Chapitre 7 (v2)

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La sonnerie assourdissante de son téléphone pro le réveilla en sursaut. À tâtons, il le chercha sur sa table de nuit. Avant de mettre la main dessus, il renversa le verre d’eau vide qui trônait là depuis la veille, percuta le vieux coucou qui lui servait de réveil et manqua de tomber du lit. Il se leva en grommelant et s’empara de l’objet qui sonnait toujours. Il décrocha sans attendre davantage et s’annonça dans le combiné :

  • Capitaine Leroy à l’appareil, que se passe-t-il ?

La voix alarmée de Nino brisa le silence.

  • Inspecteur venez vite, nous venons de retrouver le cadavre présumé de la fille disparue !
  • Appelez le médecin légiste et le commissaire, je vous rejoins au plus vite.

Il sauta de son lit, s’habilla à la hâte, s’empara de ses clefs et sortit en trombe de son appartement.

Sur le parking, il démarra au quart de tour et activa le gyrophare pour faire valoir sa priorité et arriver sur les lieux au plus vite.

Il se gara devant l’immeuble de la victime quelques minutes plus tard. Les bandes de «zone interdite» reconnaissables à leur couleur jaune avaient déjà été placées pour déterminer le périmètre de sécurité. Un agent de police filtrait les allers et venues des équipes de police. Quelques résidents qui attendaient dehors affichaient des mines tantôt tristes, tantôt effrayées, tantôt dubitatives. Une femme entourée d’une couverture, apparemment en état de choc, patientait dans le camion de secours stationné devant l’entrée. Un infirmier lui posait des questions et vérifiait son état de santé général.

Nathanaël sortit son badge, le passa autour de son cou et se dirigea vers l’agent qui gardait l’entrée. Il se posta devant lui, lui montra sa carte avant de se présenter.

  • Inspecteur Leroy, je suis chargé de l’enquête, j’ai été appelé à me rendre sur les lieux du crime. Le commissaire est en route, il ne devrait plus tarder.
  • Bonjour inspecteur, entrez, le légiste vous attend.
  • Merci.

Il franchit la bande jaune, se dirigea vers le hall de l’immeuble, grimpa l’escalier et arriva devant la porte d’entrée de l’appartement de la victime. Une odeur de cadavre en décomposition, mêlée à celle ferreuse du sang et celle aigre de l’urine, flottait dans l’air vicié de la cage d’escalier crasseuse. Dégoûté, le jeune flic se couvrit le nez avant de pénétrer dans la pièce. Pourtant habitué aux émanations nidoreuses des scènes de crime, il ne put s’empêcher de refouler une série de nausées.

Lorsqu’elles se calmèrent, il s’approcha de l’entrée. Une scène apocalyptique se dessina devant ses yeux. Partout, des hommes en uniformes vaquaient à leurs occupations. Certains prenaient des photos, d’autres posaient des repères d’indices, ces pancartes jaunes affublées de numéros ; la police scientifique s’affairait déjà à prélever la moindre trace pouvant constituer une preuve, un moyen d’inculper quelqu’un, quand les derniers assuraient la sécurité de l’appartement. On avait recouvert le parquet d’un tissu pour absorber l’hémoglobine présente un peu partout dans la petite salle à manger. Au centre de ce chaos organisé, une femme inanimée gisait dans ses propres liquides. Les yeux grands ouverts, une expression de profond effroi imprimée sur son visage blafard, elle tenait dans sa main un papier chiffonné imprégné de rouge. À côté d’elle, le médecin légiste intégralement habillé en bleu, les cheveux camouflés par une charlotte, le visage caché sous un masque, étudiait le corps. Silencieux, il analysait la victime, se concentrait sur les détails invisibles de cette scène digne des plus grands films policiers. Nathanaël choisit ce moment pour engager la conversation :

