Le prisme
Privé de nourriture, de lumière, de dignité, enchaîné comme un chien à une niche, Axel avait pour seule compagnie le silence et l'obscurité. Retenu ici contre son gré, tel un appat qu'on agite sous le nez de sa victime, Axel attendait désespérément le jour de sa délivrance. Séparé de sa promise par un tragique coup du destin, Axel Morre était devenu le jouet de Lucifer. La raison à cela ? Terrassée par la mort de celui-ci, sa tendre fiancée avait invoqué le terrible démon pour lui proposer un pacte. Elle serait son esclave en échange de la résurrection de son amour. Le perfide dieu des enfers, y voyant là le moyen de récupérer deux âmes qu'il convoitait tant, accepta l'horrible marché. Cependant, il ne précisa pas que pour honorer sa dette, celle que l'on surnommait maintenant la Fleuriste, devait devenir un messager de la mort, ce qui était contraire à sa nature profonde.
Amoureuse de la vie, pacifiste et simple, cette jeune fille n'avait rien d'un messager de la mort, Axel le savait et le déplorait. Sa bien-aimée perdrait la tête et serait corrompue à jamais avant la fin du pacte.
Le jeune homme, malgré son état de santé très faible, se souvenait très bien de ce sinistre jour. Peu de temps après ses funérailles, alors que son âme, enveloppée dans un halo de pureté, gagnait les cieux, un orage éclata. Des éclairs zébrèrent le ciel qui prit une teinte rougoyante. La lune alors éclante se ternit et arbora un orangé sanguin. Des bourrasques traversèrent la voûte celeste de part en part et les petits orbes oscillèrent en tout sens. Certains réussirent à traverser la tempête, d'autres se brisèrent, d'autres disparurent. Quant à celui d'Axel, il fut happé dans une sorte de vortex noirâtre. Effrayé par ce curieux chemin, il tenta de gesticuler, de sortir du champ de force qui retenait le petit globe, en vain. Il tomba, tomba, tomba, tomba puis atterrit lourdement dans une plaine sombre et désertique. Des arbres décharnés aux allures de monstres ornaient la vallée désolée. Il comprit vite qu'il était arrivé en Enfer en se demandant la raison pour laquelle son rail avait subitement changé de voie.
Une silhouette approcha d'Axel, toujours enfermé dans son orbe ectoplasmique. Elle se baissa, ramassa la sphère et la brisa à l'aide d'un sort. Axel en sortit. Il n'eut pas le temps de se relever que l'infernale apparition, aussi belle qu'effrayante, fit jaillir des chaînes du sol infertile du Géhenne. Dans un élan de folie, Axel demanda :
- Pourquoi m'avoir enchaîné, je n'ai rien fait pour mériter ça! et d'abord, pourquoi suis-je sorti de la voie du Paradis ?
Un sourire sadique se dessina sur le visage de l'homme à la peau blanchâtre.
- Ta précieuse amie qui t'aime à la folie a signé un pacte avec moi pour te sauver la vie. Tu es mon prisonnier jusqu'à ce que la tâche que je lui ai confiée soit terminée. Ce qui n'est pas près d'arriver, ricana-t-il.
Sans lui laisser le temps de répliquer, Lucifer tira sur les chaînes d'Axel et le força à entamer une marche.
Il marcha pendant des jours sous la châleur accablante et l'air vicié de la plaine. Lucifer ne lui donnait ni eau ni nourriture. Ses pieds, noircis par le sable du Géhenne, étaient remplis de cloques et de coupures. Chaque nouveau pas dans le désert lui donnait envie de hurler. Au bout d'un certain temps, ils s'arrêtèrent près d'une sorte d'oasis. L'eau, bien que fuligineuse et probablement empoisonnée, fut une source d'apaisement pour Axel qui s'en abreuva en dépit de son goût métallique. Mais la halte fut de courte durée. Lucifer l'entraîna à nouveau dans une longue randonnée à travers les limbes.
Après des jours et des jours de marche qui épuisèrent Axel, ils arrivèrent enfin au domaine du prince des ténèbres. Axel, rassuré que sa longue errance à travers le désert se termine, se laissa tomber au sol. Cependant, Lucifer le tira dans les couloirs pavés de son palais jusqu'à une minuscule cellule, dans laquelle il le jeta sans ménagement.
La pièce ne disposait ni de fenêtre ni de lucarne. Aucune lumière ne filtrait à travers les murs épais du cachot. Axel était dans le noir complet. Il se terra sur ce qui semblait être un pied de lit rudimentaire et attendit. Recroquevillé sur lui-même, il patientait, attendait que ses yeux s'habituent à l'oscurité totale. Or, ce jour n'arriva jamais.
Pendant les jours, les semaines, les mois, peut-être même les années qui suivirent, Axel vivotait plus qu'il ne vivait. De temps à autre son tortionnaire laissait passer une lumière aveuglante et criait son nom jusqu'à ce qu' Axel ne puisse plus le supporter et se mette à hurler d'arrêter. Parfois ce n'était pas son prénom qu'il prononçait, mais celui de celle qui aurait dû partager sa vie. Quand cela se produisait, Axel se bouchait les oreilles et murmurait des prières pour apaiser ses souffrances, malheureusement ça ne fonctionnait pas vraiment et l'écho de son prénom résonnait dans sa tête comme un millier d'aiguilles plantées dans sa chair.
Il était méconnaissable, malingre et crasseux, il ne ressemblait en rien à l'homme que sa fiancée avait connu. Il n'était plus que l'ombre de lui-même et les tortures physiques et psychologiques du roi des enfers n'arrangeaient rien.
Chaque jour, il perdait un peu plus la foi, chaque jour il doutait de sa libération prochaine. Pourtant, une fois Lucifer décida de lui faire un présent. À l'image de l'orbe qui le contenait, Le prince noir lui offrit un globe qui permettait à celui qui le possédait de voir ce qu'il souhaitait. Axel y vit une preuve de sa délivrance prochaine, pourtant ce n'était en réalité qu'un moyen de torture supplémentaire.
Impatient de revoir enfin celle que son cœur chérissait, il demanda à la sphère opalescente de lui montrer sa fiancée. Le globe s'exécuta et Axel put constater à quel point elle était devenue la marionnette de Lucifer. Corrompue, vidée de toute son essence, de tout ce qui faisait qu'il l'aimait, une plaie béante s'ouvrit dans son âme et lui arracha des larmes de désespoir. Salées, sales, tristes et intarissables, les larmes d'Axel se répandirent dans la geôle et formèrent un sillon qui s'écoulait doucement vers la sortie.
Mortifié, désespéré, Axel fut surnommé l'âme éplorée par les démons....
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