- Eau -

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Vendredi 14 juillet 2006, Down-Town, Modros, Californie, États-Unis d’Amérique.

Dans la salle d’entraînement, la chaleur et la sueur empêchaient Maria de respirer correctement. Le souffle haché, elle s’éloigna au bord des tatamis et avala plusieurs goulées d’eau. Il y avait généralement peu de monde en début d’après-midi, quand la digestion poussait à piquer du nez. En arrivant après sa pause déjeuner, Maria avait bel et bien trouvé un tas de salles vides, mais elle regrettait à présent d’être venue. Il faisait bien trente-cinq degrés à l’extérieur et le système de climatisation faisait de son mieux. Et son mieux n’était pas effectif dans les étages dédiés à l’entraînement, généralement désertés par les agents à cette période de l’année.

Une vague de nausée la traversa alors qu’elle rejoignait les casiers pour récupérer ses affaires. La poitrine soulevée par un haut-le-cœur, Maria s’adossa contre un mur en grimaçant. Elle avait dû attraper une cochonnerie ; les maux de ventre la taraudaient depuis deux jours.

Les douches des vestiaires réservés aux femmes étaient agréablement vides. Maria s’empressa de se débarrasser de ses vêtements collants de sueur pour se glisser sous un jet d’eau frais. La douche à rallonge le décrassa de la tête aux pieds, sans éliminer complètement ses nausées. Elle se rhabilla avec une boule au ventre. Le week-end camping qu’elle avait prévu avec Ethan allait sûrement tomber à l’eau. Elle ne voulait pas prendre le risque d’être frappée d’une gastro en pleine montagne. C’était déjà bien assez pénible à vivre quand l’on était chez soi.


Elle retrouva son partenaire en salle de repos, où il était occupé à boire un café en compagnie de Michael. Leur proximité et leurs sourires indiquaient qu’ils partageaient un moment d’intimité. Hésitante, Maria se cala contre le chambranle pour les observer. Rien n’avait été officialisé de leur côté. Ils se fréquentaient pourtant depuis plus d’un an, partageaient régulièrement des soirées restaurant ou cinéma qui se terminaient chez l’un ou l’autre. Maria en avait déjà discuté avec Adrián, mais ce dernier avait l’air de tenir à ce mystère. Son partenaire ne voyait personne d’autre en dehors de Michael d’un point de vue romantique, mais il n’avait pas non plus annoncé qu’il s’était trouvé un petit-ami.

Ethan non plus n’avait eu d’explications claires de son ami. Mais, contrairement à Maria, il estimait qu’il n’avait pas à chercher plus loin. Adrián et Michael étaient majeurs, respectueux l’un de l’autre, et c’était ce qui comptait.

Mike la remarqua en premier. Il lui adressa un sourire en levant son gobelet.

— Maria ! Entre.

L’intéressée se hâta de les rejoindre. Elle tapa gentiment son épaule contre celle de son partenaire avant de pincer le flanc de Mike.

— T’étais où ? s’étonna celui-ci en se laissant choir sur l’un des canapés bleu marine qui meublaient la pièce. Adrián te cherchait partout.

— Ah vraiment ? marmonna Maria en adressant un regard suspicieux à l’intéressé. J’ai pourtant reçu aucun SMS.

— Je voulais pas te mettre la pression, expliqua Adrián d’un ton affable. On est vendredi, tu te sentais pas très bien ce matin… Alors, zen, tu pouvais bien disparaître pour quelques heures.

Maria roula des yeux en passant un bras autour de ses épaules.

— J’étais en salle d’entraînement. Pas à l’autre bout du monde.

— Malade ? releva Michael avec une moue soucieuse. Ça va ?

— Oui. Juste une gastro oui une cochonnerie de ce genre.

— Refile pas ça à Ethan, hein, geignit Michael en se tournant vers elle. Après, il va me le refiler aussi.

— Le cycle vicieux du vomi, commenta Adrián sans quitter sa partenaire des yeux.

