Chapitre 12: Elène Degrâce
Une dizaine de minutes après le départ de Natacha, Michael quitta à son tour leur domicile. Le jeune homme, qui était armé de son sac à dos, se rendit immédiatement à l’arrêt de bus qui se trouvait une centaine de mètres dans la direction opposée à celle que sa fiancée empruntait tous les jours pour se rendre à son travail.
Alors qu’il écoutait de la musique tout en attendant patiemment le bus en compagnie d’autres usagers, le jeune homme ne put s’empêcher de bâiller, lui rappelant ainsi la courte nuit qu’il avait eue, mais aussi la cause de cette dernière. La nuit précédente avait été une toute nouvelle expérience pour lui, une expérience qu’il n’aurait jamais cru possible. Cela avait été la première fois depuis qu’ils étaient ensemble que Michael observait un tel comportement chez sa bien-aimée. Ce n’était pas la première fois qu’elle faisait un cauchemar et ce ne serait sans doute pas la dernière, mais c’était la première fois qu’il voyait une telle terreur dans ses yeux.
Tout cela lui fit se demander ce qui se passait réellement à son lieu de travail. Certes, Natacha avait désormais plus de responsabilités, mais Michael doutait que cela ait été la cause du cauchemar qu’elle avait fait.
- Elle a fini enchaînée à son bureau.
- Pardon ? rétorqua une vieille dame qui avait entendu ce qu’il venait de dire.
- Ne faites pas attention à moi, répondit-il.
D’après ce que Natacha lui avait dit, elle semblait avoir peur de finir esclave de son travail. De ce fait, pourquoi voulait-elle obtenir cette promotion si son inconscient était aussi effrayé par l’idée de finir enchaînée à son travail ? Après une minute de réflexion, la réponse fut claire comme de l’eau de roche. Si sa fiancée continuait sur cette voie, c’était tout simplement parce qu’elle était quelqu’un de très obstiné qui ne pouvait pas accepter l’échec. Mais surtout, elle ne pouvait pas accepter que sa collègue soit mieux rémunérée qu’elle. Orzak s’inquiétait cependant pour Barnes. Il connaissait son caractère et craignait donc qu’elle n’aille trop loin dans sa quête de réussite.
- Elle saura sans doute quand s’arrêter. Du moins, je l’espère, pensa-t-il.
À ce moment, le bus qu’ils attendaient tous pointa enfin le bout de son nez, permettant ainsi à tout le monde de se rendre là où chacun était attendu.
*
Une quarantaine de minutes et plusieurs arrêts de bus plus tard, Michael arriva devant un bâtiment de cinq étages sur lequel « Plano Photo Shouting » était inscrit en grands caractères. C’était à l’intérieur de cet édifice que le jeune homme assouvissait sa passion pour la photographie chaque jour de la semaine. De plus, chaque fois qu’il voyait cet immeuble, il ne pouvait s’empêcher de rêver du jour où il aurait sa propre agence de photographie. Ce n’était cependant pas un rêve immédiatement réalisable, Orzak ayant encore un long chemin à parcourir.
Le jeune homme pénétra dans le bâtiment et se rendit immédiatement vers le seul et unique ascenseur qu’il comportait. Néanmoins, au moment où les portes de celui-ci s’ouvrirent, il fut immédiatement accueilli par Jessica, une brunette ayant à peu près la même taille que Natacha, mais n’étant en aucun cas inférieure à elle en termes de charme.
- Michael, enfin te voilà, s’exclama-t-elle en le voyant.
- Bonjour, Jessica. Comment vas-tu en cette magnifique journée ? Oui, moi aussi je me porte bien. Merci de demander, répondit-il en rentrant dans l’ascenseur.
- Tu es en retard.
Michael jeta un coup d’oeil à sa montre uniquement pour se rendre compte qu’il n’était en retard que d’une minute, ce qui selon lui n’était pas un problème en soi.
- D’une minute seulement.
- C’est déjà une minute de trop.
- Je vois que tu es toujours autant stressée. Je te l’ai déjà dit, Jessica. Tout va très bien se passer, les autres et moi allons nous occuper de tout. C’est pour ça que tu nous as engagés.
- Je sais. Je sais. Mais je peux pas arrêter d’y penser. Et si on se ratait ? Et si elle décidait de se rétracter et de ne plus signer avec nous ? On ne peut pas laisser une telle opportunité nous échapper, Michael.
Le jeune homme lui dit une fois de plus qu’elle n’avait pas à s’en faire à propos de ce qui allait se produire et que ses collègues et lui allaient se charger de mettre en évidence la bonne réputation de son studio.
- Occupe-toi juste de faire ce que tu sais faire de mieux, à savoir gérer ce bâtiment et tout son personnel.
- Merci, Michael. Merci de me remonter le moral.
- De rien. Les amis sont faits pour ça. En plus, c’est plutôt moi qui devrais stresser en ce moment. Je suis celui qui va être derrière l’appareil à prendre des photos. Mon travail doit donc être plus qu’impeccable, poursuivit-il.