  • Bonjour docteur, quelles nouvelles ?
  • Ah bonjour Nat’, comment vas-tu ? Pas trop fatigué ?
  • Un peu, mais ce n’est pas le plus important. Que pensez-vous de ce décès ?
  • Pour moi, la victime est morte assassinée. Selon mes premières conclusions, le meurtre a eu lieu entre deux et trois heures du matin. Les traces sur son cou montrent qu’on l’a égorgée sans ménagement avec un objet tranchant, mais pas un couteau, l’entaille n’est pas assez nette. Je ne sais pas trop ce que ça pourrait être. La police scientifique a relevé des traces de métal dans la plaie. Sa position et ses habits déchirés indiquent qu’elle s’est débattue alors qu’on essayait de la violer. Les cheveux épars confirment qu’on l’a maintenue de cette façon. Je ne sais pas encore s’il y a eu un rapport sexuel avant sa mort, l’autopsie nous apportera plus de détails. C’est tout ce que je peux vous dire pour le moment.
  • Très bien, envoyez-nous votre rapport dès que possible. Qui l’a trouvée ?
  • C’est sa colocataire. Elle était partie dormir chez son petit ami, elle est revenue ce matin et c’est là qu’elle l’a trouvée. Si tu veux en savoir plus sur la fille, tu peux peut-être aller l’interroger.
  • Oui, mais elle ne m’en dira pas plus sur l’assassin…
  • Apparemment, des voisins auraient vu des personnes pénétrer dans l’appartement. Tu devrais les interroger.
  • J’y vais.

Alors qu’il sortait, le commissaire Chen arriva sur les lieux.

  • Oh bonjour, Nathanaël. Du nouveau ?
  • Bonjour commissaire. Oui, le médecin légiste est sur place, il m’a donné ses premières conclusions. La jeune fille est morte égorgée apparemment entre deux et trois heures du matin et portait des traces de lutte. Sa colocataire qui n’était pas là pendant la nuit l’a retrouvée ce matin en rentrant. Certains voisins auraient vu des silhouettes se diriger vers l’appartement. J’allais les interroger.
  • Allons-y.

Ils descendirent l’escalier ensemble et se dirigèrent vers le camion de soins devant lequel attendaient la jeune femme, et les gens du voisinage. Nathanaël et le commissaire se séparèrent pour interroger les différents témoins. Chen prit la colocataire et Nathanaël s’apprêtait à questionner les habitants de l’immeuble.

Devant leurs regards médusés, il décida de se présenter.

  • Bonjour. Inspecteur Leroy, s’exclama-t-il, je suis chargé de l’enquête sur le meurtre de votre voisine de palier. J’ai quelques questions à vous poser.

Les témoins ne répondirent pas, mais acquiescèrent en silence.

  • Quelqu’un parmi vous connaissait-il cette jeune femme ?
  • Moi, répondit l’un d’entre eux, j’habite l’appartement en face de celui de la victime. Elle s’appelait May. D’origine asiatique, elle était venue ici pour faire des études d’arts dramatique. C’était une personne très polie et discrète qui ne faisait pas de vague.
  • Savez-vous d’où elle était originaire ?
  • Du Japon, si mes souvenirs sont bons. Elle m’a offert un cadeau lors de son emménagement et m’a expliqué qu’il s’agissait d’une tradition japonaise, son pays natal. C’était une jeune fille sans histoire. Elle avait un look un peu particulier, portait très souvent du noir, des chaînes, du cuir et parfois des tenues de soubrettes. Je lui ai demandé un jour la raison pour laquelle elle portait cela, elle m’a dit qu’elle travaillait dans un bar gothique et que c’était sa tenue de travail.
  • D’accord.

Nathanaël nota toutes les informations dans son carnet avant de poser une autre question.

