Les familles de Revenants (1/2)
Avertissement au lecteur: Les Revenants constituent un sujet particulier déplaisant.
New-York, 1er janvier 1990
La fête organisée à la Fondation pour l’Héritage Roumain du nouvel an résonne encore dans mes tympans et je la vois encore si je ferme mes paupières. Tout était excessif: les lumières aveuglantes, la musique assourdissante, et les parfums profanes de la nourriture se mélangeaient à ceux des invités et à l’odeur du sang versé. J’ai tout de même pris une coupe de champagne pour fêter cette fin d’année exceptionnelle.
J’ai fait mon travail et assisté pour les miens, en me présentant comme Grimaldi, à cette réception organisée par les Zantosa de New-York. Cela m’a permis de prendre pleinement conscience de l’ampleur de la décadence des autres familles féales. L’argent dépensé en luxe et en vanités bien sûr, le goût de se complaire en hurlements et gesticulations hors de tout intellect, évidemment. Cela, je m’y attendais. Mais cela ne s’est pas arrêté là.
Les Bratovitch et les Zantosa ne s’entendent guère, mais se rejoignent sur un point: ce soir, ils ont offert en pâture à nos maîtres non-humains leurs enfants handicapés. Génétiquement handicapés, j’entends. Les petits déficients intellectuels qu’il faut écarter de nos mariages pour préserver nos lignées. Personnellement, si un membre de ma famille engendrait une telle déchéance, je la noierai moi-même dans la plus grande discrétion et avec la plus grande honte. Que les Tzimisces présents ce soir acceptent un tel cadeau sans se faire la même réflexion (a-t-on au moins stérilisé les parents pour l’amour de Caïn ?), montrent bien le peu d’importance qu’ils nous accordent aujourd’hui. […]
Journal de George C., Obertus
Les familles de Revenants (ou Féaux dans les précédentes éditions) des Tzimisces sont indissociables de l’histoire du clan. Comme les Démons sont au mieux réticents, voire inaptes à entretenir des relations avec des mortels normaux, ou encore à y trouver des infants potentiels, ces lignées de mortels maudits revêtent une importance majeure pour leur mode de non-vie en Europe de l’Est.
Mais au fait, qui donne des ordres aux Revenants ?
La question n’est jamais explicitée nulle part. Au vu de l’attachement des Tzimisces à leurs propriétés privées et leur absence de cohésion en tant que clan, c’est assez étonnant, sans parler du fait que les Revenants sont en eux-mêmes des bris ambulants de Mascarade: ces familles humaines en savent très long sur les vampires, mais personne ne semble se soucier de les contrôler de très près.
Cela indique probablement que les familles principales (au moins les Bratovitch et les Zantosa/Zantovitch) sont d’ascendances très anciennes, et que lorsque les créateurs originels de ces lignées maudites sont entrés en torpeur ou mort, leurs représentants se sont éparpillés dans la nature. De facto, certaines branches dans les lignées sont au service du même Démon ou de la même lignée de Démons depuis des générations. D’autres ont gagné une espèce de semi-liberté en étant loyal à un groupe (le Sabbat ou la ligue Oradea, par exemple), et pouvant faire payer leurs services aux Caïnites qui ont recours à leur aide.
Leur loyauté fonctionne selon un principe simple de la carotte et du bâton:
la carotte est évidemment la promesse d’étreinte obtenue d’un vampire pendant un échange spécifique, de la Vitae et d’autres services.
Le bâton est plus subtil: les Revenants ne sont pas, jamais, des gens recommandables. Et ils savent exactement ce qu’ils sont. Certains vont offenser moins fréquemment les règles de moralités humaines que d’autres, mais in fine, toutes les familles de Revenants partagent un fonctionnement quasi-sectaire, un fort complexe de supériorité face à l’humain moyen, et comprennent juste assez comment les sociétés fonctionnent pour savoir que s’y intégrer ne les intéressent pas. De toute façon, leur style de vie leur vaudrait autrement d’être arrêté et enfermé rapidement s’ils se dévoilaient.
Le vingtième siècle a été une lente, longue et douloureuse déchéance qui a réduit leur statut et leur influence plus sûrement que la Révolte Anarch ou les feux de l’Inquisition. Les problèmes des Revenants n’ont pas débutés avec les régimes communistes, mais bien avant: tout découle des évolutions démocratiques, et sociales.
