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Elle se levait toujours la première le matin, mais cette fois, elle fit le choix de repousser le moment du départ. Devant sa tasse fumante, elle scrutait Mhyn avec suspicion, cherchant à élaborer les hypothèses du mystère des mails disparus.

— Je vais récupérer des produits à l’interchangeur ! Je serai rentrée pour le déjeuner, tu n’as pas de livraison, ce matin ? lança cette dernière, en enfilant sa veste.

— A l’interchangeur ? Tu as de quoi payer ? questionna Jonah, sceptique.

— Oui, oui, ne t’inquiète pas ! A tout à l’heure !

Jonah, acerbe, se contenta de secouer la tête et vida sa tasse. Elle n’était pas du genre à faire semblant. Cette excuse ne fit qu’accroitre les questions de Jonah, ça ne tenait pas la route : avec quoi allait-elle payer les courses, alors qu’elle n’avait plus de revenus depuis plusieurs mois ?

Il ne fut pas difficile de suivre le parcours de l’innocente Mhyn avec le traceur que Jonah avait insidieusement glissé dans la doublure de son sac. Après s’être rendue à une adresse au cœur du quartier des affaires où elle avait passé moins de quinze minutes, elle avait ensuite rejoint le Play-district, le lieu de tous les divertissements, bien loin de l’interchangeur annoncé. Après un court déplacement, elle était maintenant immobile depuis plus de trente minutes.

Jonah laissa en tout une heure s’écouler avant d’enfiler sa combinaison et de récupérer son Nine-bot. Elle saurait de quoi il retournait, quoi qu’il en coûte. Elle rejoignit une petite place où un café présentait des étages en verre offrant une vue vertigineuse sur l’intégralité du bâtiment. Le visage dissimulé derrière son casque intégral, Jonah passa au scan chacun des paliers jusqu’à identifier le point de focus du traceur : 5e étage, une table où deux personnes se tenaient.

Son cœur se serra douloureusement.

Mhyn était belle, terriblement belle et elle avait toujours eu peur de ça. Sa caméra interne lui permit de zoomer pour ne laisser aucun doute sur l’identité des deux, mais elle ne pouvait rien entendre de leur échange. L’homme se nommait Davon Onduras, sa fiche indiquait qu’il était associé à un certain Zélyo Tovak, dans la gestion d’une boutique, sur le 19e district. Les réseaux le présentaient aussi comme un défenseur de l’hétéro-suprématie. Enfin, bien qu’elle ne fût pas la meilleure pour en juger, il était plutôt bel homme… Le bracelet. Les messages effacés. Le mensonge. Elle ragea, la colère la submergeant tout comme les larmes brûlantes dans ses yeux.

Elle s’engouffra dans l’ascenseur translucide qui grimpa les étages mais elle voyait trouble.

Son casque au bout du bras, elle se posta à une extrémité de la salle, où l’angle était parfait. Elle contempla alors avec horreur les doigts s’entrelacer, les regards langoureux s’échanger, les rires s’élever, légers et au comble de la nausée, cette main qui caressa la joue de Mhyn, en repoussant délicatement ses magnifiques mèches rousses. Jonah ne put détacher son regard jusqu’à ce que les deux amants ne se quittent après une étreinte.

Détruite, Jonah poursuivit sa filature. Mhyn avait remonté ses cheveux en couette, coiffure avec laquelle elle ne l’avait jamais vue et marchait d’un pas léger dans les rues bondées. Elle rentra finalement dans un hôtel luxueux dans lequel elle avait l’air d’avoir ses habitudes, à la façon dont elle salua le réceptionniste. Elle ressortit trente minutes plus tard et passa devant elle, dans le hall d’accueil, sans même sembler la reconnaître.

Jonah ne pouvait y croire. Mhyn se serait joué d’elle pendant tout ce temps ? Pourquoi agissait-elle ainsi ? Le sentiment d’égarement qu’elle ressentait n’avait d’égale la souffrance de la trahison. Elle la suivit encore, jusqu’à un Dance Garden très prisé où on pouvait danser sous les étoiles, dans des espaces de pleine nature reconstitués grâce à la technologie. Elle la vit alors comme elle ne l’avait connue : extravertie, ouverte et dansant comme une sirène. Où était sa tendre Mhyn, réservée et discrète ?