  • On m’a dit qu’elle vivait avec sa colocataire, mais que celle-ci partait parfois le weekend retrouver son petit-ami, savez-vous si, pendant ses absences, quelqu’un d’autre venait voir May ?
  • Pas à ma connaissance, elle n’avait pas l’air d’avoir de petit-ami ou même d’amis.
  • Très bien. La nuit du meurtre, certains voisins ont dit qu’ils avaient vu des silhouettes se rendre en direction de l’appartement. Pouvez-vous m’en dire plus ?
  • En effet. Quelques jours avant sa mort, ajouta un autre, j’ai vu des gens rôder autour de l’immeuble.
  • Pourriez-vous me les décrire ?
  • Il faisait nuit, la visibilité n’était pas bonne, mais j’ai vu une voiture noire revenir plusieurs fois par jour. Elle restait immobile et de temps à autre, une silhouette noire prenait des photos. Le soir de sa mort, alors qu’elle venait de quitter son domicile, la même voiture est revenue et deux personnes sont sorties. L’une portait une cape noire et avait caché son visage sous un masque. L’autre de stature plus grande portait une cagoule et quelques mèches brunes en dépassaient. Il était également habillé en noir, mais à la différence de la première, il ne portait pas de gants et tenait une valise. Quand je suis revenu de l’épicerie, il n’y avait plus personne. C’est tout ce que je sais.

Nathanaël prit note de tous les détails des silhouettes et griffonna un mot sur sa page. Il reprit son interrogatoire.

  • Avez-vous entendu des cris ? Des bruits de lutte ?
  • Non, rien de tout ça.
  • Moi si, finit par avouer un troisième, je rentrais de soirée cette nuit-là et j’ai vu de la lumière émaner de l’appartement de May. Je me suis arrêté et c’est là que j’ai entendu un hurlement. C’était bizarre. J’ai voulu m’approcher, mais quelque chose m’en a empêché. Comme une sorte de champ magnétique.
  • Ah bon ? Comment ça ?
  • Je ne sais pas l’expliquer, mais une drôle d’aura se dégageait des lieux. Comme une aura de mort, c’était vraiment étrange, limite effrayant.
  • Je vois.

Nathanaël prit note des dernières informations et remercia les témoins.

  • Merci beaucoup, ce sera tout pour aujourd’hui.

Il les salua et se dirigea vers le camion de soin où attendait la fille. Elle était encore avec le commissaire. Nathanaël s’approcha. Il écouta le reste de la conversation et attendit que Chen termine son entretien avant d’engager le dialogue. Lorsqu’il eut remercié la jeune femme, il se tourna vers son inspecteur, l’attrapa par l’épaule, le guida vers la voiture.

  • Allons prendre un café, il n’est même pas 8 h et on est déjà sur le pied de guerre. Nous débrieferons devant un bon petit dej’, ça te dit ?
  • Volontiers. Les relents de sang et de vomi, c’est pas bon pour le moral, le café si.

Nathanaël déverrouilla sa voiture et ouvrit la portière à Chen avant de rejoindre la place du conducteur. Il démarra et s’engagea dans la rue adjacente. Il reconnut la ruelle dans laquelle Nino avait déposé Aelina qu’il avait fini par amener dans un café.

  • Je connais un café pas très loin, ça vous tente ?
  • Allons-y, j’espère qu’ils font du bon café !
  • Il est délicieux, vous verrez.

Il se stationna sur le petit parking réservé à la clientèle, quitta son siège et proposa à Chen de passer devant lui. Ils commandèrent une formule petit déjeuner chacun et s’installèrent dans un coin isolé.

En bon soldat, Nathanaël attendait que son supérieur prenne la parole. Aux aguets, il sirotait son café quand Chen se décida à entamer la conversation.