Les privilèges des nobles se sont effrités progressivement pour améliorer une meilleure redistributions des terres sur les franches les plus pauvres de la population. L’avènement des journaux, des moyens de communication plus rapides ont rendu leurs déprédations plus délicates à cacher. L’avènement de la collectivisation et la perte totale de leurs terres et de leurs propriétés a été le coup de grâce.
L’arrogance des revenants a été sévèrement ébranlée. Il y eu un exode massif vers d’autres contrées, et une minorité qui a su s’adapter à l’air du temps, souvent au prix de terribles sacrifices.
Les Démons les plus malthusiens ont considéré que cela a été l’occasion d’éliminer les plus faibles et les plus incompétents de leurs serviteurs. C’est nier les conséquences: la disparition progressive des revenants a accompagné celle de l’influence du clan Tzimisce dans les Carpates.
Les Bratovitch
Les Bratovitch étaient des seigneurs et des propriétaires terrestres, répartit en une multitude de lignées dans toute l’Europe de l’Est.
Quand les communistes sont venus frapper à leur porte une première fois pour les exproprier, ils ont ri. La deuxième fois, ils ont massacré les agents pour l’exemple en laissant un survivant raconter ce qu’il avait vu. La troisième fois, les agents des nouveaux États sont revenus avec des chars.
Entre 1945 et 1947, ils ont tout perdu: Leurs titres, leurs terres, leur argent, leurs privilèges et prérogatives, et leurs postes publics pour ceux qui avaient un. Enfin, pour les jeunes: les adultes de cette génération sont souvent morts sur place ou disparu en déportation.
Beaucoup ont fui l’Europe de l’Est à tout pris en vendant ce qui leur restait, à la fois pour ne pas vivre une telle humiliation, mais aussi pour ne pas rendre de compte à leurs seigneurs vampiriques quant à leur totale incompétence. Quelques uns ont rejoint le maquis et la résistance face au nouveau régime dans les montagnes.
Ceux qui ont essayé de jouer le jeu du nouveau régime ne s’en sont pas bien sorti: les Bratovitch, à l’image de leur faiblesse de revenants, ne brillent pas par leur intelligence ou leur subtilité. Remonter l’échelle sociale dont ils ont lourdement dégringolé était pratiquement impossible. Quelques-uns ont tout de même réussi à obtenir des postes à responsabilité, le plus souvent en changeant de famille, jurant de renier leurs origines aristocratiques et en dénonçant leurs cousins qui n’avaient pas fait les mêmes choix… Voire leurs anciens maîtres.
A la fin des années soixante ou début des années soixante-dix, la Securitate a commencé à recruter des agents issus des orphelinats roumains. De base, nombre de personnes sorties à l’âge adulte de ces endroits ont des troubles du comportement dû à un environnement traumatisant. Mais les autorités ont noté que certains éléments avaient un tempérament colérique et une brutalité remarquable qu’il convenait d’exploiter convenablement. Il est envisageable que le régime ait, volontairement ou non, endoctriné et recruté des rejetons Bratovitch parmi ses agents.
Après 1989, les immigrés et descendants d’immigrés Bratovitch n’ont pas semblé accorder beaucoup d’importance au peu qui leur restait en Europe de l’Est. Officiellement du moins. La famille a beaucoup de rancoeur et de comptes à régler entre ses membres suite aux choix faits à l’époque. Entre ceux qui ont fui, ceux qui ont survécu avec ou sans trahir, les différentes branches des Bratovitch ont de quoi s’entre-tuer pour le prochain siècle entier.
Les Grimaldi
Les Grimaldi étant d’origine italienne, ils ne se sentent pas concernés par tout ce qu’il s’est passé en Europe de l’Est, et ils s’en félicitent chaque jour en regardant leurs comptes en banque avec un soupir de soulagement.
Peut-être que certains membres de cette famille de Revenant ont pu participer au réseau de trafic de biens venus d’Europe de l’Ouest pour graisser la patte de la Nomenklatura et se (re)faire une petite place, toujours de façon extrêmement discrète. Leur rôle aura été plus important pour fournir les capitaux nécessaires à la Fondation pour l’Héritage Roumain pour certaines activités en lien avec la Roumanie.
