MON SUIVI

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LE COUREUR

On m’a touché, mesuré comme on fait d’un cheval

Soufflé dans un masque de toutes mes forces,

accéléré plein d’électrodes
Pour aller jusqu’où j’avais trop mal

VEILLER TARD

Ces larmes si paisibles qui coulent inexpliquées

MON SUIVI

Mon suivi médical était relativement lourd. Il fallait réadapter régulièrement tous mes appareils, vérifier que ma colonne vertébrale reste bien droite et que chaque articulation garde toutes ses amplitudes, mesurer chaque segment de mon corps au niveau de la force musculaire afin de suivre l’évolution de cette myopathie, et s’assurer enfin que ma fonction respiratoire reste stable.

Deux fois par an, j’avais droit à un check-up complet. Ces contrôles étaient véritablement pénibles, car j’étais soumise à une batterie d’examens médicaux chez des spécialistes, des radiologues, des orthoprothésistes, dont certains n’étaient pas toujours sympathiques.

Une fois encore, j’ai dû accepter de me plier à maintes exigences. Par exemple, j’ai dû apprendre à me faire trimballer, toute seule comme une grande, chez des adultes que je ne connaissais pas.

Imaginez ce que ressent un enfant confié de but en blanc aux « bons soins » d’adultes qui ne le connaissent pas, qui lui font parfois peur et souvent mal, qui voient la plupart du temps en lui un simple « cas médical » avant de le considérer comme un enfançon !

Mes parents n’assistaient jamais à ces consultations. Dans un sens, je préférais qu’il en soit ainsi. De cette façon, toute seule face à mes « spécialistes », je n’étais pas obligée de me retenir de pleurer, de râler, ni de montrer mon désarroi même si, en général, je restais de marbre, étant donné ma timidité.

Je le répète, je détestais ces visites. D’ailleurs, je supportais de moins en moins les docteurs. Dans mon esprit, ils faisaient partie des « méchants », car, la plupart du temps, ils me faisaient souffrir en forçant sur mon pied, mon genou ou sur une hanche. C’était eux, surtout, qui prescrivaient et m’imposaient mes appareils, mes postures et cette batterie d’examens. Bref, en sortant de chez eux, je me disais que mes « réjouissances » allaient commencer.

Rien n’était jamais acquis dans ce processus destiné à stabiliser ma pathologie, car, la plupart du temps, ces périlleuses visites avaient pour seule conséquence d’augmenter l’intensité de mes traitements. En effet, le kiné recevrait de nouvelles directives, il devrait atteindre de nouveaux objectifs. Par expérience, je savais qu’il allait donner au moins un tour de clé dans le manicrak.[1] Mon appareil deviendrait encore plus serrant, plus enclavant, plus imposant. Ma posture serait plus longue, la durée de ma verticalisation serait augmentée d’autant. On serrerait un peu plus le genou, on étirerait un peu plus tel ou tel muscle… J’aurais surtout beaucoup plus mal.

J’ai relu plus tard les rapports médicaux. Ils mentionnaient que j’avais souffert d’escarres aux talons et aux genoux. Cette épreuve m’était complètement sortie de l’esprit. Je sais pourtant qu’un appui prolongé, sur certains points du corps, peut occasionner des escarres particulièrement douloureuses. Comment ai-je pu endurer de telles douleurs sans en parler ? J’ai dû avoir très mal.

Soumettez-vous à cette expérience : formez un pli dans votre chaussette et efforcez-vous de porter votre chaussure de cette façon. Vous allez aussitôt ressentir une douleur, ou tout au moins une gêne. Ne changez rien, attendez un peu. À un moment donné, vous ne tiendrez plus, vous serez obligé de vous déchausser pour enlever ce pli. Je vous mets au défi de résister. En ce qui me concerne, mes appareils devaient serrer si fort, qu’ils ont entravé la circulation sanguine et ont provoqué ces blessures.

