Nuit et Trouillards

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En quelques cliquetis, me voilà dans la salle de jeu des ingénieurs où nulle autre âme que celles des canaris ne vit. Ils sont une cinquantaine. Les ingés, par les canaris. Eux, il servent juste à voir si l'air est vicié. Là, on parle d'êtres humains. Tous issus du commerce équitable, je suis fier de le préciser. Cueillis, recueillis un par un depuis un camp de taulards. Y en avait plein la braierie, un verger de seules pleureurs. Le temps de se baisser pour accomplir un peu de basse besogne, l'affaire était dans le sac. Et le fruit de leur récolte, c'est un paquet de grenades. J'en prends deux et les clipse à ma ceinture. Suffira de tirer un coup pour les faire sauter.

T'auras compris qu'on ne parle bien de bombinettes. Celles-ci, elles ne se contentent pas de péter. Y a un genre de liquide dedans, que quand il est exposé à l'air, il hurle sa joie. Mais plus comme le feu que comme la fille, même si dans les deux cas tu finis à sec. 'vec toutes les merdes interdites aux moins de dix-huit doigts, personne n'est autorisé à visiter les locaux en dehors des heures de taff. C'est pourquoi, je te demanderai de bien vite quitter la zone que je puisse refermer derrière-nous. Hmm, mais tu veux peut-être un descriptif. M'étais dit aussi: "lui, c'est le genre à avoir une gaule énorme quand on le fout dans un labo qui pue l'éther ou une bibliothèque qui sent l'enroule-tabac." Allez, je te dois bien ça. Mais après on se tire !

Le courant qui revient expose l'ensemble de la pièce dans une lumière homogène depuis une série de projecteurs montés en batteries. Les diffusions roses pâles et bleu métallisées se confondent pour recréer une simulation fidèle à l'éclairage naturel du jour. Si, de prime abord, tout ressemble à une joyeuse pagaille, tout est pensé et compartimenté. Les caissettes crucifiées aux murs, drapées pour la plupart, contiennent tous toutes les cornues, erlenmeyers et autres récipients du parfait petit alchimiste ou apothicaire.

De nombreuses lattes encochées d'outils de charpenterie encadrent la pièce à hauteur de taille, suffisamment hautes pour éviter la poussière tout en permettant aux nains et gnomes de se servir, sans devoir quémander l'aide des humains et elfes avec qui ils travaillent. Au centre de la pièce, un ensemble de tonneaux, coffres et bombonnes de métal en imitation bois laqué se sanglent les uns aux autres autour d'une épaisse colonne. Tout ce qui n'est pas immeuble doit être fixé. Même la machine à distillation, qui doit faire ses quelques quintaux, est plantée de vis impressionnantes au plancher, lui-même renforcé. En effet, sous le bois, une épaisse plaque d'acier alourdit le cul du navire et garantit la sécurité des mecs du dessous.

Tiens, tant qu'on est dans les étages, v'là le plan, de la cheminée à la quille. Nous commes ici (X):

Vigie

Cabine du Capitaine

Canons et salle des données

Salle des commandes et atelier (X)

Canons

Cuisine

Canons, réfectoire, salles de repos, d'entraînement

Soutes à cordes, bouffe, munitions et carburant

Les machines principales, filtres et le reste

Le niveau de l'eau est aux soutes. On est donc bien au quatrième étage et ouais, c'est plus grand que ce que tu imaginais, je sais. T'avait pas trompé quand il te disait que ça claquait, le Heros. C'est ça que subir des attaques, c'est pas trop le quotidien des lieux et encore moins par une barquette de farfadets nocturnes. C'est ça aussi qu'on n'a pas coulé en quelques tirs ajustés. Et c'est ça aussi que le moteur à mana doit charbonner comme un dingue pour bouger la structure. C'est sympa de discuter, tous les deux. On s'y remet ?

Je referme l'atelier et traverse le labyrinthe aux tuyaux désormais couleur cuivre, bien plus sympathiques maintenant qu'on y voit. Enfin, c'est toujours tamisé, par ici. Ça ne ressemblerait pas à un chemin de ronde d'alien, je suis sûr que nos couples en feraient leur lieu de romance principal. En plus, outre les ingénieurs et les techniciens, personne ne vient jamais ici. L'air brûlant qui circule partout autour, en plus de savoir qu'on fait des expériences aléatoires au bout de la pièce, dissuadent de venir crapahuter dans les couloirs sans raison valable. Petit truc perso: c'est un bon endroit pour réchauffer sa ration froide sans devoir dévaler les étages, ni réveiller les cuistots. Et picoler aussi, sans se faire gauler par le Capitaine.

À peine arrivé à l'étage supérieur, la fumée des canonnades ternit efficacement l'optimisation du champ de vision. On leur donne la lumière et ils n'en profitent même pas. Enfin, traversons en hâte, des fois que l'ennemi réplique ou que l'équipage me pose des questions chiantes. Quelques grandes foulées et tadaaaam! Me voici sur le pont, où les faisceaux offrent majesté au plus somptueux des spectacles.

La donne a changé, maintenant que mon armée voit ce qui l'attaque. Je vois du ninja criblé de flèches, sabré de toutes parts, patiner dans son sang en attendant la miséricorde d'un tir dans la tête qui ne viendra probablement pas. En une ou deux minutes, les rats noirs ont quitté le navire par la voie des cieux. En prime, nos vigies braquent les projecteurs sur la coquille de noix qui pensait nous mettre l'amas de misères. Déjà les soldats veulent laver l'affront en tirant flèches et plombs sur ce qu'il reste de nos infortunés assaillants. Et ils le font, sur ordre d'un magnifique Gura agitant son unique bras à appendices. D'autres des leurs tombent sur leur pont, c'est la débandade de partout. De partout, sauf au carré d'agneaux en peau de tigre qui ne craignent pas le loup. En l'occurrence, les chiens des carabines. J'ai pas d'explication, mais rien ne les atteint. Ils sont indemnes, malgré les bastos qui se focalisent de plus en plus sur eux. C'est Sinjeï qui ordonne un cesser le feu, assurant que ça ne servait à rien. Gura transmet pour tous les continents alentours et les dernières flèches taquent sèchement sur le bois malmené du navire malvenu. Le calme, enfin. On va pouvoir causer.

— Jin, t'as trouvé une zone où passer la muraille de 'île ?

— Il y en a une, mais le navire n'y passera jamais.

Je le regarde, un peu incrédule, comme s'il était con. Ce qui n'est pas le cas pourtant.

— Tu ne peux pas employer le pouvoir de la terre pour adapter l'ouverture ?

— Ce n'est pas l'ouverture le souci, qu'il déplore avec son flegme caractéristique. Le fond est fort bas, nous râperons. Et l'eau y est bouillante à cause des geysers. Je ne peux pas manipuler la terre immergée alors, quand bien même le navire résisterait à la chaleur et aux heurts, nous étoufferons comme dans une cocotte minute si nous devions être coincés.

— Si on reste en mer, on sautera comme sur la poêle d'un maître crêpier.

Je prends deux secondes pour réfléchir, l'œil toujours distrait sur nos oiseaux de nuit

— Bon, que je décide, retourne aux commandes et rapproche-nous, je vais gagner du temps.

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