  • Alors, ça a donné quoi de ton côté ?
  • Pas grand-chose, s’exclama-t-il en posant sa tasse sur la soucoupe, les témoins m’ont raconté qu’ils avaient vu des personnes rôder autour de l’immeuble, prendre des photos, mais ils n’ont jamais réussi à voir leurs visages. Tout ce que j’ai, ce sont des éléments de description, rien de plus. Et même celui qui dit avoir entendu des hurlements n’a pas pu m’apporter des informations complémentaires. Sinon, ils m’ont expliqué qu’ils ne comprenaient pas la raison de sa mort, car c’était une fille sans histoire qui bossait dans un bar, bar que je dois visiter sous peu, il parait que je pourrais y trouver des éléments.
  • Je vois, tu es allé voir Alex’ ?
  • Oui, comment le savez-vous ?

Sarcastique, le commissaire répliqua.

  • Nathanaël, à ton avis je suis flic depuis combien de temps ?
  • Au moins depuis que vous m’avez recruté et tiré de cette mauvaise passe. Sans vous, je ne serai sans doute pas ici à déguster un café, mais dans les bas-fonds à vendre mon âme au plus offrant. Et vous connaissez toutes les ficelles du métier, puisque c’est vous qui me les avez enseignées. Évidemment, vous devez savoir que c’est souvent dans cet endroit qu’on se rend en premier, en conclut-il.

Un sourire illumina les traits du commissaire. Nathanaël savait qu’il avait de la bouteille dans la résolution d’enquête, qu’il était en poste depuis longtemps, mais le temps ne semblait pas avoir d’effet sur lui. Il paraissait immortel.

Il le contempla un peu plus longuement. Le silence qui planait au-dessus d’eux lui laissa le temps de détailler son allure. Sa chevelure ébène clairsemée de traits blancs donnait l’impression qu’il avait à peine dépassé la quarantaine, tout comme la barbe naissante et un peu drue sur son menton. Son physique plutôt athlétique semait encore plus le doute sur son âge réel. Cela dit, ce qui retenait particulièrement l’attention dans cette peinture digne de l’Impressionnisme, étaient ses pupilles. À l’instar des siennes et même de celles d’Aelina dans un sens, elles ressemblaient à celles d’un chat. La même lueur animale les animait, le même éclat félin y luisait. Devant ces preuves indéniables, l’inspecteur Leroy ne put s’empêcher de se demander s’ils n’appartenaient pas tous les trois à la même espèce. Après tout, ils partageaient de nombreuses similitudes physiques et, pour Nathanaël et le commissaire, cela s’étendait à l’intellect. Depuis qu’il l’avait accueilli dans son équipe, juste après son diplôme, la clairvoyance dont il faisait preuve, le titillait. Il avait l’impression qu’il lisait en lui comme dans un livre ouvert. Il ne pouvait lui cacher ni ses doutes ni ses certitudes et il se demandait parfois s’il n’était pas télépathe. S’il pouvait manipuler la mémoire et les esprits, pourquoi le commissaire Chen ne pourrait-il pas savoir lire dans les pensées, cela paraissait tout à fait plausible dans cet étrange monde. Il soupçonnait le commissaire d’être un ange depuis un moment déjà, cependant il n’avait jamais osé éclaircir les choses. En réalité, dans son for intérieur, il brûlait de le savoir. Peut-être arriverait-il un jour à franchir cet obstacle ? À ne plus se comporter comme un enfant qui possède un grand secret ? Malheureusement, le chemin jusqu’à cet état d’esprit serait encore long. Il ignorait la raison pour laquelle il se comportait de cette façon avec lui, mais il avait la certitude que cela concernait son passé et l’état moral dans lequel le commissaire Chen l’avait retrouvé quelques années auparavant.

  • Nathanaël ? Nathanaël ?

La voix claire de son supérieur interrompit ses réflexions.

  • Oui ? répondit-il presque automatiquement.
  • Ça va ? Tu n’as pas l’air dans ton assiette.
  • Vous aussi, vous trouvez ? Livia m’a fait exactement la même remarque ! S’insurgea-t-il.

Le commissaire rit doucettement.

  • C’est que ça doit se voir alors. Revenons à nos moutons, tu veux bien ? Je te demandais si tu avais des choses à ajouter concernant l’interrogatoire des témoins ?

