Ô TOI, MA VÉNUS !
FERMER LES YEUX
Quand la peine est trop lourde
Quand le monde est trop laid
Quand la chance est trop sourde
La vérité trop vraie
Ô TOI, MA VÉNUS !
Par quel miraculeux coup du sort, cet affectueux animal a-t-il abouti chez nous ? En tout cas, il est entré dans ma vie comme par magie, alors que j’avais sept ans.
Je vous explique. Chaque matin, ma sœur se rendait à pied au bout de notre rue. Une voisine l’y attendait pour la conduire à l’école. C’est là également, dans une modeste maison, qu’habitait une brave dame entourée de ses chiens. Au fil du temps, ma sœur succomba au charme d’une de ses chiennes au pelage couleur chocolat. Devant les yeux pétillants de ma sœur, la voisine accepta de nous l’offrir.
Elle s’appelait Vénus — je parle de la chienne ! — et elle était de petite taille, avec des oreilles bien droites. Sa magnifique cravate blanche la rendait majestueuse. De toute façon, pour mon cœur d’enfant, elle était la plus belle du monde.
Peut-être avait-elle un peu de pinscher dans ses gènes. En effet, c’était un excellent petit ratier qui adorait chasser. Dans les fermes, on apprécie beaucoup ce genre de chien, car, attirés par les céréales destinées aux animaux, des rongeurs logent souvent près de ce « garde-manger » bien garni. Des chats semi-sauvages ou des petits ratiers sont alors bien utiles pour de ne pas être envahis par ces voleurs. Vénus ne dérogeait pas à la règle : elle délogeait tous les nuisibles et pouvait rester des heures à guetter sa proie.
Cette adorable chienne s’est littéralement amourachée de moi. De mon côté, j’étais en extase devant cette petite puce. Elle fut d’ailleurs mon premier véritable Amour et elle a été, plus que tout, une amie, une amoureuse, un prince charmant, une enfant, une confidente, bref : un tout. Avec un tel nom, elle ne pouvait que rassembler tous les pouvoirs attribués à cette déesse de la mythologie romaine : la beauté, la séduction, la protection.
Elle était vraiment géniale, elle me défendait, m’attendait, me léchait, me réchauffait… Nous nous comprenions d’un simple regard. Mon Dieu, comme je l’ai aimée !
J’étais pensionnaire et, forcément, durant la semaine, j’étais absente de la maison. Néanmoins, quand je rentrais, ma petite chienne m’attendait et me faisait la fête comme personne. Elle me démontrait inlassablement son amour indéfectible, semaine après semaine. Grâce à elle, je me sentais la petite fille la plus importante du monde.
À travers ses petits yeux, je sentais qu’elle m’adorait. D’ailleurs, elle ne savait que faire pour me le démontrer. Elle dormait sous les couvertures, à mes pieds, pour me les réchauffer ou simplement pour rester auprès de moi, peut-être consciente de la fugacité de ces instants.
Pendant les vacances, un kiné passait me prodiguer des soins. Je le détestais, associé qu’il était à la douleur. Vénus le sentait. Consciente que j’étais une fillette sans défense, elle s’interposait et me défendait.
Moi, je trouvais en elle une amie forte, toujours présente à mes côtés, un peu comme un sphinx qui garde son temple. Elle ne voulait pas qu’on me dérange ni qu’on me fasse mal. J’avais besoin qu’on me comprenne et qu’on m’aide, et c’est ce qu’elle faisait. On se comprenait, elle me comprenait.
Ma Vénus, je t’ai aimée du plus profond de mon cœur. Tu m’as offert un amour si pur, si réel, si vrai, si profond… Nous étions en totale osmose. Grâce à toi, j’ai compris ce qu’était l’Amour ; l’Amour avec un grand « A ». Plus tard, du haut de mes huit ans, j’ai compris la grandeur de ce sentiment, la grandeur de ce ressenti si précieux dans une vie.
L’amour… ! Oui, je me remplissais d’amour auprès de mes animaux. Eux, au moins, ils m’aimaient en toute simplicité et ne me jugeaient pas. Personne ou presque ne le voyait, mais c’était pourtant simple, si simple : je les adorais. Avec sincérité. Comme une évidence. Pourquoi en aurait-il été autrement ? Personne d’autre qu’eux ne me prodiguait cet amour dont j’étais alors si friande, dont j’avais un tel besoin. Non seulement, ils me l’offraient, mais je m’en nourrissais goulûment.
Que demande une petite fille de cet âge, sinon de l’amour et de l’attention ? Prisonnière de ma douleur et de mon isolement, j’en avais besoin plus que n’importe qui. C’était à la fois simple et essentiel : j’avais besoin de cet amour pour rester en vie. Par conséquent, c’est peut-être l’amour prodigué par cette petite chienne — et ensuite par mes autres animaux — qui m’a aidée à tenir bon et qui me permet aujourd’hui encore de poursuivre cette vie fragile. Quelle force j’ai pu puiser à travers leurs regards aimants !
Ma belle et adorable Vénus, jamais je ne t’oublierai. Je t’ai aimée du plus profond de mon être et je ne te remercierai jamais assez pour le bonheur que tu m’as procuré. Tu m’as dirigée vers l’amour et l’affection, tu as contribué à construire ce que je suis aujourd’hui. La plupart des gens te considéraient comme un petit être banal, sans importance. Or, à mes yeux, tu valais tout l’or que le monde peut cacher dans ses entrailles.