Elle allait se résoudre à l’approcher, la confronter quand elle sentit une poigne solide se refermer sur son bras. Surprise, elle pivota.

— Je vais te mettre les points sur les i, viens par-là, toi !

C’était Davon, l’homme du bar transparent. Il l’entraina sans ménagement à sa suite et dans un recoin du lieu, il la plaqua contre le mur :

— Elle est à moi, tu piges, la tribade ? Tu ne l’approches pas, tu ne la regardes pas, tu ne lui parles pas ! vociféra t-il, le doigt brandi d’un air menaçant vers son visage.

Mauvaise, Jonah retroussa le nez et émit un rire moqueur.

— Pauvre connard… T’es aussi crétin que t’en as l’air. Elle se fout de ta gueule, comme de la mienne, lui cracha-t-elle avec mépris, en assénant un coup de genou en direction de l’entrejambe de l’homme.

Il se courba en deux et elle renouvela son geste vers son nez cette fois. Il bascula violemment vers l’arrière en grognant de douleur. Il ne demanda pas son reste et elle put s’éloigner.

Quand elle revint vers la prairie artificielle où la musique battait son plein, elle réalisa que Mhyn avait disparu. Elle jura. En vérifiant son traceur, elle réalisa qu’elle se dirigeait vers leur appartement. Epuisée et vaincue, elle y retourna également.

La soirée fut… terriblement normale. Mhyn ne sembla pas dissimuler quoi que ce soit, pourtant elle mentit de long en large sur l’ensemble de sa journée, mais avec un aplomb faisant penser qu’elle croyait à chaque mot qu’elle prononçait. Jonah ne trouva pas le courage de la confronter.

Le lendemain, reprenant le rythme des livraisons avec la charge de devoir rattraper l’inefficacité de la veille, elle se faufilait avec facilité entre les divers véhicules qui bloquaient la circulation. Comme à son habitude, elle ne respectait que peu le code de la route et des airs, mais ce fut pourtant sur un espace réglementé à son passage où elle était prioritaire qu’un Flycar la percuta avec violence. Elle vola littéralement sur plusieurs mètres et atterrit sur la carlingue d’un motorisé stationné. Heureusement, sa combinaison joua son rôle, en se gonflant d’air pour amortir le choc.

L’homme du Flycar se gara non loin et s’approcha d’elle. A sa surprise, il ne lui tendit pas la main pour l’aider à se relever, bien au contraire ; il posa sa semelle sur son torse et appuya en se penchant au-dessus de son corps.

— Putain… grogna t-elle.

— Ecoute bien : tu le retouches encore une seule fois et même ta combinaison ne sera pas suffisante. Je ne te préviendrai qu’une fois.

— Quoi ?

— Je t’ai vue hier, tu nous as suivis. J’ai signé un contrat, je ne te laisserai pas interférer. J’ai le droit à ce bonheur moi aussi.

Son Worldeye© eut juste le temps d’analyser le faciès de l’inconnu et de lui sortir quelques données : Zélyo Tovak. Inscrits sur de nombreux réseaux LGBT. A aimé récemment le profil de la corporation Anotherlife.

Il écrasa un peu plus fort de son poids, comme si elle n’était qu’une vulgaire cigarette et se détourna. Il disparut dans la cohue de la circulation avant même qu’elle ne soit debout.

Elle n’avait pas compris ce qu’il avait cherché à lui dire. Il parlait de Davon ? Elle ne l’avait pas suivi, c’était la première fois qu’elle le voyait. Comment il savait ? Et de quel bonheur parlait-il ?

Reprenant son souffle contre le mur, elle tâchait de mettre ses idées au clair. Il n’y avait qu’une personne qui pouvait l’aider à comprendre. Elle sortit son traceur et réalisa qu’une nouvelle fois, Mhyn se trouvait au quartier des affaires. Qu’est-ce qu’elle pouvait faire là-bas ? Il n’y avait que des grosses corporations…

Elle récupéra son Nine-bot et fila comme le vent.

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