Il réfléchit un instant avant de secouer la tête en signe de négation et de reprendre :

  • Et vous ? Votre entretien avec la colocataire ?
  • Pas grand-chose. Elle m’a confirmé qu’elle l’avait trouvée inanimée et baignant dans son propre sang en revenant de weekend, qu’elle ne comprenait pas pourquoi on s’en était pris à elle ni pourquoi on l’avait tué de manière si cruelle. Selon elle, c’était une gentille fille, discrète et sans histoire. Son seul trait distinctif résiderait dans le fait qu’elle aimait s’habiller comme une Gothic Idole. C’est d’ailleurs pour cela que le bar que tu as mentionné plus tôt l’avait recrutée.
  • Oui, c’est ce que m’a confirmé Alex’ lors de notre dernière entrevue.
  • Tu devrais te rendre dans ce bar pour enquêter sur cette fille. On est peut-être sur un début de meurtre en série, le procédé y ressemble fortement en tout cas. Qui qu’il soit, il aime ritualiser ses meurtres et il a un certain standing. On ne peut rien avancer pour le moment, mais mon instinct me dit que c’est sur ce chemin que l’on s’aventure.
  • Je suis du même avis. Cette histoire est bizarre. Quelque chose ne tourne pas rond. C’est comme si…

Nathanaël s’interrompit. Le commissaire l’encouragea à continuer.

  • Va au bout de ta pensée.
  • Comme si, un mécanisme c’était déclenché. Comme si tous les protagonistes étaient enfin réunis. C’est très étrange comme sensation. Et puis, j’ai comme une sensation de déjà-vu…

Un éclat malicieux tout autant que bienveillant illumina les pupilles mordorées du chef.

  • Tu fais référence à l’arrivée de cette fille ?

Le jeune inspecteur écarquilla les yeux.

  • Comment le savez-vous ?
  • Je suis flic aussi, tu sais. C’est Nino qui m’en a parlé.
  • Je vois. Il vous a parlé du reste aussi, je suppose ?

Chen Acquiesça sans ajouter un mot de plus.Nathanaël baissa les yeux pour cacher sa honte. 

  • Je suis désolé. J’ai failli à ma promesse. Je vous avais juré de ne plus me comporter comme ça, mais je n’ai pas réussi à me contrôler. Il y a eu trop d’événements perturbants ce jour-là.

L’ancien inspecteur garda le silence, mais couva sa pupille d’un regard empli de douceur.

  • Vous êtes comme mon père ici et j’ai honte de mon comportement. Je ne veux pas que vous me voyez comme ça.
  • Pas plus que tu ne veux qu'elle te voie comme ça, me semble-t-il. Ne t'en fais pas, je t'ai vu dans un bien plus piètre état . Et puis, il ne tient qu’à toi de t’améliorer. Qui sait, tu pourrais peut-être bientôt trouver une raison de devenir un homme meilleur…
  • Qu’entendez-vous par là ?

Le commissaire sourit mystérieusement et rétorqua :

  • Je dis simplement que tu devrais te faire un peu plus confiance. Le véritable Nathanaël est toujours là.
  • Je crains de l’avoir perdu à cette période de ma vie.
  • Ne dis pas de sottises. Bon, c’est pas tout ça, mais je dois me rendre à une réunion ce matin. Pour le moment, on attend les conclusions des légistes et de la police scientifique et toi tu vas enquêter sur la fille dans le bar où elle travaillait. Et demande à Nino de rédiger un rapport sur les derniers événements, il le fait mieux que toi.
  • Vous savez que je suis quelqu’un de terrain.
  • Oui, tu es trop sauvage pour la paperasse, ça c’est sûr.

Nathanaël rit.

Ils quittèrent le petit café et reprirent la direction du commissariat. Arrivés sur les lieux, le commissaire s’éclipsa dans son bureau pour préparer la réunion alors que Nathanaël rejoignit l’office de son équipe. Il les salua tous avant de donner les ordres de son supérieur.

