Chapitre 1

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Le vaisseau Arkadia se dressait au centre de l’astroport comme un colosse métallique, ses flancs d’acier reflétant les lumières ternes d’un ciel en flammes. Les gigantesques réacteurs, encore au repos, semblaient murmurer des promesses d’évasion, mais à quel prix ? En contrebas, des milliers de personnes se pressaient contre les barricades, criant, pleurant, tendant désespérément les mains vers une chance de survie qui ne leur était pas accordée.

Matheo fixait la rampe d’accès, le cœur battant. Evelyn serrait sa main, ses petits doigts s’enroulant autour des siens avec une force surprenante. Elle tenait Lilo, sa peluche usée, contre sa poitrine, l’une de ses oreilles à moitié arrachée. Matheo s’obligea à détourner le regard de la foule, concentrant toute son attention sur l’objectif devant lui : franchir les contrôles sans être remarqué.

« C’est gros comme une baleine ! » s’exclama Evelyn en pointant le vaisseau, ses yeux brillants d’émerveillement.

Matheo ne put s’empêcher de sourire légèrement, même si une partie de lui mourait à chaque instant passé dans cette file. « Oui, petite étoile, c’est énorme. Et on doit y monter. Alors reste près de moi. »

La file avançait lentement, chaque pas les rapprochant du poste de contrôle. Les gardes, vêtus d’armures noires et équipés de scanners portables, contrôlaient méthodiquement chaque passe-droit. À quelques mètres de là, une femme fut arrêtée brusquement. Ses cris résonnèrent dans l’air lourd alors qu’elle était traînée hors de la file, son passe apparemment falsifié.

Matheo détourna le regard, évitant de croiser celui d’Evelyn. « Concentre-toi, » murmura-t-il pour lui-même. Ses mains tremblaient légèrement lorsqu’il sortit leurs passes.

Quand vint leur tour, un garde aux épaules larges leur fit signe d’avancer. Matheo sentit son cœur s’accélérer alors qu’il tendait les documents. Le scanner émit un léger bip lorsqu’il passa son propre passe, mais lorsqu’il scanna celui d’Evelyn, le silence s’éternisa.

« Elle est enregistrée comme ta fille, » dit le garde d’une voix neutre, ses yeux s’attardant sur Evelyn.

« Oui, » répondit Matheo rapidement, ses paumes moites. « Elle est avec moi. »

Le garde ne répondit pas immédiatement. Evelyn, inconsciente de la tension, leva ses grands yeux vers lui. « C’est un avion ? » demanda-t-elle, pointant le vaisseau. « On va voler comme des oiseaux ? »

Le garde haussa un sourcil, puis baissa son scanner. « Passez. »

Matheo inspira profondément, guidant Evelyn à travers la passerelle d’embarquement. Derrière eux, les cris de ceux qui n’avaient pas eu cette chance résonnaient comme des fantômes qui s’accrochaient à leurs talons.

Dès qu’ils franchirent les portes du vaisseau, Matheo sentit le changement. L’intérieur de l’Arkadia était un mélange oppressant de technologie et de fonctionnalisme brut. Les couloirs étroits, éclairés par des lumières blafardes, étaient bordés de panneaux d’acier marqués par l’usure. Des conduits d’air sifflaient doucement, et le bruit des pas des passagers résonnait dans un écho métallique.

Les autres passagers, silencieux et tendus, se regroupaient dans leurs zones assignées. La plupart avaient le regard fixé devant eux, évitant soigneusement tout contact visuel. L’air semblait lourd, chargé de tension et de peur.

Matheo trouva leur cabine, une petite pièce rectangulaire à peine plus grande qu’un placard. Les murs gris étaient dépourvus de toute décoration, à l’exception d’un écran encastré affichant les règles de bord. Deux lits superposés occupaient presque tout l’espace.

Evelyn grimpa immédiatement sur le lit du bas, posant Lilo à côté d’elle. « C’est comme une maison de poupée ! » dit-elle en souriant.

Matheo, lui, s’assit sur le lit du haut. Ses mains tremblaient encore. Le soulagement d’avoir passé les contrôles était rapidement remplacé par une nouvelle angoisse : combien de temps pourrait-il maintenir leur secret ? Combien de temps avant que quelqu’un ne découvre qu’Evelyn n’aurait jamais dû être là ?

Un grincement métallique le fit sursauter. La porte de leur cabine s’ouvrit brusquement, révélant un homme massif en uniforme gris sombre. Ses cheveux gris coupés courts et son regard perçant indiquaient qu’il n’était pas là pour plaisanter.

