Chapitre 2 : Bon Appétit !

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Ding Dong !

  • Maman ! Les Fauvin sont là ! l’avertis-je.

  • Va leur ouvrir, ordonne-t-elle en sortant la volaille du four pour ses dernières préparations.

Dis-leur que j’arrive tout de suite, d’accord ?

  • Ok !

Je me rue vers la porte d’entrée. Ça y est, c’est les vacances, plus de cours pendant deux semaines, je suis sur le point de passer une super soirée et dans quelques jours on part voir la famille dans le nord. Là, je me sens sur le point d’exploser sous l’effet de l’excitation. Comme une petite balle de bonheur qui rebondit, rebondit. Encore et encore. Jusqu’à l’épuisement. Prend une pause et puis repart. Moi, petite balle de bonheur et d’euphorie, je suis lancée et je compte bien valdinguer pendant longtemps avant qu’on ne puisse m’attraper et m’arrêter.

Je saisis la poignée et ouvre en grand la porte, laissant place à nos invités.

Monsieur Fauvin, très fringuant, a mis son costume et sa cravate de fête. Avec un grand sourire, il se penche vers moi pour me serrer la main et me salue :

  • Bonsoir Antonio ! Comment ça va ?

  • Bonsoir Monsieur Fauvin. Ça va très bien et vous ? demandé-je.

  • Je t’en prie ! Tu peux m’appeler Léonard, nous sommes voisins après tout ! s’indigne-t-il faussement. Et puis laisse tomber le vouvoiement s’il te plaît.

Il fait un pas à l’intérieur et dans son sillage entre Madame Fauvin, elle aussi grande et élégante dans sa tenue de soirée.

  • Bonsoir Antonio ! me salue-t-elle à son tour.

  • Bonsoir, l’accueillis-je.

  • Francesca est là ? Je lui ai apporté une bouteille !

  • Elle est dans la cuisine.

Voyant qu’elle s’avance déjà dans cette direction, je lui intime :

  • Mais il ne faut pas y aller tout de suite, elle ajoute la touche finale au repas.

  • D’accord, je saurais me faire patiente, fait-elle, avec un soupçon d’humour.

Puis il y a Juliane.

  • Salut Juliane.

  • Salut Anto. On monte ?

  • Attend, lui répliqué-je. Faut que j’accueille tes parents. Ordre de ma mère.

  • Je vois je vois, fait-elle, le regard plein de malice. Fais-moi signe quand tu as accompli ta mission.

Elle me lance un clin d’oeil.

  • Je ferai au plus vite, plaisanté-je en me mettant au garde-à-vous.

Ce qui ne manqua pas de lui tirer un sourire.

De retour vers les adultes, je m’occupe bien d’eux: Je leur prends leurs vestes et vais les accrocher au porte-manteau. Je les fais s’asseoir dans le canapé et je passe dans la salle à manger pour préparer les ramequins d’apéritifs.

Chips pour tout le monde !

En même temps que je partage les denrées, je ne peux pas m’empêcher de laisser échapper un petit rire. J’ai bien besoin de toute cette joie ! La vie ce n’est pas facile tous les jours, mais ce soir ça va être du gâteau ! Ou plutôt de la mousse au chocolat !

Je me remets à rire, légèrement.

Une fois terminé, j’apporte leurs amuse-bouches aux invités, et les prie de ”bien vouloir patienter pour le plat de résistance.” Je vais faire un tour en cuisine pour voir où ça en est. Ma mère m’aperçoit et avec un signe de la main, m’assure :

  • C’est bientôt prêt.

J’ouvre le frigo et me saisis à toute vitesse des bouteilles aux couleurs affriolantes et aux breuvages prometteurs. Cinq verres feront l’affaire. En plastique pour éviter la casse.

Je retourne presque aussitôt au salon où les Fauvin ont déjà commencé à festoyer.

Sauf Madame Fauvin, qui fait remarquer à sa fille et son mari que ”ce n’est pas très poli.”

  • Et voilà de quoi apaiser votre soif !

  • Merci ! répondent-ils avec gratitude.

Il ne faut que quelques secondes à ma mère pour apparaitre sur le seuil de la cuisine, rayonnante.

  • Me voilà !

  • On n’attendait plus que toi Francesca ! déclare Monsieur Fauvin, sur un ton enjoué.

  • Attendre, attendre… Ce n’est pas vraiment ce que je dirais. Regardez-vous petits goinfres ! Vous avez déjà engouffré la moitié du buffet à vous deux ! s’offusque Madame Fauvin.

  • Pas ma faute, se dédouane Juliane. Les chips ont soudain pris vie et m’ont supplié de les manger. Elles menaçaient même de partir avec toute la nourriture si je ne le faisais pas tout de suite !

  • Eh oui ! Sois contente ma chérie ! Grâce à ta fille et moi, il vous reste encore de quoi vous sustenter ! complète Monsieur Fauvin.

Elle soupire, à demi amusée.

  • Laisse, ce n’est pas grave, les défend ma mère. Si c’est là, c’est fait pour être mangé !

  • Oui, je suppose, finit par accepter Madame Fauvin.

Chacun bien installé confortablement autour de la table basse je remplis les verres à ras bord de champomy. Bien vite, ils s’entrechoquent dans une cacophonie mélodieuse alors que nos ”tchin tchin !” lancés en l’air résonnent.

La discussion se lance.