  • Comme tout le monde le sait sûrement, nous avons retrouvé la fille disparue. Elle a été assassinée et notre priorité est de mettre la main sur le coupable. Nous attendons encore les conclusions du légiste et de la police scientifique, mais il nous manque encore des éléments sur la fille en question et c’est sur son lieu de travail qu’il faut aller chercher des informations. Le commissaire m’a demandé de m’y rendre. Livia tu viens avec moi. Nino tu dois rédiger le rapport, c’est une demande de M. Chen. J’espère être rentré pour midi. Allez, on s’y met.
  • À vos ordres.

Les membres qui restaient au commissariat se dirigèrent vers les ordinateurs tandis que Nathanaël, Livia et d’autres gagnèrent les vestiaires pour enfiler leur gilet pare-balle et récupérer leurs armes.

Lorsqu’ils arrivèrent sur le lieu de l’enquête, ils virent que le bar n’ouvrait que le soir.

  • Que fait-on, inspecteur ? On tente quand même ? Demanda un des équipiers.

Nathanaël observa les alentours. Pas de caisses de livraison, pas de voiture stationnée ni de personnel en activité, même le propriétaire ne semblait pas présent. Il s’approcha de la porte et consulta le planning. Le bar n’ouvrait qu’à partir de 20 h, aucun autre horaire intermédiaire n’était inscrit sur la feuille jaunie et cornée par les années.

  • Nous allons revenir ce soir. Apparemment, il n’y a pas d’autre possibilité. Donc, rendez-vous ce soir à 20h en civil.

L’équipe acquiesça et repartit vers le véhicule. Arrivée au commissariat, elle se divisa. Seuls Nathanaël et Livia regagnèrent le bureau. Sur le perron, Livia toujours intriguée par le comportement étrange de son collègue se risqua à aborder le sujet.

  • Tu te sens mieux ? Parce qu’hier c’était pas…

Fidèle à lui-même, Nathanaël coupa court à la conversation.

  • Je croyais t’avoir déjà dit que tu n’avais pas à te mêler de ma vie ! Je vais bien ! J’ai pas besoin de ton aide !

La tension grimpa crescendo et Livia se ravisa un peu sans abandonner son idée de départ.

  • Tu as pu au moins dormir un peu ?
  • Pas vraiment, non, j’ai été appelé tôt ce matin.
  • Et pour la séance d’hier, ça t’as au moins soulagé ?

Il choisit de garder le silence, de ne pas répondre à sa question qui lui paraissait trop liée à ce qu’il s’était passé la veille. S’il y avait bien un sujet qu’il ne voulait en aucun cas aborder, c’était celui-là. Résigné, agacé, il se tourna vers elle et ajouta :

  • Écoute, ce qu’il s’est passé hier ne regarde que moi et tu n’as pas à savoir si j’ai été soulagé, si je me suis reposé ou quoi que ce soit d’autre. J’ai mes problèmes, tu as les tiens, évitons de les aborder ici.
  • Comme tu voudras. Je ne peux même pas être une amie à tes yeux alors…
  • Rien ! Tu ne représentes plus rien pour moi, tu es juste ma collègue et j’apprécierai que tu restes à ta place ou je te fais transférer dans un autre secteur.

Devant sa froideur et l’aura effrayante qu’il dégageait à cet instant, Livia finit par se taire. Elle demanda tout de même :

  • Tu comptes manger à la cafétaria ce midi ?
  • Je pense oui et je vais sûrement aller m’entraîner avant de me préparer pour l’opération de ce soir.

Nathanaël continua de monter les marches, talonné par Livia. Il avait à peine franchi la porte automatique de son lieu de travail que son sang se réchauffa. Surpris, il s’arrêta, posa la main sur sa nuque pour cacher la croix qui allait bientôt apparaître et chercha d’où pouvait venir cette sensation.