Alors que l’ascenseur venait tout juste d’arriver au quatrième étage de l’édifice, Michael fut le seul à sortir de celui-ci. Voyant que son amie et employeur restait toujours à l’intérieur, il lui demanda ce qu’elle faisait et pourquoi elle ne le suivait pas.
- Je redescends pour accueillir mademoiselle Degrâce. Profites-en pour te préparer, répondit-elle.
- OK, boss.
Les portes de l’ascenseur désormais fermées, le jeune homme se rendit sur le plateau où ses séances photo avaient l’habitude de se dérouler. Il profita également de l’occasion pour saluer bon nombre de ses collègues avant de s’installer dans un coin et de sortir son matériel de son sac à dos. Tout était présent, son appareil photo ainsi que tous ses objectifs. Il ne lui restait plus qu’à assembler le tout et à attendre l’arrivée de leur invitée de marque.
Peu de temps après, un des collègues d’Orzak vint soudainement le voir, le traitant par la même occasion de petit chanceux.
- Ça n’a rien à voir avec la chance, Garrett. Tout est une question de travail et de talent, rétorqua-t-il sur un ton ennuyé.
- Tiens, c’est drôle que tu parles de talent, parce qu’aux dernières nouvelles, je suis un meilleur photographe que toi.
- Si ça te permet de mieux dormir la nuit, libre à toi de penser cela. Je ne vais pas me fatiguer à débattre avec toi sur un sujet aussi farfelu et inintéressant que ça, dit Michael pendant qu’il assemblait son matériel.
Énervé par ce que venait de dire Orzak, Garrett lui dit que c’était uniquement parce qu’il était ami avec leur patronne que cette opportunité lui avait été donnée, ce que tout le monde au studio savait.
- Et tu vois, Garrett, c’est exactement à cause de ça que tu rates ces fameuses opportunités. Tu es trop focalisé sur les autres au lieu d’améliorer tes compétences. Tu ferais mieux de te concentrer sur ça si tu veux avancer dans ce game. Maintenant, si tu veux bien m’excuser, j’ai un shout à préparer.
Le fiancé de Natacha, qui avait fini ses préparatifs, attrapa ses affaires et changea de spot, cognant au passage son épaule contre celle de Garrett. Ce dernier voulut alors se venger, mais l’arrivée soudaine de Jessica au studio lui fit changer d’avis.
- La prochaine fois, tu ne seras pas aussi chanceux, Orzak, pensa-t-il en le voyant s’éloigner.
Quelques minutes auparavant
Alors qu’elle venait tout juste d’arriver au rez-de-chaussée, Jessica aperçut une voiture de luxe blanche se garer devant son bâtiment. Elle se dirigea vers cette dernière, ayant une idée de qui ça pouvait être. Deux hommes sortirent alors du véhicule suivi par une très belle, grande, et élégante jeune femme aux cheveux bruns. C’était là la personne que Jessica attendait, la personne qui allait amener son humble studio de photographie à des hauteurs jamais atteintes.
- Bonjour. Je suppose que vous devez être mademoiselle Degrâce, rétorqua-t-elle en se dirigeant vers elle, main tendue.
La jeune femme n’eut malheureusement pas l’opportunité de s’approcher d’elle, un homme d’une stature très imposante me mettant entre elle et la demoiselle.
- Tout va bien, Roger. Je ne pense pas qu’elle me veuille du mal, n’est-ce pas mademoiselle ? répondit-elle en poussant légèrement son garde du corps.
- Non. Bien sûr que non, mademoiselle Degrâce.
- Mais où sont passées mes bonnes manières. Elène Degrâce, enchantée de faire votre rencontre. Je suppose que vous êtes Jessica Plano, la propriétaire de ce studio photo ? déclara-t-elle en saluant cette fois-ci Jessica.
- C’est cela en effet. Jessica Plano, propriétaire de Plano Photo Shouting. C’est un véritable honneur de vous avoir parmi nous.
- Tout le plaisir est pour moi.
Jessica invita la très charmante Elène Degrâce et les deux hommes à les suivre, et tout le quatuor prit la direction du quatrième étage du bâtiment. Sur le trajet, le plus vieux et le moins imposant des deux hommes demanda s’ils avaient reçu la garde-robe qui leur avait été envoyée.
- Oui. Nous l’avons reçue avant-hier. Nous avons également mis à votre disposition une pièce dans laquelle vous pourrez vous changer à l’abri des regards indiscrets.
- Je vois que vous avez pensé à tout.
- Nous mettons un point d’honneur à fournir un service irréprochable à toute notre clientèle, dit-elle avec fierté.
- C’est un plaisir de l’entendre.
Le groupe arriva finalement au quatrième étage du bâtiment et tous les regards des employés de Jessica se tournèrent inévitablement vers son invitée de marque lorsque les portes de l’ascenseur s’ouvrirent. Plano ne put alors pas s’empêcher de se dire que cela devait être une réaction que mademoiselle Degrâce devait provoquer tout le temps chez les gens. Toutefois, la jeune femme resta focalisée sur ce qu’elle avait à faire et présenta au trio le lieu où la séance photo allait se dérouler. Au même moment, elle aperçut son employé, Michael Orzak, qui se dirigeait vers eux.