Maria prétexta ne pas remarquer la façon dont son ami la dévisageait. Comme Mike s’excusait pour retourner au travail, Adrián se pencha vers la jeune femme.

— Maria, tu vas bien ?

L’intéressée posa les mains sur le canapé en expirant lourdement. Non. Ses nausées s’étaient accrues. Avec une grimace, elle se massa l’abdomen.

— Saloperie, gronda-t-elle à voix basse.

— Maria, je suis sérieux. Va à l’infirmerie.

— Adrián, c’est rien.

— T’es pâle comme la mort, rétorqua le jeune homme en posant une main sur son épaule. Ça fait combien de jours ?

— Trois, en comptant celui-ci.

— Juste des nausées ? T’as pu… faire sortir un peu tout ça ?

— Ce matin.

— Et t’es quand même venue bosser, grommela Adrián en croisant les bras. Maria, je sais que t’es pas en sucre, mais déconne pas.

La jeune femme se redressa en exhalant, les mains sur les hanches.

— Je vais aller prendre l’air, je pense. On avait rien d’urgent à faire cet après-midi, hein ?

— Non. (Adrián secoua son téléphone.) Appelle-moi si tu vas pas bien et que t’as besoin que je te ramène chez toi.

— Mais t’as pas le permis.

— Je trouverai un moyen !

Maria sourit alors qu’il s’éloignait pour rejoindre le couloir. Quand Adrián fut sorti de son champ de vision, elle se pencha en avant avec un gémissement. Il fallait qu’elle trouve des toilettes.


Deux heures plus tard, Maria avait eu le temps d’aller vider son estomac capricieux dans diverses toilettes des bureaux de S.U.I, de se rendre en pharmacie pour se faire conseiller, puis de retourner au siège. À présent affalée sur une cuvette de toilette, elle observait les plafonniers allumés. Ses nausées s’étaient calmées. Un grand froid l’avait envahie et ne la quittait plus. Elle frissonnait malgré l’air tiède.

Elle s’arracha à sa contemplation, jeta un énième coup d’œil à l’objet coincé entre deux de ses doigts, au petit encart qui affichait un « + ».

— Putain de merde.

Maria approcha le test de grossesse de son nez, plissa les yeux pour s’assurer que le signe ne se modifiait pas. Peut-être était-il défectueux. Il n’y avait après tout qu’une barre de différence entre un résultat positif et négatif. Une barre de différence entre une simple frayeur et une nouvelle étourdissante.

Trois respirations plus tard, le signe n’avait pas bougé. La jeune femme se leva des toilettes, remonta sa culotte et son short, puis sortit. La lumière blanche des plafonniers rendait son visage encore plus grave et blafard.

Avec des gestes machinaux, elle déposa le test à côté du lavabo, se pencha en avant et enclencha l’eau. S’aspergea le visage. Le liquide glacé la sortit à peine de sa torpeur. Ses doigts glissèrent sur ses joues, son nez, sa bouche. Qu’avait-elle fait ? Comment avait-elle pu…

— Bordel de merde. Merde. (Un sanglot nauséeux la fit tressaillir.) Merda.

Ses yeux se mouillèrent, expulsèrent des larmes qui rejoignirent les rivières creusées par l’eau du robinet. Hébétée, elle releva le cou, essuya son nez coulant. Dans le miroir, elle trouva son reflet insupportable.

— Espèce de conne !

Son cri ne changea rien à l’air atterré de son reflet ou au résultat du test de grossesse. Le petit dispositif blanc s’échappa de ses mains tremblantes. Teinta dans le lavabo.

— Espèce de conne. Abrutie, abrutie.

Un élan de profond dégoût lui tira un nouveau haut-le-cœur quand elle referma les doigts sur le test. L’estomac torpillé, elle dut se jeter dans la cabine qu’elle venait de quitter pour cracher un filet de bile. Elle avait de nouveau lâché le test. Tombé à côté de la cuvette, son encart gris la narguait de son petit signe « + ».

