Chapitre 4 : Bonne Surprise

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Cruellement réveillé par les rayons espiègles du soleil, j’ouvre un oeil, puis l’autre. Toujours en vie.

Au final, toute cette histoire délirante ne devait avoir été qu’un mauvais rêve. J’étais plus fatigué que je le pensais et je m’étais endormi sans m’en rendre compte. Voilà, ça devait être ça.

Je me hisse vers le haut du lit et me redresse, installant un coussin derrière moi comme dossier d’assise. J’attrape une de mes BD sur la table de nuit. Rapidement, je me plonge dans les aventures du Roi Faranas. À mes côtés, le réveil indique ”8:27”. Dentiste à 10h30. J’ai largement le temps.

L’immonde Barnabé enfin défait et puni par la loi, c’est un nouvel arc qui est sur le point de commencer. J’ai plus que hâte de découvrir la suite. Pour autant, et Dieu (s’il existe) sait que j’adore cette BD, je n’arrive pas à me concentrer totalement sur la lecture. Je ne peux pas m’empêcher de repenser à ce bruit. Ce roulement…

Je me trouve ridicule. De manière générale, je suis plutôt du genre à ne croire que ce que je vois. Tout ce qui est Père Noël, Petite Souris, Cloches de Pâques… J’ai toujours su qu’il y avait une embrouille. Mais là, c’est différent. On ne parle pas d’un être fantastique qui vient gentiment t’offrir un cadeau. C’est plutôt la clique des spectres et compagnie qui a soudainement eu envie de débarquer dans ma chambre, de s’incruster, et de faire un boucan pas possible !

Même si je n’en ai rien vu, j’ai tout entendu. Avec mes deux oreilles. Ça donnait bien l’impression que c’était vrai. Et pourtant… ça ne peut juste pas l’être. Une hallucination alors ? Peut-être bien.

Je referme la BD. Je n’ai plus envie de lire. Je me lève et ôte mon pyjama, puis je prends de nouveaux habits dans l’armoire. Je mets mon t-shirt préféré, celui sur lequel il y a marqué ”Arrêtez de lire mon t-shirt !”. Je sais que mon dentiste ne le porte pas dans son coeur. À chaque fois qu’il le voit, il lève les yeux au ciel l’air de dire ”Les jeunes, de nos jours…” et ça me fait rire.

Alors que je m’habille, ma vision périphérique se fixe sur quelque chose et je me fige.

Là, en face de moi, un cercle de 2 centimètres de diamètre de mur avait disparu. Perçage net, aucune trace de fissure. La pierre avait été traversée de part en part aussi facilement qu’on aurait découpé une motte de beurre.

Après mes oreilles, c’étaient mes yeux qui me forçaient à voir les choses en face. La réalité n’est pas toujours celle qu’on pense. S’il y a une part de réel là-dedans… Non, ce n’est sûrement que pur fantasme ! Hallucination !

À trop regarder ce vide dans le mur, c’est moi qui finis par me sentir vide.

Tournant le dos à l’évidence, je finis d’enfiler mon pantalon et descends les marches quatre à quatre. J’ai trop faim. Ma mère est déjà dans la cuisine. Elle chantonne un air que je ne connais pas. Sûrement un truc des années 80. Je lui demande :

  • Tu as bien dormi ?

  • Bonjour, souligne-t-elle. Et puis ensuite, oui j’ai bien dormi. Et toi ?

  • Bonjour. Oui, ça peut aller, mentis-je.

Là, je suis sur le cul. Ma mère ne peut pas juste avoir ”bien dormi”. Impossible. Le bruit…. Le bruit… Elle devait l’avoir au moins entendu.

  • Tu es sûre ?

  • Si je suis sûre ? Oui, pourquoi ?

  • Tu n’as pas entendu de… bruit ? Par exemple ?

J’ai trop peur de tout lui dire d’un coup. Elle me trouverait ridicule elle aussi.

  • Non. Quel genre de bruit ?

  • Le genre qui casse les oreilles. Qui empêche de dormir, quoi, fis-je, sarcastique.

  • Aux dernières nouvelles, les gens les plus bruyants du quartier, c’est nous, réplique-t-elle. À quoi ça rime, toutes ces questions ?

  • Non mais c’est pas grave, tu sais.

  • Tant mieux, ça me fera moins de choses à m’inquiéter !

Je dois être complètement cinglé alors. Assez cinglé pour imaginer une signification derrière un trou dans un pauvre mur. Assez cinglé pour prendre mes cauchemars pour des réalités serties de menaces latentes. Assez cinglé pour désigner un ”bruit” comme le pire de mes ennemis présents, passés et futurs. Un bruit qui n’existe pas d’ailleurs. Un bruit que j’étais le seul à avoir entendu.

En parlant de bruit, j’entends un moteur de voiture qui démarre dehors. Ce doit être les voisins qui partent. Puis, c’est la voix de Monsieur Fauvin qui clame : ”Au revoir la maison ! À dans 15 jours !”, comme pour venir confirmer ma déduction.

Les pneus crissent et s’engagent sur l’allée de gravier. Ceux qui comptaient profiter de ce premier jour de vacances en faisant la grasse matinée sont gâtés ! La mélodie dissonante des galets frottés par les roues et de la carrosserie de métal rebondissant sur les reliefs du sentier saura être portée à leurs oreilles comme un chant matinal pour leur souhaiter la bonne journée.

Dans ma tête, je souhaite aux Fauvin de vivre des aventures trépidantes là où ils iront, même si je reste un peu triste rien qu’à penser que je ne les verrai pas des vacances. C’est toujours plus amusant quand ils sont dans les parages.