Au garage de Monsieur Fauvin, les anecdotes ne manquent pas. Entre les clients difficiles et l’état dans lequel ils laissent leurs véhicules, il y en a des histoires mémorables qu’il aime à partager !

On en vient rapidement à des digressions et c’est bientôt de la disparition alarmante des grenouilles dans cette zone de la région que la conversation se nourrit.

Juliane me lance quelques oeillades discrètes. Je me rapproche d’elle et elle me montre une coupole pleine de biscuits apéritifs.

  • J’ai fait des réserves. On va dans ta chambre ?

  • Ouais. En attendant qu’ils finissent.

Juliane est une fille vraiment très sûre d’elle. Même quand elle est chez les autres. Si elle veut quelque chose, elle n’a jamais peur de demander. Ça m’a toujours impressionné, cette facilité avec laquelle elle montre ce qui lui plaît et réussit à l’obtenir.

Elle marche devant moi, comme si c’était elle qui m’emmenait à sa chambre. Dans les escaliers, elle regarde un instant en arrière pour vérifier que je la suis. Arrivés à destination, elle s’arrête devant la porte.

  • C’est un nouveau dessin ?

  • Ouais.

  • Cool.

On entre et je me lance sur le lit. À son tour, sans que j’aie besoin de lui donner permission, Juliane vient s’affaler sur le matelas. La tête dans les coussins, elle éclate de rire. Elle se redresse et recoiffe ses mèches rebelles aux reflets rougeoyants.

Pour nous occuper, j’empoigne les BD sur ma table de nuit et les dispose en éventail devant elle.

  • Je les ai déjà lues celles-là, affirme-t-elle.

  • Moi aussi.

  • Qu’est-ce que t’as pensé du tome 3 ?

  • Mon préféré. Les deux premiers sont vraiment bien, mais c’est à partir du 3 que l’histoire commence réellement à prendre de l’ampleur. Et comme on a pu apprendre à connaître le personnage du roi Faranas et sa manière de penser, on apprécie enfin l’oeuvre à sa juste valeur, argumenté-je.

  • C’est exactement ce que je pense. Et en plus, c’est dans tome qu’apparaît le premier véritable grand méchant.

  • Ouais, Barnabé le fossoyeur est vraiment l’antagoniste parfait. J’ai adoré le moment où il tue le chien du roi et le remplace par un qu’il a dressé spécialement pour l’espionner. Il a vraiment des idées de génie !

  • Il n’y a pas que lui ! Jorinde, sa femme, est vraiment horrible ! surenchérit Juliane.

Quand elle empoisonne l’eau du puits et que tout le monde devient malade !

  • Quand même, il est fort Faranas, pensé-je à voix haute. Rien qu’en ayant aperçu le reflet furtif de l’affreuse Jorinde dans une foule de 100 personnes grâce à son miroir de vérité, il a été capable de la reconnaître et de la faire emprisonner par ses gardes quand elle a essayé de se faire passer pour une de ses conseillères !

  • Et quand Barnabé se venge ! Il lâche des rats partout dans la ville pour faire fuir les habitants !

Elle marque une pause.

  • J’aimerais trop rencontrer l’auteur. Moi aussi j’écrirai des histoires comme ça un jour.

  • Tu me les feras lire ?

  • Ben ouais. Tu pourras même m’aider à inventer les personnages si tu veux.

  • Trop cool !

Elle sourit en grand, révélant ses dents de la chance. Je la regarde et elle me renvoie son regard. Silencieusement, on se met à partager cet instant sans paroles où les pensées fusent à cent à l’heure.

  • Les enfants ! À table ! s’exclame ma mère depuis en bas.

  • Attendez-nous, on arrive !

  • Le poulet ne vous attendra pas si vous ne vous dépêchez pas vite de descendre !

  • C’est bon, c’est bon, on est là ! m’exclamé-je en dégringolant les escaliers, à la suite de Juliane.

Au rez-de-chaussée, le salon avait été abandonné au profit de la terrasse, où les adultes avaient déjà sorti les chaises en plastique et dressé la table. Au centre de cette dernière, duquel s’émanent des fumets alléchants et dont la vue m’éblouit tellement il est doré, le super poulet. Ça va être un pur régal !

Je m’assois en face de Monsieur Fauvin et les condiments passent de convive en convive tandis que le gros morceau de chapon reste au milieu, dans l’attente d’être décortiqué par chacun à sa convenance.

  • Bon appétit !

De nouveau, les verres se remplissent, s’entrechoquent, puis se vident presque aussitôt.

Les rires fusent, les blagues qui les précèdent, parfois les suivent. Le charabia qui se fait alors que plusieurs conversations trouvent leur chemin boiteux dans un capharnaüm de béatitude, d’exclamation, et de plaisir partagé comme individuellement commun. Des dialogues de sourds et encore des rires.

Arrive le dessert.

Une pause pour les mots avant d’être utilisés une énième fois. Utilisés pour que j’oublie… Que nous oubliions le trouble persistant de la vie qui continue son cours. Lent ou rapide mais se dirigeant inexorablement vers cette fin que l’on craint tous.

C’est ces mots qui nous permettent de sentir ce don qui nous a été donné en venant au monde.

Et c’est dans ces moments que j’aimerais que le temps s’arrête, se cristallise, devienne une goutte d’infinité. Que tout le monde reste ici pour toujours.

Qu’on puisse s’amuser de chaque jour sans penser jamais au lendemain.

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