Chapitre I

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Le ciel était empli du noir de la nuit, mais personne ne distinguait les étoiles. La ville, lumineuse comme un petit soleil, étalait au sol ses tentacules mystérieuse. Mais a bien y regarder, on distinguait un quartier ou la nuit reprenait quelque peu ses droits. Et dans la ruelle la plus sombre de ce sombre quartier, ruelle puante, suintante, et gémissante, dans cette ruelle… on trouvait, parmis d’autres pauvre gens, un homme. Sa barbe blanche cascadait jusqu’à sa taille en un bouc orné de perles ternes, ses yeux perçant disparaissaient derrière un voile bleu nuit, et son nez déjà corchu ployais sous des lunettes grises. On remarquait que ces dernières avaient été façonnée à partir de bric et de broc, surement avec le fil du fer qui entoure les bouchons en liège de boutille de vin, et elles n’avaient évidemment pas de verres. L’homme, tout en secouant ses doigts couverts de breloques du même alibi, se penchait vers les passants qu’il croisait, et d’une voix chevrotante, murmurait quelques aux oreilles qui lui semblait les plus facile à la dépense. « L’univers a un message pour vous… » disait il. « Il me le chante, il me chante les mystères de votre avenir ! ». Et certains regards mornes s’éclairaient alors d’une lueur intéressée, tandis que quelques pièces plus ou moins brillantes tombaient dans la bourse de l’homme, dans la main duquel avait mystérieusement apparu un paquet de carte. Avec ses doigts agiles, il en retournait une, puis se penchait vers ses clients et soufflait quelques mots qui semblait aussi vides que pleins de sens.

Arrivé au bout de la ruelle, l’homme s’engouffra comme une bourrasque à travers une lourde porte peinte en noir. Il descendit une volée de marche, les épaules frottant les murs en pierre tant le couloir était étroit, et il déboucha sur une pièce enfumée d’encens, pleine à craquer de voiles translucides, de cristaux brillants, de bougies dégoulinantes de cire, et de tout une floppée d’objets surprenants. Soudains, une voix cassée s’éleva d’un voile.
« Anselm ? C’est toi ? »

Le voile se souleva et une femme apparu. Ses cheveux d’un noir d’encre glissaient sur ses épaules pâle, et de son visage doux et légèrement ridé ne se démarquaient que ses yeux. Ils étaient entièrement blancs, sans pupille ni iris.

L’homme repondit un vague « C’est moi », d’une voix surprenement clair et profonde, puis tira délicatement sur le bout de sa barbe, qui se décolla de ses joues. Il retira ses lunettes, ses bijoux de pacotilles, et enfin releva son immense cape. Apparaissaient à la lumière son visage lisse, ses yeux verts et son nez légèrement bossu. Ses cheveux bruns, maintenant libérés de leur capuche, s’étalèrent sur son front en de légères ondulations, et une fine mèche tressée de fils colorés partait de sa nuque.

« Je n’ai pas eu de clients aujourd’hui, soupira la femme. Et toi ?

- Les Basses Rues ne ruissellent pas d’or comme celles de la Cour, mais j’ai tout de même réussi à nous ramener quelques petite pièces, lança le dénommé Anselm d’une voix enjouée.

- Viens donc t’asseoir, proposa la femme. Elle tatonna un peu vers une table ronde, recouverte de bocaux, de plantes séchées et de cristaux, et s’y assit.

- Cailleach ? appela Anselm.

Elle leva la tête et la tourna plus ou moins vers le jeune homme.

- J’ai croisé M. Sullivan. Il nous donne un mois pour lui payer notre quittance, ou pour sinon déguerpir.

- On n’a pas l’argent, s’inquiéta Cailleach. On se serre déjà la ceinture depuis des semaines.

- Je vais essayer de trouver un autre travail, déclara Anselm. On ne peut pas se permettre de perdre cet appartement, on vient à peine d’établir notre clientèle.

