le fait basculer sur le lit, il l’enfourche, tambourine, martèle, fait passer en elle ce qui lui reste de colère. Les hanches du copain s’abattent avec des petits couinements de hargne, vulnérables, presque des sanglots, tandis qu’elle lui chuchote tout bas à l’oreille. Il pleure, elle le console, et moi, dans mon coin d’enfant puni, je ris, je ris de ne plus rien sentir.

Je sors de chez cette fille.

Ma conscience est enterrée loin loin, gueule de zombie, j’erre dans les rues, je tue le temps. J’observe autour de moi : partout la vie et la mort jouent au chat et à la souris, mais je ne veux plus jouer. Vivre ou mourir, être ou ne pas être, gentil ou méchant, petit ou grand, fille ou garçon, gauche ou droite, l’un ou l’autre, toujours l’un ou l’autre… n’y a-t-il donc aucune issue ? Je voudrais un ailleurs, autre chose, vraiment autre chose, quelque chose qui sorte de la dualité, une troisième voie, de l’inhumain et de l’indicible !

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