Après 1989, ils se sont trouvé un rôle plus important en rachetant les actifs des services d’Etat lors de leur privatisation (voir Gazrom), plutôt en anticipant une demande de leurs maîtres que par affect personnel.
Les Obertus
La discrète famille Obertus est avant tout constituée d’intellectuels diversement névrosés, avec un fort ancrage dans certaines communautés orthodoxes hérétiques. Les problèmes que les Obertus ont rencontré sont donc différent des autres familles féales.
L’église orthodoxe de Roumanie a très vite était infiltrée et prise en main par le régime communiste. Quoique celui-ci fut officiellement athée et ait fait la chasse aux superstitions religieuse (allant jusqu’à remplacer le Père Noël par le personnage de “grand-père Gel” et interdire nombre de cérémonies et coutumes religieuses), l’église orthodoxe a été moins persécutée que d’autres religions en Roumanie à la même période. Il y eu toujours des cadres du Parti croyant, baptisé à la naissance, allant à la messe tout les dimanche et recevant l’extrême-onction sur leur lit de mort. L’aval du parti communiste était nécessaire avant toute nomination d’une personne à un poste religieux d’importance.
Les autres cultes ont été expropriés de leurs biens, y comprit leurs lieux de culte, et les assemblées religieuses persécutées.
Plus encore, le parti communiste se méfiaient beaucoup des “intellectuels” (disons, toute personne ayant un métier en lien avec une forme de réflexion); Être perçu comme tel par le régime pouvait mener à des mises sur écoute, passage à tabac, arrestations pour “parasitisme”, alors que c’est le régime lui-même qui rendait toute embauche impossible. Émettre une opinion non-approuvée par le régime pouvait valoir à un enseignant universitaire d’être rétrogradé à faire le ménage dans son bâtiment. L’adage, à l’université de Bucarest, voulait que le savoir cumulé chez les agents d’entretien soit supérieur à celui des directeurs de recherches. Certains ont émigré et quitté le pays, les autres ont résisté à leur manière.
Quoique certains Obertus aient pu se cacher et se faire oublier du Parti, l’existence de nombre de membre de la famille a été extrêmement ardue. Les handicaps mentaux les plus fréquents chez eux ne sont pas compatible avec le comportement attendu d’un bon citoyen. Beaucoup ont été déporté ou ont disparu dans les prisons du régime pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec les Caïnites. Ils ont souvent cachés d’importantes quantités de documents dans des endroits plus ou moins improbables pour que leurs travaux leurs survivent en cas d’arrestation et développé des phrases à double sens pour se communiquer leur situation entre eux sans éveiller les soupçons.
Ils ont aussi exploité la destruction de lieux de cultes et de bâtiments anciens pour mettre la main sur nombres d’objets dont le régime ne voulait plus. Ceux qui ne les intéressaient pas ont été revendu au marché noir, les autres mis en sécurité comme plus personne d’autre ne s’en souciait. Ils ont ainsi mis la main sur tout un butin constitué de documents ou objets de cultes datant de l’Empire Romain d’Orient ou de l’Empire Ottoman.
Les Oprichniki
Les Oprichniki sont originaires de Russie. Ils ont donc goûté aux expropriations et aux persécution dès 1919. Un certain nombre avaient émigré en Europe de l’Est et donc connu un ravivement une répétition du désastre dans la période d’après la seconde guerre mondiale.
Être au service des Tzimisces indépendants et non du Sabbat n’a fondamentalement pas changé grand chose à leur sort, par comparaison aux autres familles féales. Les biens qu’ils avaient ont été confisqué. Ceux qui s’étaient mêlés de politique avec le précédent régime d’extrême-droite pendant la seconde guerre mondiale ont été déporté ou sont morts. Mais comme ils n’avaient pas de titres aristocratiques ou de fortunes de même prestige que les Bratovitch et Zantovitch, la chute a été un peu moins dure.
La plupart ont réagi très rapidement pour protéger leurs maîtres: intégration au parti communiste, changement de nom de famille, dénonciation des autres revenants dont ils avaient connaissances: savoir comment le régime allait être mis en place (avec la complicité de leurs quelques cousins restés en Union Soviétique) leur a permis d’être très efficace.
Un certain nombre ont pu même intégrer la Nomenklatura et la Securitate afin de faire disparaître les documents compromettant sur les Caïnites et leurs maîtres en particulier. Ils ont prospéré sous le régime, et ont miné l’efficacité de la Direction VI autant qu’ils ont pu… Au moins en ce qui concerne les actions touchant aux membres de la ligue Oradea.