Au comptoir d’accueil, une silhouette brune demandait des informations à l’hôtesse. Une enveloppe était posée sur la planche en acajou. Curieux, il s’approcha de la fille en question. Au moment où elle se retourna, il comprit. Un silence interminable s’installa et une atmosphère étrange, à cheval entre la gêne et la joie se répandit dans l’immense pièce éclairée.

Le rouge lui monta aux joues, tout comme il monta à celles d’Aelina et un long échange visuel s’ensuivit. Aucun des deux n’osait parler. Les images de la veille devaient sans doute tourner dans leur mémoire pour générer cette drôle de situation. L’hôtesse d’accueil rompit le silence embarrassé qui flottait entre les deux personnes.

  • Capitaine, vous tombez bien ! Cette jeune personne souhaite vous voir. Apparemment c’est pour une affaire personnelle, si j’ai bien compris.

Nathanaël se tourna vers sa collègue et lui adressa un sourire de convenance qui la fit rougir, elle aussi. Le jeune homme ne laissait pas les femmes indifférentes, il le savait très bien. D’ailleurs, il se servait parfois de cet atout pour obtenir ce qu’il souhaitait. Marina, l’hôtesse d’accueil adorait les ragots et le fait qu’une fille se rende au commissariat pour une affaire « personnelle » allait ravir les langues de vipères, il en était persuadé. Ainsi, afin de ne pas ébruiter davantage la présence de cette jeune femme, il se servit de son charme. Et l’effet fut immédiat.

  • Ah oui, en effet, Marina. Il s’agit d’un témoin important dans l’affaire sur laquelle je travaille en ce moment. Son témoignage est crucial et il en va de sa sécurité. Voyez-vous son oncle est très célèbre et savoir que sa nièce est témoin dans une affaire de meurtre ternirait son image. Aelina, ici présente, devrait repartir dans son pays et ce n’est pas dans notre intérêt. Je peux compter sur vous pour garder le secret ?

Pour ajouter du glamour à sa prestation, il lui décocha un clin d’œil qui fit mouche. La jeune femme vira au cramoisi et en perdit son latin.

  • Bien entendu…vous… vous pouvez… compter sur… ma discrétion…monsieur ! Bégaya-t-elle.

Derrière lui, Aelina, hilare, essayait de cacher son rire qu’elle peinait à contenir tant la scène était comique. Un peu plus et elle se serait crue dans une de ces séries asiatiques à l’eau de rose dont les jeunes femmes raffolaient. Il était doué quand même ! Il savait vraiment comment mener les femmes par le bout du nez, pensa-t-elle.

  • Je vous remercie.

L’échange comique se termina et Nathanaël fit volte-face.

  • Bonjour, Mlle Nakayama, par ici s’il vous plait, allons dans mon bureau.
  • Très bien, répondit-elle au bord du fou rire.

Il la précéda et s’engagea dans un petit couloir qui menait à une autre porte vitrée sur laquelle était inscrits, en lettres noires son nom et sa fonction. Il déverrouilla la porte et invita la jeune femme à entrer. Il se débarrassa de sa veste et de son gilet pare-balle qu’il accrocha au porte manteau avant d’aller rejoindre son siège. À ce moment, Aelina engagea la conversation.

  • Pratique l’excuse de mon oncle qui est riche et célèbre.

Nathanaël éclata de rire.

  • Je suis désolé, mais les ragots vont vite ici et il est rare qu’une jeune femme me demande.
  • Je vois ça. Quel succès, capitaine Leroy ! Vous êtes un véritable bourreau des cœurs, commenta-t-elle, une once de sarcasme dans sa voix.

Gêné qu’elle ait pu le voir sous cet angle encore une fois, il se râcla la gorge et tenta d’aborder un autre sujet.

  • Alors qu’est-ce qui vous amène aujourd’hui ? Je vous ai manqué ? Ironisa-t-il.

Embarrassée à son tour, Aelina se renfrogna.