Maria s’essuya la bouche, expira, ramassa l’objet. Dents serrées, elle s’avança jusqu’aux lavabos, tendit le bras pour confronter son reflet.

— T’es fière de toi ?

Son regard humide suintait autant de culpabilité que de peur. Que faire ? Que dire ?

— Comment je vais faire ?

Maria était toujours plantée devant les lavabos, le test de grossesse au creux des mains, quand la porte s’ouvrit. Sonnée, elle leva le nez pour s’assurer que ce n’était qu’une collègue sans nom. C’était bel et bien une collègue. Et son nom était Grace.

— Merde, lâcha Maria avec un rire nerveux.

Grace se figea en l’apercevant. La trace de bile sur son menton, son regard effrayé, son t-shirt froissé. L’eau et les larmes sur ses joues.

— Maria ? Ça va ?

L’intéressée entrouvrit les lèvres, balbutia quelques paroles inintelligibles, puis abandonna. Y’avait-il des mots corrects ?

À défaut, elle tendit le test vers Grace. Sa collègue s’avança de quelques pas. Une fois qu’elle eut saisi l’entièreté de la situation, elle demanda simplement :

— Combien de temps depuis l’arrêt de tes règles ?

— Un mois. Un mois et demi ? je sais plus.

— Maria, réfléchis. Tu as donc deux semaines de retard ?

— Oui… oui.

— Alors il te reste plus d’un mois.

Maria papillonna des yeux sans comprendre. Grace ramena en arrière l’une de ses mèches de cheveux blonds – un geste qui agaçait Maria chez les autres femmes, mais la détendait étonnamment chez sa collègue.

— Pour avorter.

Le mot projeta Maria dans une nouvelle réalité. Peu déstabilisée par l’air effaré de son interlocutrice, Grace continua d’une voix claire :

— Tu dois te décider avant qu’il soit trop tard.

— Me décider ?

Maria retrouvait l’usage de sa langue, le poids des mots. La peur de la réalité.

— Ethan est pas au courant, j’imagine ?

— T’es la seule.

— OK. Maria, on peut en parler si tu veux. Mais pas ici.

Avec des gestes aussi calmes que sa voix, Grace entreprit de l’aider à se rincer, à ranger le test dans sa boîte puis la boîte dans le sac de Maria. Elle la mena ensuite à l’extérieur du siège, jusqu’à un banc suffisamment éloigné pour qu’elles ne croisent pas de collègues tous les deux mètres.

— Il faut que tu décides deux choses, Maria : d’abord, si tu veux en parler avec Ethan ou pas. Ensuite, en fonction de ce choix, tu dois décider si tu poursuis ta grossesse.

— On dirait que… que tu sais…

— J’essaie d’avoir un enfant, en ce moment, la coupa Grace avec un sourire entendu. Je me suis renseignée. J’ai réfléchi. Beaucoup. Alors j’ai quelques procédés en tête.

— Mais… ça t’est jamais arrivé ? De… de tomber… d’avoir…

— Une grossesse non désirée ? Jamais.

— Merde.

Maria se prit le visage entre les mains. Le dégoût, la colère, la honte. Des torrents qui parcouraient son corps, la faisaient trembler.

— Comment on peut être aussi conne ?

La main de Grace sur son épaule était insistante. D’une insistance réconfortante.

— Maria, t’as pas à t’en vouloir.

— Si. C’est ma faute.

Son amie se pencha vers son visage avec un sourire narquois.

— Je crois pas que ce soit toi qui te sois mise enceinte.

— C’est pas la faute d’Ethan non plus, grommela Maria en secouant la tête. On se protège.

Grace fronça les sourcils sans retirer sa main de l’épaule de Maria. Elle avait peur qu’elle s’émiette si jamais elle la lâchait. Qu’elle se laisse dissiper dans le vent sous le coup de la surprise effarante. Que le temps glisse sur elle avant qu’elle puisse prendre une décision.

