Nuit et Trouillards

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Les tirs des pétoires font hurler l'équipage comme une nuée de chauve-souris affolées. Personne ne les a vus, pas même les elfes marins habitués aux caprices de l'obscurité. La dragée qui a emporté la main de Gura est une des seules déflagrations en hauteur. Le temps des flashs, je distingue les ombres humanoïdes découpées dans une voilerie qui pourrait être bleue, noire ou gris profond. Leur rafiot a beau faire la moitié de notre taille, il a l'avantage en embuscade. Ils ont commis une erreur tout de même. Le zig qui a raflé un morceau de mon bosco n'aurait pas dû me rater.

Je laisse l'orc à ses hurlement de colère. Pas le temps de songer garrot ou recherche de la main baladeuse, j'investis mon tour d'action à une plongée sous le bastingage aux encadrures dorées dont plusieurs bling-blingeries volètent ça et là. Si le franc-tireur voulait ma peau, je suis hors de sa portée. Dos au muret renforcé, je cherche la loupiote bleue de Jin, en vain. Le vieux n'a pas fui, pas son genre. Mais jouer la luciole lui aurait bien vite coûté la vie alors j'espère juste qu'il ne brille plus parce qu'il a pu mettre à profit un plan B. Pour Béton, de préférence. Moi, je prends la voie de la Bombe et la poudre d'escampette à la première occase.

Ils ne tirent pas au canon, ce qui ne manque pas de m'étonner. Mais je pige bien vite en entendant les râlements du métal contre les rampes qu'ils ont opté pour la tactique boatjacking. Ils ne redoutent rien, pour l'instant.

Un nouveau tir loupé pas bien loin de mon oreille me rappelle que le sniper perché m'a dédié son attention. Je dois d'abord me débarrasser de lui. Avec la dignité d'une gerboise aux paravents rentrés, je bondis de mon terrier pour attaquer le bois de la barre, partie en roue-libre depuis que je lui ai laissé les commandes. J'ai la présence d'esprit de feinter mon arrêt pour esquiver les tirs du connard qui a bien attendu patiemment que j'arrive à mon point B pour écouler ses cartouches. Par chance, il ne tire pas si bien que ça. On tangue, il fait nuit, il vise une cible mobile. Mais ce n'est pas une raison pour forcer la chance, alors je fais la roue du hamster qui a décidé de courir vers le feu d'artifices avec le volant du rafiot. Un bon coup d'épaule va les calmer. Mon pied enfonce le bouton de commande express de puissance. Deux étages plus bas, un de mes gars jette une poignée de manalithe dans la chaufferie. Ça pétarade comme un cri de dragon à qui on vient d'écraser le bout de la queue. La cheminée offre le boucan d'un canon géant à faire se demander si ce n'est pas son bouquet final. Mais le Zoo s'active et prend de la vitesse. On tourne comme un croco qui vient de capter qu'on voulait lui bander les yeux. Un choc lourd signale qu'on les a tamponnés dans la manoeuvre. Plusieurs câbles d'abordage sautent en balafrant comme il faut la barrière anti-ploufs. Au pont inférieur, des cliquetis d'acier et des cris d'octaves variés ne s'accordent que sur l'envie de se défoncer la gueule. La bataille commence et je n'en distingue que ce que les lanternes jetées au sol peuvent susurrer.

Maintenant que Gura a cessé de vociférer sa rage pour l'éteindre au sein de la mêlée, il y a un bruit distinct qui me chatouille les pavillons: celui des pas qui gravissent les marches menant à moi. J'y balance la loupiote abandonnée par le bosco pour y confirmer la venue d'un étranger, bien vissé dans un manteau noir, avec un drôle de bandeau de dodo en guise de couvre-chef. Faut pas laisser la silhouette s'évaporer à sa guise sitôt son spectre effacé. Je bondis dessus en sentant le tranchant d'une lame glisser côté inoffensif sur l'avant-bas. On tombe tous les deux, mais moi sur lui. Mon poing trouve par instinct sa glotte qui perd deux pointures quand mes phalanges les renvoient vers leur pré-adolescence. Qui que soit le connard téméraire, il s'étouffe dans son propre corps. Le temps qu'il finisse de buller dans sa salive, je chipe son bandeau que j'ai capté être une connerie manaki et vois ce qu'il voit. De l'autre côté des mirettes, ça filtre la nuit pour offrir un dégradé gris un peu trouble du combat qui a lieu sur mon bâtiment.