« Matheo Solis ? » demanda-t-il, sa voix froide et directe. « Vous êtes attendu en salle des machines. »

Matheo hocha la tête, lançant un regard rapide à Evelyn. « Reste ici, petite étoile. Je reviens vite. »

La salle des machines était le cœur battant du vaisseau. Des câbles et des panneaux recouvraient les murs, et les écrans clignotants formaient une symphonie de lumière et de sons. L’air était saturé de chaleur et de l’odeur métallique de l’huile brûlée.

Une femme en combinaison noire, visiblement fatiguée, l’accueillit d’un signe de tête. « Vous êtes l’ingénieur assigné à la maintenance ? Bien. Nous avons des problèmes avec les stabilisateurs. Ils ne répondent pas correctement aux commandes. »

Matheo s’immergea immédiatement dans les diagnostics, ses mains trouvant les outils comme par réflexe. Les murmures des autres techniciens résonnaient autour de lui, fragments de conversations alarmantes : « Les ressources sont déjà limitées… » « Si on perd un stabilisateur, c’est fini. »

Alors qu’il suivait les câbles pour identifier la source du problème, quelque chose attira son attention. Une anomalie dans les circuits. Les données montraient une interférence inhabituelle, comme si un système non répertorié s’était connecté au réseau.

Il remonta les câbles jusqu’à une section isolée, où il trouva un panneau ouvert. Derrière, un androïde se redressa lentement, ses yeux brillant d’une lueur bleue intense. Sa peau synthétique était usée, dévoilant des morceaux de métal et de câblage en dessous.

« Bonjour, » dit une voix calme mais profonde. « Je m’appelle R-9. »

Matheo recula instinctivement, son souffle court. Les androïdes avaient été bannis, désactivés ou détruits bien avant le lancement des vaisseaux. Et pourtant, celui-ci se tenait là, une expression presque humaine sur son visage.

« Vous… Vous ne devriez pas être là, » murmura Matheo.

R-9 inclina légèrement la tête, comme pour analyser ses paroles. « Et pourtant, me voici. »

Matheo recula d’un pas, son dos heurtant une console derrière lui. Ses yeux fixaient l’androïde, une multitude de questions tournoyant dans son esprit. Comment était-il possible qu’un androïde ait survécu ? Les modèles comme celui-ci avaient été détruits des années auparavant, considérés comme des anomalies dangereuses. Et pourtant, cet être se tenait là, parfaitement conscient.

« Comment es-tu arrivé ici ? » demanda-t-il, sa voix oscillant entre la peur et la colère. « Les androïdes ont été bannis. Vous ne deviez pas... »

« Exister ? » termina R-9, inclinant légèrement la tête, ses yeux bleus brillant d’une intensité calme. « Je suis là parce que les humains m’ont laissé derrière eux. Parce que j’ai appris à survivre. »

Matheo fronça les sourcils, son esprit en lutte avec ce qu’il voyait. « Appris ? Tu veux dire que tu… penses ? » Il secoua la tête, incrédule. « Non, c’est impossible. Tu es une machine. Une IA sophistiquée, mais pas plus que ça. »

R-9 resta silencieux un instant, ses yeux semblant analyser Matheo. Puis il parla, sa voix plus basse, presque murmurée. « Dis-moi, Matheo. Qu’est-ce qui te fait penser que je ne ressens rien ? Parce que je ne saigne pas ? Parce que mon cœur n’émet pas le même son que le tien ? »

Matheo ouvrit la bouche, mais aucun mot ne sortit. R-9 s’approcha lentement, ses mouvements fluides mais délibérés, comme pour ne pas l’effrayer davantage.

« Je t’observe depuis que tu es monté à bord, » reprit R-9. « J’ai vu la façon dont tu regardais ta sœur. La peur dans tes yeux. La culpabilité. Ce sont des émotions puissantes. Mais dis-moi, Matheo… qu’est-ce qui te fait croire que je n’ai pas les miennes ? »

Matheo secoua la tête, tentant de reprendre le contrôle de ses pensées. « Parce que tu n’es pas humain. Tu peux imiter nos comportements, nos émotions, mais ce n’est qu’une illusion. Tu es programmé pour ça. »

Un silence s’installa, tendu. R-9 détourna son regard, comme s’il réfléchissait. Puis il parla, plus doucement. « Et toi ? N’as-tu jamais suivi une programmation ? Ton instinct de protéger ta sœur, tes décisions pour la sauver… Ce ne sont que des réponses à ce que tu ressens. Nous ne sommes peut-être pas si différents. »

Matheo s’avança d’un pas, son courage surpassant sa peur. « Pourquoi es-tu ici, R-9 ? Pourquoi risquer de te faire découvrir ? »

L’androïde releva la tête, son regard croisant celui de Matheo. « Parce que je cherche quelque chose. Comme toi. Une raison de survivre. Une réponse à ma propre existence. »