  • Pas du tout. Je suis ici pour affaire.
  • Ça concerne la recherche de votre passé ? Vous avez réfléchi à mon offre ? Embraya-t-il.

Aelina, un peu intimidée à l’idée de se remémorer leur échange de la veille, déglutit avant de répondre.

  • Oui, j’y ai réfléchi. Je n’ai pas d’autre piste, je ne connais personne ici, ce qui limite mon champ de recherche, alors que vous disposez de ressources auxquelles je n’ai pas accès. Si vous êtes toujours d’accord, j’aimerais que vous m’aidiez dans mes investigations. Je pense que je ne vais pas tenir longtemps ici sans allié et l’enquête s’avère plus compliquée que prévu. Lorsque j’étais au Japon, je n’avais pas réfléchi à tout ça. J’ai vraiment besoin d’en apprendre plus sur moi-même. C’est important et nécessaire si je veux avancer dans ma vie ! Clama-t-elle.
  • Je vous ai proposé mon aide, ce n’est pas pour vous la refuser le lendemain !
  • Alors vous acceptez de m’aider ?

Il hocha la tête en signe d’approbation. Un sourire illumina le visage tiré de la jeune femme et son cœur qu’il peinait à contrôler depuis qu’il l’avait rencontrée dans le hall d’entrée s’emballa. Elle déposa l’enveloppe qu’elle avait récupéré à l’accueil sur le bureau et la glissa vers l’inspecteur.

  • Qu’est-ce que c’est ?

Elle fixa le bois du bureau pour mieux se concentrer.

  • Il s’agit des recherches que j’ai menées depuis le Japon et qui m’ont menée au bar, de la photocopie de la lettre que j’ai reçue de mon oncle et les affaires de nourrisson qu’il a conservées. Ce n’est pas grand-chose et ça ne vous sera peut-être pas utile, mais c’est tout ce que je possède.

Il décacheta l’enveloppe, en sortit son contenu, le parcourut rapidement avant de le poser sur son bureau.

  • Comptez sur moi, je vais faire mon possible. Pourriez-vous me donner certaines de vos esquisses, s’il vous plait ?

La jeune femme écarquilla les yeux.

  • Pour quelles raisons ?

Le flash de la soirée de la veille lui revint en mémoire et il tenta de cacher l’embarras qui poignait sur son visage émacié. Sa jambe commença à bouger subtilement, il croisa ses mains pour essayer d’installer une zone de confort, mais son regard si franc, si perçant, si rempli d’interrogations, braqué sur lui, le mettait très mal à l’aise. Comment expliquer qu’il avait découvert des indices sur la nature de la portraitiste à travers ses dessins ? En était-elle seulement consciente ? Le croirait-elle ? Il ricana intérieurement. Il lui serait impossible de le croire sur parole, pas sans preuve tangible. Il réfléchit donc à une excuse pour en récupérer et approfondir sa recherche.

  • J’ai…entendu dire que parfois les dessins pouvaient cacher des indices, même inconscients.
  • Vous en avez trouvé, s’étonna-t-elle.

Il se racla la gorge, réfléchit, choisit de mentir.

  • Non, mais cela ne saurait tarder. Je suis flic vous savez. Observer, chercher des détails, c’est mon travail.

Elle haussa les épaules, sembla le croire et répondit.

  • Dans ce cas, je vais vous en ramener. Je n’en ai pas sur moi, mais ce soir j’aurai ma pochette je peux peut-être passer vous en déposer.
  • Je ne suis pas là ce soir, j’ai une intervention, on peut peut-être se donner rendez-vous, ici ou dans un autre endroit ?
  • Je peux passer demain midi si vous le souhaitez ? J’ai une longue pause.
  • Parfait, faisons cela. Je vous attends demain midi.

Aelina se leva pour indiquer la fin de l’échange, Nathanaël en fit de même. Il la raccompagna dans le hall, la salua et repartit vers son bureau.

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