Chapitre 1 - Sueurs froides
Il lui fallait courir. Son cœur battant si fort et ses poumons lui brûlant la poitrine la conjuraient de s'arrêter. Ignorant sa détresse physique, elle continuait d'avancer, évitant brindilles, branches, troncs et pierres gisant au sol. C'était probablement l'une des premières fois qu’elle ressentait une telle panique.
Cette chose la poursuivait. Depuis combien de temps ? Elle n’aurait su le dire. Dès qu’elle l’avait aperçue, elle avait été parcourue de frissons et transie de peur. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’elle devait fuir. Elle ne savait par où, mais ses pas la menaient toujours plus loin dans cette forêt qu’elle ne reconnaissait plus avec l’obscurité de la nuit.
Chassée. Elle était chassée comme un lapin par un renard. C’était elle la proie et chaque pas, chaque bruit de la forêt résonnait dans ses oreilles en un son glaçant. Avançant fébrilement dans les ténèbres, elle touchait de ses mains tremblantes les grosses pierres et les troncs d’arbre qui barraient sa route. Parfois, elle s’arrêtait, aux aguets, épiant et écoutant. Un froissement de feuilles constant et régulier se faisait alors entendre. Elle n’aurait su l’expliquer mais elle le savait, le monstre continuait sa lente avancée dans sa direction, probablement guidé par un flair inouï. Aucune de ses courtes pauses ne lui laissait de répit car le son approchait toujours un peu plus. Courir à l’aveuglette la ralentissait, la créature en profitait pour se rapprocher.
Durant sa course, elle traversa un cours d’eau boueux et y perdit une chaussure coincée dans la vase. Elle ne prit pas la peine de retirer l’autre. Fuir le plus loin possible, voilà tout ce qui lui importait. La forêt et la noirceur nocturne faisaient obstacle à son avancée, elle trébuchait, s’accrochait aux ronces, tâtonnait… Et le bruissement s’approchait encore…
Tout à coup, elle glissa et tomba, s’écorchant les mains et les jambes. Totalement perdue, elle se releva tant bien que mal. Là, elle remarqua que les lieux étaient subitement entourés de silence. Un silence assourdissant, hostile et pesant. Cette étrangeté soudaine l’immobilisa. Peut-être avait-elle semé cette créature ? Mais ce fébrile espoir se volatilisa aussitôt car, grâce aux frondaisons clairsemées de cet endroit qui laissaient passer les lueurs de la pleine lune, elle la vit, plantée là, à moins de deux mètres. Paralysée par la peur et épuisée, ses jambes refusèrent de lui obéir. Elle ne put que regarder ce monstre humanoïde à la peau livide et à la tunique de jute noire se rapprocher inexorablement. Ses longs bras minces lui descendaient bien en-dessous de ses genoux et ses larges mains étaient affublées de longs doigts dont les ongles touchaient presque ses chevilles. Immense, il devait atteindre les deux mètres cinquante. Son crâne chauve reluisait sous la clarté lunaire. Terrifiée, elle voulut crier mais aucun son ne sortit de sa bouche. Son regard plongea dans les yeux blancs nacrés de cette chose tout droit sortie de ses plus sombres cauchemars. Elle était perdue, c’en était fini d’elle.
Le monstre attaqua d’un geste vif. Avant même qu’elle ne s’en rende compte, son bras saignait abondamment. Encore tétanisée, elle observa avec horreur cet être sorti des enfers se lécher les griffes, s’abreuvant du sang qu’il venait de lui soutirer. Ses yeux exorbités, jusque-là blancs, prirent alors une teinte rosée qui tirait de plus en plus vers le rouge à chaque coup de langue. Elle était hypnotisée et alors qu’elle le fixait, il cessa son jeu pour la dévisager de nouveau. Cela lui redonna un regain d’énergie et ses jambes agirent pour elle, son corps n’étant plus qu’instinct, et elle reprit sa course effrénée. Le liquide vital qui s’échappait de son bras parsemait sa route de gouttelettes rubicondes offrant un chemin tout tracé à son prédateur qui reprit une lente avancée. Le bruissement de ses mouvements avait repris.
Une cinquantaine de mètres plus loin, elle s’arrêta net. Un ravin bloquait son passage. Elle était piégée. Se retournant, elle fit face à un dilemme. Le monstre était à quelques mètres – deux ou trois, tout au plus. Il léchait ses lèvres et ses dents pointues rougies par son sang. Cet entremet lui avait mis l’eau à la bouche. Tentant le tout pour le tout, elle sauta le plus loin possible, espérant atteindre l’extrémité du ravin qu’elle ne pouvait percevoir dans les ténèbres. Là était sa dernière chance.
Ses espoirs se turent quand elle comprit qu’elle était en chute libre. Il ne lui fallut que quelques secondes pour atteindre un sol dur, bien plus que celui de la forêt. Sous l’impact, l’une de ses jambes émit un affreux craquement et la douleur qui s’ensuivit était étourdissante. Et alors qu’elle tentait de se redresser, certaine que le ravin ne stopperait pas la créature, elle fut tout à coup aveuglée par une forte lumière. Dans un grand fracas, quelque chose la percuta et la fit décoller du sol. Elle retomba lourdement quelques mètres plus loin et toute lumière, toute pensée, toute peur, toute douleur la quittèrent.
Annotations
Versions