Jasmin
Fébrile, j’avance d’un pas incertain. Tu es là si près et loin à la fois, vêtue de ta robe nuptiale, à la traîne interminable et aux fleurs en dentelles. L’ivoire souligne ta chevelure de jais aux boucles parfaites. Dieu ! Tes cheveux dont la senteur de jasmin me hante jusque dans le royaume d’Hypnos. Un sanglot roule dans ma gorge. Laisse-moi donc m’approcher encore.
Mes mains tremblantes se tendent vers toi, ma douce amie, avant de se figer dans les airs. Je n’en ai pas le droit. Peu importe à quel point ton être m’attire. Tu es si belle, envoûtante. Pourtant… Je ne le retrouve plus ce brasier, cet éclat, si précieux et fougueux. Tes paupières closes gardent tes saphirs cachés.
Je t’appelle. En vain. Une main se pose sur mon épaule, ton époux nous laisse seuls. Une complainte brise mon silence. Je suis navré, ma chère, je dois juste… Je dois juste reprendre un peu contenance. Comme tu me l’as toujours conseillé. Un gémissement brave la barrière de mes dents. Non. Tu n’aimes… n’aimais pas ça.
Ma mine se froisse. La tienne reste de marbre, semblable à ce lit en pierre. Les fleurs t’entourent, te bercent, dans cette ultime repos qu’est le tien. Le parfum des fleurs me frappe. Roses, géraniums, gerberas, bruyères, œillets et chrysanthèmes. Elles se mêlent et m’agressent. Je me frotte les yeux et récupère un écrin dans la poche intérieure de ma veste.
Nerveux, je l’ouvre et en sort un pendentif. Je te prie de ne pas m’en tenir rigueur, alors que je le glisse entre tes mains. Un hoquet m’abandonne. Je frotte ta peau si glacée. Tu ne supportes pas le froid. Ça te rappelle de mauvais souvenirs. Tu me le disais si souvent ! Toi, tu rêvais du sable et de la mer à perte vue, d’un soleil fort et bienveillant.
J’aurais voulu t’y emmener. Ne serait-ce qu’une journée. On se serait promenés, pieds nus dans les grains chauds – presque brûlants. Réflexion faite, tu aurais plutôt joué avec les vagues et l’écume. Tu aurais chassé inlassablement l’eau indomptable, ri à gorge déployée comme lors de notre première rencontre. Et les coquillages !
On en aurait ramassé au point de ne plus savoir qu’en faire. Alors, tu m’aurais demandé de les rendre à la nature. Sans savoir que je les garderais en secret. Pourquoi ? Oh ma douce, la réponse est si simple. Un regard envers ces coquilles vides et ton visage me serait apparu. Ne ressens pas de pitié envers cet aveu enfantin, proclamé par un couard. Je t’en prie. Je suis navré. Je ne peux me retenir.
Pas aujourd’hui, alors que tu es là sans l’être. Pardonne-moi, juste pour cette fois ! S’il te plaît. Oublie cette faiblesse qui m’habite. J’essuie mes larmes et te souris, à toi dont la voix ne chante plus à mes oreilles. Ce sera la première et la dernière fois. Après je tairai ces mots destructeurs. Je t’en fais le serment, laisse-moi les délivrer en cette matinée meurtrière, eux qui ont été emprisonnés le plus beau jour de ta vie.
— Je t’aime, Érica. Je t’aime depuis le premier jour. Je t’aime, toi et ta passion pour la danse et les langues étrangères. Je t’aime, autant que tu me le permettras. Je t’aime, toi et ton rire capable de faire sourire même le plus sombre des hommes. Je t’aime, toi et ta passion des jasmins. J’aime tout de toi : ta cuisine étrange, tes mauvais jours, tes larmes. Tout ! Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime. Érica, je t’aime... Alors, je t’en supplie : réveilles-toi, ma douce.
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