— Tu prends la pilule ?

— Non. J’ai essayé deux mois. J’ai cru que j’allais me jeter par la fenêtre. Je… j’y arrivais pas et ça me…

— Pas besoin de te justifier, la rassura Grace avec un clin d’œil complice.

— Oui, mais je me sens très conne, avoua Maria en suivant l’arête de son nez du bout des doigts. On fait toujours gaffe, avec Ethan. Je sais pas ce qui s’est passé.

— Les accidents arrivent avec n’importe quelle contraception. Le préservatif a dû craquer.

— Oh, génial, grinça Maria en laissant sa tête partir en arrière. Donc y’a un truc qui grandit dans mon bide parce que du latex a pété ? J’ai envie de hurler.

Son amie s’esclaffa en lui tapotant l’épaule.

— Si t’as envie de hurler, vas-y.

Maria soupira, les mains croisées sur son ventre. Partie de son corps qui la mettait à présent mal à l’aise. L’idée d’un fœtus logé dans son utérus lui enserrait la gorge d’un anneau de dégoût.

— Je crois pas avoir envie de cet enfant.

— Je sais pas s’il est avisé de parler d’enfant à ce stade de la grossesse, supposa Grace avec douceur. Surtout si tu décides d’avorter. C’est un œuf fécondé.

— J’ai l’impression d’être une poule.

Quand Grace glissa la main dans les siennes pour la réconforter, Maria sentit de nouvelles larmes s’accumuler derrière ses paupières. Grace avait toujours été une proche collègue, une amie commune de Mike et Ethan, mais… elles n’avaient partagé que de rares moments ensemble. Elle regrettait à présent de ne jamais avoir pris le temps de mieux la connaître. Pas alors qu’elle s’appuyait si fort sur elle en ce moment-même.

— Je vais en parler à Ethan, déclara Maria après quelques secondes de silence. Ça va me bouffer si je lui dis pas. Puis, merde, c’est lui qui a pris un peu trop son pied pour en arriver à déchirer le préservatif. Qu’il assume, un peu.

Grace ne put s’empêcher de rire en dépit de la gravité de la situation. Maria essayait de plaisanter malgré les serpents qui se tordaient dans son estomac.

— Tu crois qu’il dira quoi ?

— Sincèrement ? J’en ai aucune idée, Maria. On a parlé un peu de tout ça, il y a deux mois, quand je lui ai dit que Rick et moi, on essayait d’avoir un enfant. Mais pour lui et toi, ça semble tellement… loin.

— Mais… il a rejeté complètement la possibilité ou pas ? souffla-t-elle avec hésitation.

— Non. Je crois, qu’à long terme, l’idée lui plaît. Mais il a vingt-quatre ans et toi vingt-trois. C’est pas vraiment du long terme, là, tout de suite.

— Oh bordel, je suis morte de trouille.

Maria se tenait le ventre en riant de nervosité.

— Si je pouvais arracher ce machin tout de suite.

— On peut aller voir le médecin dès aujourd’hui, Maria. Le Dr Adams est de garde à l’infirmerie du siège. Tu pourrais au moins lui en parler. Si t’es déjà sûre de ton choix, il te donnera les coordonnées d’une clinique.

La jeune femme inspira un grand coup, le cœur au bord des lèvres.

— OK. (Grace haussa un sourcil inquisiteur.) OK, on va voir le Dr Adams. Pour avoir des infos. Puis j’en parle à Ethan. Quelle que soit ma décision. Je veux au moins qu’il sache.

— Marché conclu. Mais prépare-toi à cette discussion. On sait pas comment il va réagir.


Il se laissa aller contre un plan de travail, comme figé en plein vol.

Maria grimaça, poussa le test de grossesse sur la table qui meublait leur kitchenette. Ethan observa le petit dispositif, sa tasse de thé en main.

— Quoi ?

— Tu m’as entendue, marmonna Maria en se passant une main dans les cheveux.