- Michael ! Ça tombe bien que tu sois là. Mademoiselle Degrâce, je vous présente Michael Orzak. Il sera en charge de la séance photo d’aujourd’hui. Michael, je te présente notre estimée cliente, Elène Degrâce.
- C’est un plaisir de faire votre connaissance.
- Tout le plaisir est pour moi. J’espère que vous me rendrez beaucoup plus belle avec votre travail, rétorqua Elène avec un beau sourire.
- Je ferai de mon mieux pour ne pas vous décevoir.
Michael se demanda si c’était vraiment possible de faire une chose pareille. Cette femme qui se tenait debout devant lui était déjà très belle, si belle que si elle le désirait, elle pourrait avoir tous les hommes à ses pieds, ou du moins presque tous les hommes. Au même moyen, Jessica, qui voyait l’étrange alchimie qu’il y avait entre son employé et son invitée, proposa une nouvelle au trio de la suivre, mais cette fois-ci pour se rendre dans la salle que son équipe et elle avait préparée pour mademoiselle Degrâce. En voyant tout le monde s’éloigner, mais surtout en jetant un coup d’oeil autour de lui, Orzak ne put s’empêcher de se dire que sa journée de travail allait être plus compliquée que d’habitude.
*
Jessica venait de finir sa présentation des lieux et selon les réactions qu’Elène Degrâce avait eues, elle se disait qu’elle avait fait du bon travail. Tout ce qui restait désormais était que Michael fasse le sien. Connaissant son professionnalisme, la jeune femme était certaine qu’il ferait un excellent travail, ce dernier ne l’ayant pas déçu jusqu’à présent. Cependant, elle ne pouvait pas s’empêcher de stresser et d’être nerveuse. Et pour cause, il s’agissait là d’une très grande opportunité pour elle et pour l’avenir de sa société. La moindre faute et tout pouvait s’effondrer, quoiqu’il y avait très peu de chance que cela se produise.
Une question la tracassait cependant et c’était pourquoi ? Pourquoi une personne aussi connue qu’Elène Degrâce avait-elle choisi un studio comme le sien ? Certes, il était loin d’être modeste, mais il n’avait pas non plus une très grande renommée. Alors, pourquoi ? Il fallait qu’elle le sache.
- Excusez-moi, mademoiselle Degrâce. Puis-je m’entretenir avec vous en privé pendant un moment ? rétorqua Jessica pendant que la jeune femme discutait avec les deux hommes qui l’accompagnaient.
À ce moment, son garde du corps lança un regard noir à Jessica, ce qui ne manqua pas de lui faire peur. Il était si imposant. Cependant, Elène accepta de discuter avec elle et demanda donc aux deux hommes de les laisser seules.
- Je vous écoute. De quoi voulez-vous qu’on discute ?
- Mademoiselle Degrâce…
- Vous pouvez m’appeler Elène. Mademoiselle Degrâce est beaucoup trop formelle. Nous sommes entre femmes, laissons donc ça pour les hommes qui m’accompagnent, dit-elle après l’avoir interrompue.
- Comme vous voulez. Elène, si cela ne vous dérange pas, j’aimerais savoir pourquoi vous avez choisi mon agence. J’aimerais savoir pourquoi c’est cette agence que vous avez choisie alors qu’il en existe d’autres avec une plus grande renommée que la mienne. Ce n’est pas que je ne sois pas contente que vous l’ayez fait, bien au contraire, je vous en suis extrêmement reconnaissante, mais je ne peux plus nier le fait que cette question m’obsède depuis l’instant où vous êtes rentrée en contact avec ma société.
- Je comprends tout à fait où vous voulez en venir, Jessica. À votre place, je me serais sans doute posé la même question. Maintenant, pour répondre à votre interrogation, je dirais que le facteur majeur qui m’a fait choisir votre agence est votre renommée. C’est justement parce que la vôtre est moins importante que celle des autres que je suis sûre que votre équipe et vous serez à même d’accomplir un travail de qualité…
- Elle a raison. Si on se foire avec elle, je peux dire adieu à ma société. S’il te plaît, Michael, ne te foire pas, pensa-t-elle.
- Il y avait d’autres facteurs, mais je préfère ne pas les dévoiler. Quoi qu’il en soit, il serait préférable de nous concentrer sur ce que cette collaboration a à nous apporter plutôt que sur les raisons qui m’ont poussée à vous choisir vous, poursuivit-elle.
- Vous avez totalement raison. Nous ferons de notre mieux pour ne pas vous décevoir.
Elène esquissa alors un léger sourire et Jessica fit de même. Cependant, cette dernière ne put s’empêcher de penser qu’elle avait un motif ultérieur. Peu importe ce que c’était, elle ferait de son mieux pour que cela n’ait aucun impact négatif sur son studio.
- Maintenant que cela a été mis au clair, je vais vous laisser vous préparer. Nous commencerons la séance quand vous vous sentirez prête, rétorqua Plano avant de se diriger vers la sortie de sa loge.
Jessica finit par quitter la pièce, laissant derrière elle une Elène Degrâce toute souriante.
A suivre !!!
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