Nuit et Trouillards
Et c'est ce qu'il fait. Perso, contourner l'île ne me dérange pas. Au pire, ça nous fait un rond-point de repère le temps que le jour se lève. Parce que si certains ont une vague connaissance de la région, les spéculations qui filtrent jusqu'à mes tympans sont dans un éventail tellement large qu'il faudrait être gymnaste pour concurrencer l'écart. Moi, je ne dis rien. Je la ferme et je pilote.
Les minutes se consument. Jin ne parle pas beaucoup, il me fait juste rectifier la direction quand il faut. La pluie, quant à elle, redouble de chiantisme. Au point que je ne regrette plus de n'avoir que mes pantalons à lui faire lessiver. Une pluie froide, irritante.
Les forbans, eux, s'attèlent toujours aux réparations. La coque externe a terminé son calfatage en règle, mais il reste des trous sur le pont inférieur et dans les intérieurs. Même la salle des machines a eu droit à sa visite surprise. Un seul boulet, qui a bousillé la porte, cabossé quelques pièces et ouvert une brèche dans la direction assistée. C'est ça que je me coltine un guidon aussi plaisant à manoeurvrer qu'un divan dans un colimaçon. On a couvert nos morts aussi. Deux gars, un manouvrier que j'ai recruté et un des lascars du Capitaine d'origine.
On doit être encore plus ou moins quatre-cents embarqués. Malgré la taille du bâtiment, la promiscuité révèle ses mauvais aspects. Acoster sur l'île nous permettra de soufler et de reparamétrer notre cap. Parce que je ne sais pas comment sont agencées les étoiles derrière les nuages opaques, mais je sais qu'il n'y avait pas d'île sur notre route. L'idée d'avoir dévié reste bien scellée dans ma boîte de pandore. Pas envie de penser au retard de mon retour. Ca fait quatre années que je prépare mon retour chez moi. Moi qui pensais tout boucler en quelques mois, la vie aime prendre son temps; surtout le mien.
Heureusement, je vois la bonne bouille de Gura, notre seul orc de service. C'est le bosco, le maître d'équipage à bord. En gros, il est le chef syndicaliste de l'équipage et sert de contre-pouvoir au Capitaine et à son Second. J'aime bien Gura, surtout depuis que je l'ai vu briser des gens à mains nues. Un os humain entre ses pognes, c'est comme une grosse biscotte. Les orcs sont tous assez robustes, mais lui, il a optimisé le concept.
— Alors, Capitaine, pas de coup de barre ? qu'il lâche, aussi sec qu'un gosier de soldat dans une fête sans alcool. Il est un peu brut, mais fait un effort assez comique pour bien s'exprimer comme il faut, 'stoire de tordre le cou aux clichés sur la bêtise de son espèce. Je ne l'aide pas beaucoup à tenir ses résolutions.
— Pas encore, je le réserve pour ta soeur.
— Amusant. T'as de la chance que ma soeur, ainsi que mon clan, soient loin, Capitaine. Auquel cas, tu le paierais cher. Ils n'aiment pas trop les peaux fines.
— C'est exactement ce que ton clan est en train de se dire. Mais bon, je suis sûr qu'ils ont une pensée pour toi quand ils commémorent les solides peaux vertes parties en quête d'aventure pour finir esclaves dans une mine de sel.
— Et cette vie me manque depuis que je te connais. Tu es un barbare, mais j'ai bon espoir de te civiliser. Si tu veux, à mon retour chez moi, je te trouverai un bon mari qui t'apprendra à bien la fermer.
— Gura Gura Gura... quand je te renverrai chez toi, ça sera via un traiteur.
J'aime bien Gura, c'est un des seuls à bord avec qui je peux plaisanter tranquille. Jin est trop strict, Kosh trop premier degré , Kanzi m'en veut toujours d'avoir buté son mentor. Si je taille la bavette facilement avec certains, la plupart des membres n'osent pas trop m'aborder en dehors de la forme formelle. La rançon de l'autorité figure-toi. T'as beau être cool, on te voit avant tout comme le boss. Les gens ont besoin d'avoir une pyramide sociale, même quand on ne le leur demande pas. S'ils ne te révèrrent pas, c'est qu'ils t'écrasent. Personne ne m'écrase.
C'est pas comme si j'en mangeais un de temps en temps, mais c'est être ferme suffit souvent à mettre au pas, comme si on rpéondait à un besoin qu'ils ont d'être limités. Bon, j'avoue, on a eu des fractures une ou deux fois. Quelques kilos de pression en trop par seconde, par seconde! Et le temps en mer semble bien plus long sur une seule patte. Cette précision apportée, globalement, tout se passe bien avec l'équipage. IIs ne m'aiment pas tous, mais ils me respectent. C'est tout ce que j'exige.
J'ai réucpéré les pirates de Shin, celui à qui le Zoo appartenait et y ai ajouté mes hommes, composés de soldats déserteurs, de rebelles et d'esclaves en fuite. On a mélangé le tout et ça a donné un équipage organisé, discipliné, formé aux manoeuvres de groupe par mes soins. C'est ce petit détail qui fait qu'on sillonne toujours ces eaux, parce qu'en tant que criminels des mers, on a des rencontres pour le moins hostiles. Ca, puis nos quelques membres d'élite sont gratinés comme une lasagne de dragon.
— Pour parler sérieusement, les dégâts sont superficiels aux machineries, mais le moteur a surchauffé pour semer nos invités surprise. Il faudra un arrêt complet et ôter la poussière de manalithe qui continue à brûler dans la gueule. Ca prendra une heure, peut-être deux.
— Reçu, Gura. Comment vont les hommes ?
— J'ai renvoyé au repos ceux qui avaient cumulé deux quarts et n'étaient pas à l'aise dans le noir. Les autres sont en vigilance comme si la foudre allait leur tomber dessus. L'horloge indique qu'on a encore quatre bonnes heures de nuit noire avant les premiers rayons. Je recommande de couper le moteur à l'aurore. On ignore s'il y a d'autres de ces agresseurs dans la région mais ce qu'on sait, c'est que qu'on doit pouvoir fuir au plus vite en cas de conflit.
— De nuit, en tout cas. Merci Gura.
— Et aussi, si tu as une minute...
— Dis-moi, que je fais, intrigué par son soudain souci des précautions. Il sort de sa poche un truc si petit que même en braquant sa lanterne dessus je peine à voir. Des petits débris, à peine plus gros que des pattes d'araignée.
— C'est quoi ?
— Ce qui a troué le navire, je crois. On en a retrouvé ci et à et personne ne voit ce dont il peut s'agir. J'ai attendu avant d'en parler, mais je pense que ce ne sont pas des boulets qu'ils ont tiré. C'est ça. Du moins, c'est ce qu'il reste du projectile. Je crois que ça devait faire la taille d'un haricot. Faut une sacrée technologie et une bonne dose de mana pour produire ça.
— Meh, que je contre, sceptique. Avec le merdier et l'obscurité, on a peut-être des projectiles qui se baladent encore. J'imagine mal une bande de ninjas nous fléchetter avec leurs poils de nez. Qui grillerait autant de ressources pour un navire pirates sans trésor ni sans histoire à des jours de navigations à la ronde?
— Peut-être.
Je soupire, dubitatif envers mapropre contre-expertise. La main de Gura s'apprête à se refermer quand elle se fait emporter dans l'obscurité totale. Son moignon déchiré à la base du poignet ne saigne pas encore quand on entend une série de déflagrations. Ils sont là.
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