Déjà, le bruit du moteur s’éloigne…

Avec ça, j’en avais presque oublié à quel point j’avais faim. Retournant à mon devoir de survie, j’ouvre le frigo, en quête de nourriture.

Tout d’un coup, le moteur se met à crachoter. La voiture semble ralentir. Encore un toussotis, et cette fois, elle est à l’arrêt. J’entends Madame Fauvin jurer sans pour autant distinguer les mots. Ça ne lui ressemble pas. J’imagine qu’elle avait vraiment hâte de ces vacances. Une portière s’ouvre puis claque. Curieux, je sors de la cuisine pour regarder par la baie vitrée du salon.

  • Où est-ce que tu vas, comme ça ? demande ma Mère.

  • Je crois que les Fauvin ont un problème avec leur voiture. Je veux juste voir ce qui se passe.

C’est Monsieur Fauvin qui descend, l’air intrigué. Armé de sa trousse d’outils de voyage, il ouvre le capot et commence à s’agiter dans tous les sens. Finalement, manger pourra attendre.

  • Je vais aller voir !

  • Anto, Léonard est garagiste. Il s’en sortira très bien tout seul, fait ma mère, visiblement en train de me signaler implicitement que ce serait bien que je prenne mon petit-déjeuner.

  • Eh ben comme ça, je pourrai peut-être apprendre un truc ou deux !

  • Il n’a pas forcément envie de te donner une leçon de réparation de voiture alors que la sienne est en panne, me répond-t-elle, exaspérée.

  • Je me contenterai de regarder.

Elle me fixe, dubitative.

  • Promis.

  • Ok, ça va, finit-elle par renoncer.

  • Cool !

  • Mais tu reviens vite pour manger ton petit-déjeuner !

  • Oui !

Je me précipite à l’extérieur. Pour une matinée d’hiver, il fait plutôt bon. Madame Fauvin et Juliane sont elles aussi sorties du véhicule et discutent. Je me dirige vers Monsieur Fauvin, qui a les mains fourrés dans l’estomac de la voiture. Il lève la tête et m’aperçoit.

  • Bonjour Antonio, lâche-t-il entre deux manipulations.

  • Bonjour.

Je le regarde faire. Toutes les 10 secondes, il saisit un nouvel outil dans son coffret transportable et traficote des trucs par-ci par-là. Pas de doute là-dessus, il sait ce qu’il fait ! Moi, je n’y comprends rien du tout mais pour lui, ça à l’air d’être plutôt simple. J’ai toujours admiré les gens qui sont doués dans ce qu’ils font. Moi aussi j’aimerais avoir une sorte de talent caché. Le problème, c’est que le mien est tellement caché que je ne l’ai toujours pas trouvé.

Monsieur Fauvin s’essuie le front et tape de ses deux mains sur le capot. Je ne lui avais jamais vu cette expression sur le visage. Il transpire l’inquiétude.

  • C’est à n’y rien comprendre... murmure-t-il.

Il s’éloigne de quelques pas. Une goutte de sueur perle le long de sa joue. Il passe une main dans ses cheveux et de l’autre, se caresse le menton, songeur. Après quelques secondes, il remonte dans la voiture et met le contact. Le moteur crachote, une fois, deux fois, puis retourne au silence.

Regardant en direction de sa femme et de sa fille, il annonce :

  • Je crois bien que je n’ai jamais vu ça.

La voiture est tout bonnement fichue.

  • Comment ça ? réplique Madame Fauvin.

  • J’ai pourtant tout vérifié hier pour qu’on soit tranquilles pour le voyage, mais…

  • Mais quoi ? continue-t-elle.

  • Eh bien… rien ne fonctionne plus. Pourtant, aucun des composants n’est endommagé, l’huile et l’essence sont à un niveau raisonnable, la batterie et les cosses sont en bon état, le démarreur également.

  • Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda Juliane.

  • On dirait que notre bonne vieille voiture a tout simplement décidé de rendre l’âme après toutes ces années de fidèles services. Et d’une des manières les plus étranges qui soient.

  • C’est une blague ?! s’exclame sa femme. Depuis le temps que j’attendais ces vacances ! Tu as vérifié l’antidémarrage ?

  • Oui. Malheureusement. Je vais l’emmener au garage pour l’examiner un peu plus et demander de seconds avis mais je doute fort qu’on puisse y faire grand chose. On va devoir l’envoyer à la casse. Au moins, on peut s’estimer chanceux que ça ne nous soit pas tombés dessus sur la route. On aurait été bien embêtés !

La première chose à laquelle je pense, là, tout de suite, c’est que même si c’est bien dommage pour eux, c’est plutôt une bonne surprise pour moi. Je ne dis pas que si j’avais pu les faire rester je l’aurais fait. C’est juste que je suis plutôt content de voir qu’ils seront là finalement. Après, si on avait pu éviter que leur voiture les quitte aussi brusquement…

Au fond, je me reproche un peu de me dire que leur malheur fait mon bonheur. Ça ne se fait pas trop de penser ce genre de choses. Et puis les vacances c’est sacré ! Si j’étais à leur place, je serais vachement frustré. Rien que de penser en plus que quelqu’un pourrait y trouver quelque chose de bénéfique, ça me mettrait en rogne !

D’un autre côté, s’ils restent…

S’ils restent…

Je ne peux clairement pas le dire à ma mère, non. Elle ne me croira jamais. Mais Juliane, elle, j’ai peut-être mes chances.

À elle, je pourrai peut-être parler du ”bruit”.

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