Je vois une dizaine de ninjas des mers semblables à mon tabouret de fortune s'amuser à titiller et découper mes gars. Certains tiennent le coup en anticipant ou se servant de leurs capacités naturelles, mais le tableau fait peine à voir quand on pense qu'il y a facilement quatre des miens pour chaque intrus. Il y en avait un bon tiers de plus à en estimer le nombre de cadavres portant mes couleurs désormais souillées du rouge organique. Gura n'en fait pas aprtie, je le vois finir et serrer une corde coupée avec les crocs autour de son moignon. Plus loin, Jinseng en plein duel contre un assaillant qui passe la moitié de son temps à lui parler comme dans une bande dessinée. Ça, ça m'intéresse.

Tout en m'approchant, je pète la nuque d'un spectre un peu trop habitué à être celui qui attaque dans le dos. J'évite mon gars qu'il affrontait, pour éviter qu'il me confonde avec le cadavre à peine retombé à ses pieds, et distingue clairement ce qui nous attaque par-delà la balustrade. C'est un petit navire, mais genre vraiment petit. Une seule voile, pas plus de quarante mecs embarqués. La bourrade lui a fait perdre la prise de vent, y a que par les quelques grapins que le parasite s'accroche. Le franc-tireur qui m'alignait a le corps grotesquement tordu dans ses cordages, une flèche plantée dans la cage thoracique. Ses appels de phare auront inspiré un des elfes à bord. Bien joué à lui. Sur le pont adverse, y a un mec encapuchonné qui me fixe peut-être, entouré de quatre autres fans de toges anti-pluie. Sur leur posture, y a écrit boss de fin. On verra ça plus tard, celui qui papote sans cesse avec mon Second est ma cible.

— L'Ordre l'exige, maître Sinjeï.

— Je ne reconnais pas la légitimité des assassins de Golrog.

— Vous pouvez plaider coupable et n'être condamné que pour hérésie. Je vous en conjure, déposez les armes.

— Je ne suis pas Capitaine, cette décision ne m'appartient pas sur ce navire. Et je n'aime pas que tu sacrifies des innocents pour me faire plier.

— Je fais ça pour vous ramener à la raison, maître! Vous m'avez formé comme un père, laissez-moi vous ramener chez nous et plus personne ne mourra. Si vous coopérez, vous aurez une chance de survivre.

Je m'arrête. Cet enjeu n'est pas le mien. Jin se bat avec un bâton contre le gosse qui sue à faire des moulinets dans tous les sens avec des matraques qui crépitent d'électricité chaque fois qu'une goutte de pluie s'écrasse dessus. Même sans lunettes à vision nocturne, le Second domine largement le combat.

— Moi, ton père ? Tu as peut-être envoyé un de mes élèves pour m'amadouer, mais jamais plus je ne lui adresserai la parole. C'est à toi que je parle, Stuardt Golrog. Cesse de massacrer mes alliés et viens me chercher toi-même. C'est le prix à payer pour me vaincre.

— Maître ? Non. Tu crois vraiment que j'ai mené cette expédition jusqu'à toi pour subir tes leçons ? Tu ne veux plus m'entendre ? Tue le petit. Penses-tu pouvoir le faire, Wu ? Payer le prix du sang de ton propre fils pour m'atteindre ?

Sinjeï cesse de danser avec le gosse. D'un coup, il lui brise le pouce entre leurs armes. Du second, les vertèbres en glissant comme l'eau sous la garde de son adversaire pour l'achever, avant même qu'il ne jappe sous l'effet de l'assaut précédent. Le petit s'effondre, mort avant même d'en donner l'impression.

— Jamais tu ne pourras me rembourser toutes les vies que tu me dois.

Il n'y a plus rien à faire. Le vieux me fixe de son œil éteint, sans rien dire. Je le laisse à son deuil et dévale les escaliers pour offrir à mon équipage de quoi répliquer.

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