Bonus aide de jeu role-play
Les joueurs qui souhaitent incarner un ex-orprichnik étreint et passé au Sabbat et le maître de jeu risquent de se retrouver devant un flou dans les règles: si le joueur prends le handicap “faiblesse de revenant” pour garder dans la non-vie le handicap de la famille, celui-ci consiste en un fantôme qui hantera le personnage ad vitam eternam (ou jusque le personnage trouve un moyen de s’en débarasser, et un autre prendra sa place…)
Mais les conséquences de la présence de ce fantôme ne sont pas claires. Entre oublier de le jouer et rendre la non-vie du personnage impossible, il faut trouver un juste milieu.
Le fantôme a un nom, une histoire, et une personnalité. A partir de cela, il va avoir des priorités quand à sa gestion de sa propre énergie pour faire savoir qu’il désapprouve telle ou telle action du personnage:
Notez sa ou ses susceptibilités spécifiques: le fantôme ne supporte pas certaines formes de violence, sur les innocents ou certains groupes de personnes. Si le personnage se livre à certaines actions, “attaquer un enfant”, “voler une personne âgée”, “profiter de l’ivresse de quelqu’un”, le fantôme va tenter diverses actions pour le punir sur le reste de la scène.
Pour cela, inspirez-vous des films de fantômes: il va ternir les miroirs (pensez aux rétroviseurs de voiture…), gripper les moteurs, faire mourir les plantes, enrayer les armes, allumer ou éteindre la lumière. Ou hurler dans les oreilles du personnages, qui sera le seul à l’entendre mais dont les actions en seront perturbées.
Les Zantovitch / Zantosa
Le début et la fin de l’histoire des Zantovitch ressemble à celle des Bratovitch, mais le milieu est bien différent.
En Amérique, les Zantosa sont connu pour être la pire des familles de Revenants: dépravés, décadents et incompétents au dernier degré. Leurs cousins survivants en Europe de l’Est ne peuvent se permettre le luxe du dernier adjectif.
Les paysans et voisins roumains ont été plus que soulagé que ces aristocrates soient enfin exportés et déportés. Les enfants ont confiés aux services sociaux, c’est à dire placés en orphelinat dès 1947.
C’était sans compter que nombre de personnes envoyées au goulag à cette période ont fini par revenir quelques années plus tard. En outre, les survivants Zantovitch avaient les habiletés sociales qui manquaient aux autres familles féales, doublé d’une absence totale d’orgueil quand à ce qu’ils allaient devoir faire pour survivre.
Ils ont changé de nom. Ils n’ont plus leurs palais d’antan, ou alors réduit à une pièce car leur résidence aura été redécoupée pour y accueillir des familles d’ouvrier.
Une fois le malentendu autour des buts du régime dissipé, c’est à dire dès qu’il a été acquis que les nouveaux maîtres de la Roumanie n’étaient là que pour sécuriser le pouvoir de la Nomenklatura et pas pour les lendemains qui chantent pour le peuple, les Revenants sont passé aux choses sérieuses. Ils pouvaient également initier les nouveaux maîtres en Roumanie à tous les menus avantages d’un pouvoir sans partage, et ne s’en sont pas privé. Si cela ne suffisait pas, une fois un pied dans la Nomenklatura, le chantage est devenu leur spécialité.
Quand la dictature est tombée en 1989 et que la communication avec les cousins éloignés est devenue plus facile, la scission entre les Zantosa et les Zantovitch est subtile. Comme la Roumanie a fait assez peu de travail pour condamner les cadres du régime communiste en dehors des Ceausescu, les Zantovitch en place dans l’appareil d’état ont le plus souvent gardé leur poste. Quelques uns ont été étreint en reconnaissance des services rendus. Mais les tensions entre le minuscule groupe restant “Zantovitch” et le groupe du Nouveau Monde “Zantosa” sont présentes. Le mépris mutuel ne fait que croître, chacun considérant l’autre comme de profonds arriérés. Si les Tzimisces et toute personne intéressés par la politique des familles féales s’attend à ce que les Bratovitch s’affrontent régulièrement dans des rixes familiales, la déflagration Zantovitch risque d’être plus systématique et bien plus étendue.
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