Un silence suivi. Cailleach posa son menton sur ses poings, pensive. Anselm devinai combien elle était rétissante à le laisser travailler ainsi. Ici, dans les Basses Rues de Kevnidenn, il ne faisait pas bon vivre, surtout pour les plus démunis. L’argent permettait d’acheter bien des choses ; mais ils donnait aussi un sombre pouvoir au petits bourgeois crasseux. Si Anselm avait évité jusqu’ici d’être sous leur joug, c’était grâce à Cailleach. Aussi loin qu’il s’en souvenait, il avait été avec elle. Elle lui racontait qu’un jours, alors qu’elle n’était encore qu’une très jeune voyante, elle avait trouvé devant sa porte un nourisson abandonné, avec un pendantif en forme de pentagramme. Elle avait pris soin de lui, comme elle l’aurait fait si il avait été de son sang, et très vite ses dons pour la divination s’étaient révélés. Ainsi, lorsqu’elle perdit la vue, alors qu’Anselm avait dix ans, il commença à travailler avec elle.

- Allons manger, proposa-t-il.

Cailleach sourit et se leva. Anselm l’accompagna dans ce qui était à la base l’arrière boutique, mais qui leur servait de chez soi. Deux lits rustiques, un âtre, une table et une armoire de fortune, cet intérieur contrastait avec le capharnaüm ésotérique de la pièce où ils recevait leur client. Rapidement, leur festin fut prêt : une tranche de pain, une poignée de haricot et du bouillon. Le jeune homme remarqua tristement que Cailleach réduisait ses propres portions, et quand il lui tendit la moitié de son pain, elle refusa fermement.

- Si tu t’engages dans un deuxième travail, tu dois être fort, avança-t-elle. Et puis, je n’ai pas besoin de tant manger, je suis assise dans mon antre de sorcière toute la journée.

Anselm insista, mais devant l’implacabilité de son amie, il finit par le manger.

Quelques jours plus tard, alors qu’il rentrait de ses cavales divinatoires, il trouva Cailleach au milieu d’une séance de voyance. Si Anselm favorisait la cartomancie parmis tous les types de divinations, Cailleach excellait dans la lecture des runes.

La cliente était une femme d’âge mur, aux traits tendus, qui fixait sans ciller la voyante en face d’elle. Dans la pénombre de la pièce, seulement éclairée par treize bougies noires, cette dernière se balançait lentement d’avant en arrière dans quelque fumée suffocante. Entre les deux femmes, des runes étaient posées dans une coupe de cristal. Cailleach murmura quelque chose à la femme, mais Anselm, debout dans l’entrée, se tenait trop loin pour entendre. La cliente tendit sa main, et Cailleach, avec un couteau sortir de nulle part, en entailla lentement la paume, tout en psalmodiant une prière incrompréhensible. Le sang goûta sur les runes pendant quelques secondes, puis la cliente retira nerveusement sa main. Enfin, Cailleach poussa un long râle guttural, et renversa la coupe sur la table. Les runes s’éparpillèrent, et elle les parcourut rapidement du bout de doigts. Même en étant loin, Anselm distingua le choc sur les traits de la voyante. Curieux, il s’approcha pour entendre ses dires.

- Les signes se mélangent, souffla Cailleach, je lis la vie et la mort, la paix et le danger, et le Mauvais Œil domine le tout…

- Je ne comprend pas, murmura la cliente. Est-il vivant ?

Un silence suivi.

- Je ne sais pas, lâcha la voyante. Mais cela n’est pas de bon augure.

Le visage grave, la cliente se leva brusquement, se retourna et se cogna contre Anselm.

- Désolé, s’excusa-t-il en s’écartant.

La femme leva la tête en lui jetant un regard méfiant, puis sans un mot, sortit rapidement.

- Bon sang… soupira Cailleach. Cela faisait longtemps que je n’avais échoué à lire les runes.

Ses traits étaient fatigués.

- Ne t’inquiète pas, la rassura Anselm. La femme avait l’air plus bouleversée que mécontente. Je ne pense pas qu’elle se fera un devoir de ruiner notre réputation.

Peu convaincue, Cailleach partit préparer leur repas frugal, suivant leur routine incroyablement monotone.

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