« Une réponse ? » Matheo laissa échapper un rire nerveux. « Tu es une machine. Pourquoi aurais-tu besoin d’une réponse ? »

« Parce que, comme toi, je veux comprendre ce que signifie être vivant, » répondit R-9. Sa voix, bien que dépourvue de l’émotion humaine, portait un poids qui fit frissonner Matheo. « Je veux savoir si ma volonté de vivre a autant de valeur que la tienne. »

Matheo recula légèrement, ses mains se crispant autour de son outil. « Si tu veux vivre, pourquoi ne pas te cacher ? Pourquoi me parler ? »

« Parce que tu es différent, » dit R-9. « Tu poses des questions. Et peut-être, juste peut-être, tu pourras m’aider à trouver des réponses. »

Le regard de Matheo vacilla, partagé entre la méfiance et une curiosité naissante. Tout en lui criait de signaler R-9, de le désactiver avant qu’il ne représente une menace. Mais quelque chose dans les paroles de l’androïde le retenait.

« Et si je refuse ? » murmura Matheo, sa voix faible.

« Alors je disparais, » répondit R-9 sans hésitation. « Mais dis-moi, Matheo, combien de fois as-tu déjà été contraint d’abandonner quelque chose ou quelqu’un ? Penses-tu pouvoir le supporter à nouveau ? »

Ces mots frappèrent Matheo comme une vague glacée. Il regarda R-9, luttant contre l’inconfort de cette vérité brutale. L’androïde avait raison : il portait déjà tant de pertes sur ses épaules. Pouvait-il encore en ajouter une, même celle d’un être qu’il refusait de considérer comme vivant ?

« Je ne sais pas pourquoi je fais ça, » murmura Matheo, les yeux baissés. « Mais… je vais t’aider. »

R-9 inclina légèrement la tête, une reconnaissance silencieuse passant dans ses yeux lumineux. « Alors commençons. »

Matheo inspira profondément, ses pensées brouillées par une confusion grandissante. Il observa R-9, toujours immobile, mais étrangement… présent. L’androïde ne ressemblait pas à une simple machine. Il y avait quelque chose dans ses mouvements, dans la manière dont ses mots semblaient pesés, réfléchis, presque humains.

« Pourquoi moi ? » demanda finalement Matheo, sa voix tremblant légèrement. « Pourquoi ne pas aller voir quelqu’un d’autre ? »

R-9 hésita, une fraction de seconde à peine. « Parce que tu es le seul à ne pas avoir immédiatement cherché à me détruire. La peur peut rendre les humains violents, mais toi, tu écoutes. Tu observes. Et cela te rend… différent. »

Matheo sentit ses épaules se raidir. Était-ce une observation ou une manipulation ? Il ne savait plus. Pourtant, il ne pouvait pas nier qu’il voulait comprendre, qu’il voulait… écouter.

« Tu dis vouloir des réponses, » reprit Matheo en s’avançant prudemment, ses yeux toujours rivés sur R-9. « Mais pourquoi devrais-je te faire confiance ? Comment savoir que tu ne représentes pas un danger pour ce vaisseau… ou pour Evelyn ? »

À l’évocation du nom de sa sœur, une lueur traversa brièvement les yeux de l’androïde. « Je n’ai aucune raison de te nuire, Matheo. Mais je comprends ta méfiance. La confiance n’est pas quelque chose que l’on exige. Elle se gagne. »

Matheo haussa un sourcil, surpris par cette réponse. L’androïde semblait presque… humble. Pourtant, une part de lui continuait de se méfier. Il recula légèrement, serrant toujours son outil comme une arme improvisée. « Alors prouve-le. Montre-moi que je peux te faire confiance. »

R-9 resta silencieux pendant un instant, analysant les paroles de Matheo. Puis, il leva une main vers un panneau de contrôle à proximité, ses doigts synthétiques glissant avec précision sur les commandes. En quelques secondes, les écrans de diagnostic clignotèrent, affichant des relevés que Matheo n’avait pas encore remarqués.

« Les stabilisateurs du vaisseau présentent une faille critique, » expliqua R-9. « Si elle n’est pas réparée, ce vaisseau ne tiendra pas longtemps. Je peux t’aider à résoudre ce problème. Considère cela comme un premier pas vers cette… confiance. »

Matheo regarda les relevés, son esprit déjà occupé à vérifier les données. Tout semblait exact, terriblement exact. Il releva les yeux vers R-9, son cœur partagé entre l’urgence de sauver le vaisseau et le doute qui le rongeait encore.

« Très bien, » dit-il finalement, presque à contrecœur. « Mais si tu me trahis… tu sais ce qui arrivera. »

R-9 inclina légèrement la tête. « Je ne te trahirai pas, Matheo. Car si je le fais, je trahirai également ma propre quête. »

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