Charlie Puisanfon, car c'est ainsi que se nommait jadis notre héros, venait de fêter ses quarante hivers lorsqu'il décida de céder son entreprise. Vingt ans à la tête d'une société de vente de chaussures, sans que sa passion pour la lecture ne s'en trouve émoussée. Pourquoi avoir effectué une transaction aussi brutale ? Avait-il réellement investi toute sa fortune dans l'acquisition de centaines de livres ? Nul ne le sut, mais la légende raconte qu'il se débarrassa rapidement de sa demeure citadine pour s'installer en campagne, où il put s'adonner pleinement à son activité favorite.

Puisanfon passait ses journées à lire des œuvres empreintes de magie. Du matin au soir, il ne jurait que par les mondes de Tolkien, les mystères de Hobbs, les sorts de Rowling, et tant d'autres précepteurs de l'imaginaire. Il dévora une telle quantité d'ouvrages qu'un jour, son cerveau s'empoisonna de telle sorte que, à la manière d'un célèbre bourgeois espagnol, il s'imagina être lui-même le héros de quelque prophétie. Ainsi naquit Estienne Grandiose, l'élu, qui partirait à l'aventure, en quête de ses origines ! Mais il ne pouvait décemment pas voyager ainsi, car s'il était commun de voir des héros parcourir le monde sans la moindre assurance pécuniaire, ni réserve de nourriture, chacun savait que tout prodige possédait au moins un artefact magique. Grandiose, qui trouvait décidément que ce nom lui allait bien, réfléchit plusieurs jours à cette épineuse question. Il lui fallait une relique léguée par son père... Non, par son aïeul ! Presque tout son héritage avait été vendu, mais en ratissant le sol de son grenier, il tomba sur une vieille montre au cadran brisé.

• L'horloge du destin.

Il ignorait son dessein, mais savait que cet objet l'aiderait à sauver la France, qu'il considérait comme "des royaumes fragmentés", voire le monde entier ! Tout bon artefact ne révèle son véritable pouvoir qu'après que le héros se soit trouvé lui-même. Le sourire aux lèvres et enorgueilli par sa formule, il s'apprêtait à partir, puis s'immobilisa, comme frappé par la foudre. Il possédait un nom et un objet magique, mais aucun sage ne l'avait prévenu des dangers à venir. Qui lui prodiguerait l'entraînement indispensable à l'acquisition de pouvoirs surnaturels ? La panique le saisit, jusqu'à ce que, par un tour de force cérébral, il se convainquît que tout cela pouvait bien attendre un peu. Après tout, Daenerys Targaryen contrôlait parfaitement ses dragons, et ce, sans le moindre échauffement. Qui pouvait dire quelles fantastiques capacités sommeillaient dans le cœur d'Estienne Grandiose ? À n'en pas douter, le vieil homme qui aurait la chance de lui enseigner son savoir, perdrait la vue, une fois exposé à la lumière de son talent.

Notre héros pensait cela et bien d'autres choses, quand il aperçut, dans l'herbe rebelle de son jardin, un caillou. Ce dernier, ordinaire à tout point de vue, se différenciait à peine des pierres adjacentes. En fait, aux yeux du commun, le caillou qui retenait l'attention de Grandiose n'aurait pas mérité que l'on s'y attarde plus d'une seconde. Bien entendu, n'étant pas de ces gens-là, l'intéressé s'y pencha de plus près, et l'admira pendant une demi-heure. Il y vit un reflet violet, preuve irréfutable de l'utilisation d'une puissante magie noire.

• Ainsi, mon ennemi mortel m'a déjà retrouvé, et pour contrevenir à la prophétie qui narre sa cinglante défaite face au plus grand des prodiges, il a ensorcelé cette pierre et maudit mon foyer. Seulement, il ne s'attendait pas à ce que mes sens aiguisés déjouent ses plans infernaux. Prends garde, Archidémon, car je me mets en route, et tes jours sont comptés !

Sur ses mots, Estienne Grandiose rangea la pierre dans sa poche, et s'élança au-devant d'inimaginables et périlleuses aventures.