— Oui. Oui, mais…

Ethan cligna des paupières, les garda fermées plusieurs secondes, déposa sa tasse sur le plan de travail. Il considéra ses mains, la fenêtre, puis se tourna d’un bloc vers la table. Comme Maria l’avait précisé pendant son monologue, le petit encart du test affichait un signe indiscutable.

— T’es sûre ? (Ethan indiqua le test de grossesse puis ajouta avec un sourire crispé :) C’est peut-être cassé ?

Maria hésita entre le rire et les larmes. Exactement la même réaction. Ils n’étaient peut-être pas si mal assortis, finalement.

— Je suis allée voir le Dr Adams, il m’a fait faire une prise de sang. J’aurai les résultats lundi. Mais… pars du fait que le test est positif, Ethan.

— D’accord.

Il n’avait pas l’air d’accord du tout.

— Bordel, gémit Maria en baissant la tête jusqu’à ce que son front touche la table. On a merdé.

— Et, reprit Ethan en s’installant sur la deuxième chaise, tu vas avorter ? T’es allée voir le Dr Adams pour ça ?

La jeune femme hésita quelques instants avant de redresser le nez. Le visage mortifié d’Ethan lui enfonça un pieu dans les poumons.

— Quoi ? Pourquoi tu fais cette tête ? souffla-t-elle d’un ton rauque.

L’angoisse se déchaînait dans ses veines. Maria chercha quelque chose à agripper, mais il n’y avait rien d’autre que les mains de son copain sur la table. Elle s’y accrocha comme à une bouée de secours. Malheureusement, c’étaient peut-être ses mots à lui qui allaient la noyer.

— C’est juste que… (Ethan posa sur Maria un regard troublé.) Tu attends un enfant.

— Pour l’instant, nuança Maria d’un ton crispé.

— Notre enfant.

Un deuxième pieu dans la poitrine. Maria lâcha les doigts de son petit-ami, redressa les épaules. Le monde constitué de leur appartement tanguait autour d’elle. La peur tanguait en elle.

— Tu veux le garder.

Les pupilles ambrées d’Ethan se voilèrent un instant. Puis il lâcha à toute vitesse :

— N-Non, c’est ton choix. C’est toi qui portes l’enfant. Donc c’est toi qui décides. Merci de m’en avoir parlé, Maria. Je sais que tu es allée voir le Dr Adams, car tu veux avorter. Certes, on fait pas un enfant seul, mais c’est toi qui devras porter cette responsabilité, alors je sais que…

— Tu sais rien, Ethan.

La dureté de la voix de Maria le coupa dans son élan. Stupéfait, il ouvrit de nouveau la bouche, mais elle le devança :

— Ethan, tu sais rien de ce que j’ai décidé.

— Mais… mais je croyais…

— J’ai rien décidé. Rien.

Mouché, le jeune homme garda les lèvres closes et les yeux grand ouverts. En face de lui, Maria avait pris son air buté. Quand elle comprit qu’il attendait la suite, elle se permit un soupir.

— Sincèrement, je pensais que tu allais te mettre à flipper d’un coup. Que tu serais d’accord pour l’avortement. (Maria tendit la main par-dessus la table et attendit qu’Ethan vienne mêler ses doigts aux siens.) Réponds-moi honnêtement et spontanément : tu voudrais un enfant ?

— Non. Je sais pas. (Ethan se pencha pour presser les doigts de Maria contre son front.) Oui. Mais j’ai peur.

— Peur de quoi ?

— Eh bien… parce que…

Comme Maria patientait sans rien dire, Ethan expulsa un souffle fébrile.

— Tu vas penser que je suis dingue.

— Jamais, Ethan. Jamais, je te jure.

— J’ai peur de devenir comme ma mère.

