MA DESCENDANCE

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Les murailles

Corons, terrils au Nord, litanie des paysages

MA DESCENDANCE


Mes ancêtres ont cultivé la terre de génération en génération. Comme on dit en ch’timi dans le nord de la France, et même en Belgique, ils possédaient « eun’ cinse ». Ils étaient donc des cinsiers, terme qui figure depuis plusieurs siècles sur leurs actes d’état civil.

Depuis la nuit des temps, ce sont les paysans — ces fameux cinsiers — qui ont nourri l’humanité et ont permis l’éclosion de l’industrie, puis son développement. Sans eux, la société actuelle ne serait pas ce qu’elle est.

En général, leur exploitation était le fruit d’un héritage parental. Par conséquent, la terre était perçue comme un moyen de subsistance intimement lié à la famille, d’autant plus qu’hériter du métier de paysan impliquait de s’ancrer dans cette terre familiale. Dès lors, ce métier se transmettait de père en fils et circulait sans relâche au sein de ladite famille, car aux yeux des « anciens », ce lien de parenté entre le paysan et sa terre ne pouvait être rompu.

Les non-paysans peuvent difficilement comprendre cet inéluctable attachement à la terre, car il ne s’explique guère par des mots… Il se vit ! De plus, dans la culture paysanne, la terre ne représente pas un capital, puisqu’elle n’engendre pas de profit au sens premier du terme. Elle fait simplement partie du patrimoine.

Mes grands-parents habitaient la propriété de mes ancêtres paternels, au cœur d’un petit village du Nord. Lors de la Première Guerre mondiale, cette ferme située sur la ligne de front fut totalement détruite. D’ailleurs, à la fin des hostilités, le village tout entier n’était plus qu’un vulgaire tas de ruines. À propos de vestiges de guerre, deux casemates sont toujours présentes dans une pâture proche de l’habitation. Mon père a même trouvé des isolateurs dans les vieux saules têtards à travers lesquels passaient les transmissions télégraphiques allemandes.

Les hostilités terminées — et probablement après avoir obtenu des dommages de guerre —, mes aïeux rebâtirent sans tarder leur outil de travail. Ils érigèrent d’abord une étable pour les vaches laitières et une écurie pour le cheval, cette aide indispensable pour les travaux des champs. Ils aménagèrent ensuite un endroit destiné à héberger plus tard un éventuel ouvrier. Cependant, mes grands-parents ont occupé eux-mêmes ce local spartiate et désuet après leur mariage. À mon avis, ce coin leur servait essentiellement de lieu de repos, tant il était exigu, ce qui ne les a pas empêchés d’avoir trois enfants avant de terminer totalement cette maison en 1927.

Ils ont dû trimer dur, car, tout en réalisant cette reconstruction, ils devaient continuer l’exploitation des champs et s’occuper du bétail.

À cette époque, déjà, les femmes participaient aux travaux de la ferme autant que leur mari : non seulement, elles travaillaient dans les champs et s’occupaient à la fois du cheptel et de la basse-cour, mais, de surcroît, elles s’acquittaient des tâches ménagères et prenaient soin de leurs enfants, souvent nombreux. C’est dire si, à leurs yeux, le travail représentait une valeur importante.

Vous l’aurez compris, pendant que les citadins profitaient des plaisirs des années folles, le quotidien de mes aïeux était fait de fatigue et de sueur. Leurs temps libres ? N’en parlons pas : pour survivre et exceptionnellement s’étendre, les exploitations agricoles faisaient appel à tous les bras de la famille. Même les enfants aidaient leurs parents après l’école. Pour parodier l’expression contemporaine « boulot, métro, dodo », les paysans de cette époque « travaillaient, mangeaient et dormaient ».

Mon grand-père paternel contribua donc à recréer de toute pièce cette ferme familiale. Avec son cheval et sa charrette, il s’en allait chercher des briques, du bois et différents matériaux à plus de sept kilomètres de là. Aujourd’hui, on imagine difficilement le temps, l’énergie et le courage qu’il lui a fallu pour réaliser tous ces transports. Au lieu de parcourir des routes goudronnées, il se déplaçait cahin-caha, sur des chemins sinueux, parfois empierrés, mais le plus souvent boueux, où les trous succédaient aux bosses.

Tout se faisait plus lentement qu’aujourd’hui. À croire que le temps ne comptait pas. D’ailleurs, après de si longues journées, mon grand-père trouvait encore le courage de retranscrire ces trajets dans un cahier d’écolier. Son écriture délicate, réalisée à la plume, démontre un degré d’éducation exceptionnel, acquis à l’école du village.

Si mon grand-père paternel a sué sang et eau sur ses terres, il en est de même du côté de la branche maternelle. En effet, notre arbre généalogique mentionne plusieurs hommes à la tête d’exploitations agricoles. Ils ont, pour la plupart, repris une ferme à l’occasion de leur mariage et, comme tous les paysans de l’époque, ils élevaient, eux aussi, quelques vaches laitières.

Vous l’avez compris, je suis issue d’unions successives d’Hommes de la terre ; des hommes courageux, solides, aux valeurs bien ancrées.

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