Je souhaite à tous les enfants de connaître un jour ce ressenti, tant il est doux et réconfortant. Quelle femme serais-je aujourd’hui si je ne l’avais pas connue ? Elle s’est vouée à moi. Nous nous aimions en toute simplicité, mais avec sincérité et authenticité.
Vénus, ma belle, tu m’as tant apporté ! Grâce à toi, durant toute mon existence, j’ai su reporter l’amour qui débordait de moi sur d’autres chiens.
Par exemple, peu avant mes neuf ans, tu as mis bas un petit chiot. Comme il est né un 4 mars, jour de la Saint-Casimir, je lui ai attribué ce charmant prénom. Malheureusement — je ne sais dans quelles circonstances — tu t’es brisé le bassin. Pauvre Vénus ! J’étais la seule personne à pouvoir te toucher. Tu avais confiance en moi, n’est-ce pas ? Tu savais combien je connaissais les douleurs physiques ; tu savais que, pour rien au monde, je ne te ferais souffrir.
Je te caressais doucement, en prenant soin de ne pas te brusquer. Nous étions unis dans une même solidarité, dans une même conscience de la douleur. Notre patience et notre amour ont eu raison de ce problème. Hélas ! ta portée suivante s’est très mal passée. Ton bassin devait être mal consolidé. Toujours est-il que tu n’étais pas en mesure de mettre bas.
Ce jour-là, quand je suis rentrée — sans doute pour le week-end — tu gisais fébrilement dans le hangar, mais tu étais encore en vie. Moi, j’étais trop jeune pour deviner ce qui t’arrivait. Je ne savais surtout pas qu’on aurait pu te sauver. De toute façon, mes parents n’avaient pas les moyens de te soigner.
Je sais aujourd’hui qu’il aurait suffi de pratiquer une césarienne et de te stériliser. Oui, il aurait suffi ! Toujours est-il que, ce jour-là, le couperet implacable est tombé.
Tu es morte, toi ma fil
le, toi mon amour d’enfant. Toi, que j’aimais tant, toi qui m’avais tant apporté, qui m’avais fait grandir, tu es partie à tout jamais. Tu m’as laissée toute seule dans ce monde, seule dans la multitude.
Pendant combien d’années en ai-je voulu à mes parents de ne pas t’avoir soignée, toi que j’aimais tant ? Toi, mon rayon de soleil, ma stabilité, ma joie de vivre ? Quelle souffrance quand tu es partie, même si tu m’as laissé Casimir. Une fois encore, la mort me côtoyait. Après les décès des petits garçons du Centre, c’était au tour des animaux. À chaque fois, une vie s’en allait. À chaque fois…
Ma Vénus fut vraiment une petite chienne extraordinaire et je le dis avec force : son existence a été décisive pour le reste de ma vie. D’ailleurs, des décennies plus tard, je la pleure encore. Elle a suscité ma toute première passion pour cet animal que l’on surnomme à juste titre « le plus fidèle compagnon de l’homme ».
Depuis ce temps, j’ai accueilli plein d’autres chiens. Je les aime toujours autant et ils me le rendent au centuple. L’amour qu’ils m’apportent est incommensurable.
Vous trouvez que j’insiste un peu trop sur ce sujet ? Dans ce cas, laissez-moi vous convaincre que Vénus a été ma délivrance. Elle a rendu ma vie plus douce, plus acceptable, plus tolérable. J’aimais à nouveau la vie, en grande partie grâce à elle. En tout cas, dès le jour où elle est entrée dans mon existence, ma vie a pris un tout autre sens. J’existais positivement, je découvrais tant de passion dans le regard de quelqu’un d’autre ! Mais surtout, mes souffrances passaient au second plan.
Au fil des ans, une bonne trentaine de chiens ont ainsi vécu à mes côtés. Parmi eux, quelques-uns m’ont permis de revivre une véritable histoire d’Amour. J’ai même connu l’osmose totale avec certains. Ces loulous m’ont apporté un Amour puissant, de la tendresse, de la chaleur, à un point que vous pouvez difficilement imaginer.
Naturellement, quand certains sont partis, j’ai à nouveau souffert atrocement. Ne m’avaient-ils pas donné une raison de vivre ? Dès lors, puisque j’avais existé pour eux, j’ai décidé que je vivrais dorénavant par, et pour eux.
L’Amour est la chose la plus importante dans la vie, plus puissante encore que la souffrance, la mort ou l’oubli. Je me suis ainsi sentie plus proche de ces compagnons canins que de nombreux humains dans le regard desquels je distinguais le plus souvent de la cruauté, de l’absence d’empathie et, dans le meilleur des cas, de l’indifférence… Vous ne pouvez imaginer comme cette indifférence fait mal au cœur !
Je suis même persuadée que l’Amour est plus important que la santé, cette santé qui me fait cruellement défaut. J’en suis intimement convaincue à présent. L’Amour nous permet de tout vaincre, d’abattre des montagnes, de briser des murs. On oublie les clivages, on saute par-dessus les failles et on colmate les fissures, même les plus profondes. Plus aucun obstacle ne nous résiste.
Ces compagnons, bien plus petits que moi, m’aimaient d’une façon grande et noble, sans calcul, sans intérêt. En retour, je les défendais. J’avais ainsi une cause à défendre, un étendard à brandir, un combat à mener.
Au fond, c’était peut-être cela, être en vie… ?
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