C’est vrai : j’avais oublié le souvenir de ces escarres. Par contre, je sais pertinemment qu’à l’époque, je n’en disais rien à ma famille. Je les aurais attristés. Ils souffraient déjà suffisamment. Cela, je l’avais compris dès mon plus jeune âge. Alors, j’ai supporté toute seule ma souffrance physique, le poids de l’éloignement familial et la douleur psychologique de vivre sans les miens. 

Comment un enfant de cinq ans, encore capable de bouger, peut-il supporter sans broncher d’être attaché à une table, d’y être sanglé comme un malfaiteur, et contraint à une immobilité complète pendant des séances qui lui semblent interminables ? Les comptes rendus mentionnent que j’acceptais mal ce « traitement ». Je n’en suis pas étonnée. Les enfants de cet âge ne demandent qu’à remuer. Comment voulez-vous qu’ils acceptent, sans se rebeller, de rester prisonniers de cette position ?

Scotchez un enfant et empêchez-le de bouger, vous verrez sa réaction. Or, c’est ce qu’on m’imposait : rester en place, me taire et subir sans broncher ! On ne m’a pas laissé le choix, j’ai dû faire contre mauvaise fortune bon cœur, sans même savoir pourquoi.

Messieurs les Docteurs, pourquoi ne m’avez-vous rien expliqué ? Pourquoi ai-je dû tout comprendre toute seule, tout le temps ? Pourquoi ai-je dû subir et endurer vos traitements sans aucune précision ? À cette époque, était-ce encore si exceptionnel d’expliquer les choses ? Peut-être… Vous auriez pourtant dû comprendre que je n’étais qu’une enfant, une petite fille à qui on demandait de se comporter déjà comme une grande, d’être gentille, sage et, avant tout, docile.

Il faut expliquer aux enfants les raisons et les buts des soins dont ils font l’objet, ne surtout pas les laisser dans le doute, sinon, ils essaieront de comprendre par eux-mêmes. Leur imaginaire risque alors de les induire en erreur et de causer plus de mal que la simple vérité. Tout est bien mieux accepté par l’enfant, s’il connaît les enjeux des thérapies qu’on lui impose.

Pour ma part, le pire traitement dont je me souvienne avait pour objet le contrôle des gaz du sang, un examen qui se déroulait à l’hôpital Calmette. Mon angoisse commençait dès que je pénétrais dans ce long couloir carrelé de petits carreaux beiges. Je vivais cette prise de sang dans l’artère radiale — au niveau de mon petit poignet — comme une véritable agression. C’était horrible, insupportable.

Les praticiens me tenaient fermement, ils m’empêchaient de bouger et me bloquaient le bras, le temps de piquer mon artère. Je hurlais tant cela me faisait mal. Je pleurais toutes les larmes de mon corps. Mes parents n’en ont jamais rien su. Jamais. Je les protégeais à ma façon.

L’examen des gaz du sang est encore plus douloureux et à la limite du supportable s’il est exécuté par un débutant. Il me semble donc primordial qu’un véritable professionnel exécute cet acte, surtout lorsqu’il s’agit de pathologies chroniques. Comme l’enfant frappé de telles pathologies devra subir un nombre incalculable d’actes médicaux traumatisants, il serait judicieux de lui éviter des souffrances inutiles.

Combien de fois ai-je été piquée par un novice ? J’admets qu’ils doivent apprendre, mais, dans ce cas, qu’ils apprennent sur des patients contraints à moins d’examens, à moins de souffrance. Le seul point positif, c’est que je sortais du Centre pendant quelques heures.

Heureusement, d’autres examens réalisés en extérieur étaient plus agréables. La radio du dos, par exemple, ne faisait pas souffrir. Au moins, c’était cool. Enfin un geste non invasif ; ils étaient tellement rares !

C’est un prénommé Jean-Marc qui nous emmenait à l’extérieur pour le suivi médical « complexe ». Il est d’ailleurs devenu le radiologue du Centre Marc Sautelet quand celui-ci s’est équipé d’un appareil de radiologie, peu après que j’en suis partie.

[1] Dans le Nord, nom donné à un système de serrage mécanique.

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