Texte zéro

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Ca part d'un constat. Je suis morcelé.

C'est le seul terme qui, pour l'instant, me semble convenir : « morceler : diviser quelque chose en plusieurs parties ». Je suis plusieurs parties qui ne communiquent plus entre elles, qui jadis formaient un tout, une sorte d'entité constituée d'un corps, d'un esprit et de diverses émissions sonores ou odorantes constituant ma « signature », dirons-nous. Que l'on se rassure, mon odeur n'a guère changé, ma voix reste à peu près la même, mais je peux émettre des basses puissantes tout en taquinant la voix de tête, ce qui n'aide pas à contrer l'hypothèse de départ : morcelé, je suis ; divisé, fractionné, déconstruit.

Non. « Déconstruit » est connoté. Il me semble qu'il ne m'appartient pas de m'arroger ce nouveau titre de noblesse. « L'homme déconstruit » n'a rien d'un déchet psychique dont les fondations s'écroulent sur un amas de miettes, qui elles-mêmes se fragmentent en nuages de poussière grises. Et oui, pour répondre à ta question, c'est plus ou moins comme ça que je me vois.

Peut-être existe-t-il en moi, quelque part sous les couches de gravats, de débris, d'ossature défoncée, un peu de cet « homme déconstruit ». J'aime à me définir comme pro-féministe, la pensée de toute violence sexiste me révolte, me dégoûte, me foudroie d'une colère noire. Je hais Bertrand Cantat et ce que représente le prétendu dilemme de l'artiste qui commet l'impensable et qu'il faudrait séparer de son art, dilemme hypocrite qu'il incarne encore mieux que Depardieu parce qu'il y a eu meurtre et que la mort laisse des traces plus visibles qu'un viol.

Je sais aussi que je suis subjugué par les femmes, que j'ai parfois du mal à ne pas les regarder. On m'objectera peut-être qu'un regard n'est pas une main au cul, et encore moins une remarque sexiste, une insulte misogyne ou pire. Je ne crois pas qu'un regard soit totalement innocent. Je crois que si j'effraie quelqu'un, y compris sans le vouloir, de façon totalement involontaire, la responsabilité m'incombe d'avoir provoqué chez la personne effrayée un sentiment d'insécurité. En cela, je fais partie du problème et contribue à la mainmise du système patriarcal sur le corps des femmes. Je me hais pour ça.

Je n'entame pas ce texte pour vous parler de ma déconstruction ratée, inachevée, perfectible – ces termes se valent tous mais ne marchent pas la main dans la main, osons le souligner – mais pour fouiller une fois de plus et à la vue de tous, les méandres de ma caverne intérieure. Je suis la voix qui narre et c'est moi qui tiens les commandes lorsque je tape ces mots-ci à l'instant où tu ne les lis pas encore puisqu'ils ne sont pas encore sur la toile, ou dans un livre – on peut rêver. Je suis la voix qui narre et l'auteur de ce texte s'en veut parce qu'il ne pourra jamais s'exprimer dans toute l'entièreté de son être autrement que par moi, le narrateur, celui qui pioche les mots, les phrases et les périphrases dans cette tête qui ne lui appartient plus.

Je n'essaierai pas de comprendre le pourquoi. J'ai assez raconté ma vie, révélé parfois des détails très intimes – au fait, je vous avais déjà dit que je n'avais pas de prépuce ? Je veux décrire ces états intérieurs. Il y aura de l'écriture sobrement passive, descriptive, balzacienne. Chiante, oui, disons-le. Il y aura de la prose poétique. Parce que je crois que c'est une respiration, c'est la voix numéro 17 qui le dit. Je ne l'écoute pas trop, celle-là. Un peu tendance à dérailler, à glisser des adjectifs là où un point tout bête en dirait moins, ou dirait mieux. Et il y aura des surprises. Je veux dire : je me surprendrai probablement moi-même puisque je ne sais pas ce que j'écrirai.

Mes respects aux yeux qui tombent là-dessus. Mes excuses à ceux qui tomberont dedans.

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