Un troisième pieu dans le cœur de Maria. Son menton tremblota, ses doigts s’affaissèrent sur la table. Elle aurait aimé que son âme puisse traverser l’espace qui la séparait d’Ethan pour l’envelopper d’un cocon d’amour. Elle voulait le protéger et le rassurer. Elle ne pouvait supporter l’éclat lointain de cette peine d’enfant encore palpable dans les yeux de son compagnon.

— Oh, Ethan. Mon amour.

Maria se leva, contourna la table, l’entoura de ses bras. Ethan s’agrippa à elle, enfonça le nez dans le creux de son épaule.

— Je suis désolé. Tu dois déjà être bien secouée par la nouvelle et moi je…

— Toi, tu m’aides à prendre une décision, le coupa-t-elle en resserrant son étreinte. La seule raison pour laquelle j’accepterais de garder un enfant, c’est la perspective de quelque chose à tes côtés, Ethan.

— Je veux pas t’obliger.

— Si je m’en sens pas capable, je garderai pas cet enfant. Et je peux déjà t’assurer que, seule, je m’en sens pas capable. J’ai besoin de toi à trois-cents pour cent à mes côtés si tu veux de ce… bébé.

Le mot était si étrange qu’elle en rit. Ethan ne tarda pas à la rejoindre.

— L’idée, la perspective, la projection, reprit-il d’une voix engourdie, me disent bien.

Maria soupira, lui embrassa les cheveux puis se redressa.

— Merci pour ton honnêteté.

— Dans les faits, ajouta Ethan en se levant à son tour, je sais pas si on en est capables. On est… je veux dire… on est pas mariés et…

— Oh, on se fout du mariage, gronda Maria en agitant la main. On est plus au Moyen-Âge. C’est surtout qu’il faut qu’on réfléchisse aux coûts, à notre boulot, à notre couple.

Comme ils se dévisageaient, plantés bêtement dans la cuisine, Ethan rit doucement.

— Un bébé.

Le visage de Maria se défroissa trait après trait. Un petit sourire finit par lui tirer les lèvres.

— Avant que tu t’imagines quoi que ce soit, ma décision est pas encore prise. On attend lundi, d’accord ? Qu’on soit sûrs de ma grossesse. Et puis, généralement, il faut attendre que le premier semestre s’écoule pour annoncer clairement les choses.

— Tu… es renseignée.

Les joues de Maria se teintèrent de rouge alors qu’elle dressait les épaules.

— Quand même ! Et puis j’ai parlé avec Grace.

— Grace ? Elle est au courant ?

— Oui. Juste elle. (Maria s’avança pour s’appuyer contre son compagnon.) C’est horrible, j’ai tellement peur.

Ethan la serra contre lui en fermant les yeux. Il se concentra sur les battements de son cœur contre son épaule. Puis décida de se lancer :

— Promets-moi une chose, Maria. Si, vraiment, on décide de garder l’enfant… (Comme Maria relevait un regard sceptique dans sa direction, il corrigea :) Enfin, si tu décides de le garder… et qu’on devient parents. Tu me projets de jamais me laisser devenir comme ma mère ?

Sourcils froncés, Maria leva les mains pour lui saisir le visage. Ethan songea un instant qu’elle allait l’engueuler – elle avait exactement la bonne expression – mais elle se contenta de l’embrasser.

— Tu n’es pas ta mère, chuchota-t-elle contre ses lèvres. Tu le seras jamais. Je te fais pleinement confiance.

— Merci, bredouilla-t-il en pressant sa joue contra la sienne. Je t’aime fort.

— Moi aussi.

Maria ferma les yeux alors qu’il la serrait de nouveau contre lui. Sa vie venait de prendre un chemin en épingle. Le virage était serré, difficilement négociable alors qu’elle était lancée dans le train à toute allure. Et la route au-delà était plongée dans une brume de doutes.

Le virage en épingle la terrifiait. L’intriguait. Jetait des frissons d’anticipation sur sa peau. Une partie d’elle voulait évidemment fuir la route, s’enfoncer dans le fossé pour mieux repartir.

Une autre était prête à négocier le virage.

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