UNE ASSISE ÉTERNELLE
FERMER LES YEUX
Le corps à l’abandon
Possédant de si peu
D’un vide, d’une absence
UNE ASSISE ÉTERNELLE
Avant 1960, les enfants atteints d’infirmité motrice n’étaient quasiment pas scolarisés. Ils séjournaient en permanence dans des endroits médicalisés. Cela semblait amplement « suffisant » pour leur éducation !
Par la suite, on se rendit compte qu’une si longue hospitalisation et autant de soins intensifs perturbaient à la fois leur développement et leur affectivité. On admit, non seulement, que la maladie n’avait aucune incidence sur l’éventuel retard intellectuel de l’enfant, mais que l’enfant traité dans le milieu familial avait un comportement normal. Dans la mesure du possible, on a donc essayé d’intégrer ces enfants.
À ce propos, les années ’70 ont été une période charnière pour l’instruction et l’intégration des jeunes en situation de handicap. Pour preuve, après la loi de 1975, l’Association des Paralysés de France a construit un nombre important d’établissements permettant aux enfants et aux adolescents de recevoir une véritable instruction. Parmi ceux-ci figurait le foyer Jean Grafteaux, ouvert en 1978. Cet établissement absolument inédit permettait aux jeunes d’être reçus, la journée, dans des classes dites normales, tout en étant intégrés au collège, au lycée ou à l’université de Villeneuve-d’Ascq. Depuis la naissance de cette ville, l’accessibilité a été l’une de ses priorités.
Le matin, tous les résidents étaient conduits dans leur établissement scolaire. Après les cours, les adolescents rentraient au foyer pour y recevoir les soins nécessaires. En outre, un internat permettait aux jeunes handicapés habitant trop loin d’avoir accès à un enseignement standard.
Pourtant, en 1979, l’intégration scolaire des enfants souffrant d’un handicap en était toujours à ses balbutiements dans notre Hexagone. On y dénombrait uniquement deux structures permettant une totale inclusion tout en offrant des prestations médicales adaptées, ce qui représentait une véritable révolution. J’avais, pour ma part, la chance qu’un tel établissement avant-gardiste se soit ouvert dans le Nord et, qui plus est, à proximité du Centre Marc Sautelet. En effet, la deuxième structure se trouvait beaucoup plus loin, près de Bordeaux.
Même si j’espérais toujours vivre à temps plein au sein de ma famille, l’émergence d’un tel foyer était une opportunité inouïe : un ado en fauteuil roulant devait se contenter de fréquenter l’école d’une structure, alors que moi, j’avais la chance de rejoindre un vrai collège.
D’ailleurs, au cours de l’année scolaire 78-79, de la salle du Centre où je recevais mes séances de kiné, j’avais aperçu Madame Anne-Aymone Giscard d’Estaing, le jour où elle était venue inaugurer cette structure flambant neuve.
Pour ma part, je venais d’avoir onze ans et on m’avait jugée apte à entrer en sixième. En septembre 1979, j’ai donc entamé ma sixième au foyer Jean Grafteaux. Je me suis retrouvée dans un milieu totalement inconnu, encadrée par une nouvelle équipe d’éducateurs. Comme ils savaient que je devais porter un corset toute la journée, je n’ai pu échapper à cette obligation.
Au Centre Marc Sautelet, nos fournitures scolaires restaient dans la salle de cours et le matériel de classe était identique pour tout le monde. Par contre, à mon grand désappointement, ma sœur avait reçu un cartable, et pas moi. Peut-être est-ce l’une des raisons pour lesquelles je me suis si souvent sentie différente. Même lors de mon entrée en CP, je n’avais pas connu la joie et la fierté de mes petits camarades ; je n’avais pas reçu de cartable, pas de crayon, ni même une règle. Cette joie, j’ai dû attendre l’entrée au collège pour la savourer.
J’ai enfin reçu un véritable cartable en cuir ; il était couleur grenat, avec plusieurs soufflets. Je l’ai conservé durant tout mon secondaire, jusqu’à ma troisième. Il me suffisait amplement, je ne désirais rien de plus. Je ne comprenais d’ailleurs pas que les autres élèves reçoivent tous les ans une nouvelle serviette ou un autre sac.
Comme ce foyer était nouveau, il fallait vite le faire connaître. Par conséquent, lorsqu’il a ouvert, il accueillait tous ceux qui le désiraient. Par la suite, il est très vite devenu élitiste : les meilleurs éléments pouvaient espérer décrocher leur bac, les moins bons étaient dirigés vers d’autres structures « fermées » et n’étaient donc pas intégrés dans un milieu scolaire traditionnel.
En fonction de notre niveau d’étude, ce foyer était divisé en trois secteurs. Tout d’abord le secteur étudiant, puis lycéen et enfin collégien. Chaque secteur avait sa propre salle à manger, une salle de télévision avec son canapé, des jeux et différentes activités, sans oublier la salle d’étude.
Chez les collégiens, les garçons logeaient au rez-de-chaussée, à raison de cinq élèves par chambre.
Les lycéens, pour leur part, occupaient des chambres de quatre. Chacun avait son lavabo, son bureau, son armoire et sa commode. Bref, le standing était un peu plus élevé.
Les étudiants, quant à eux, disposaient d’une chambre individuelle. Plus le niveau des études augmentait, plus le logement était confortable et plus le règlement s’assouplissait afin d’octroyer davantage de libertés.
Chaque enfant disposait d’une sonnette pour faire appel au veilleur de nuit ; faculté que nous n’avions pas au Centre Sautelet, sauf si nous étions à l’infirmerie.
Combien de fois le veilleur du foyer ne m’est-il pas venu en aide ? Rester couchée pendant des heures dans la même position m’était insupportable. Or, je n’étais plus en mesure de me retourner seule dans mon lit.
Je l’avoue, mon entrée au collège m’a complètement déstabilisée. Toute ma vie, toutes mes habitudes étaient chamboulées. Ce changement s’avérait trop brutal. Fini le milieu fermé, protégé, où tout le monde se côtoyait plus ou moins ; fini le privilège permanent de rester au chaud, finie la surprotection, finies les heures suspendues, les interminables séances de kiné ou de verticalisation…
Ce rythme de vie trop différent m’épuisait. J’étais fatiguée, et pour cause : je ne faisais plus la sieste, alors que j’en avais l’habitude ; j’avais des devoirs à remettre, ce qui n’était pas le cas auparavant ; je vivais dans un nouvel environnement ; je devais me conformer à de nouvelles règles ; je côtoyais de nouvelles personnes, de nouveaux éducateurs, une nouvelle équipe soignante, un nouveau médecin, de nouvelles compagnes de chambrée…
En général, la sixième est déjà source de grands changements pour la plupart des écoliers. Pour moi, ce fut un chambardement complet. Cette première année au foyer fut donc particulièrement difficile à vivre.
J’y ai découvert un univers radicalement différent. Je vivais dorénavant dans le monde des enfants valides. Pourtant, au début, timide comme j’étais, je les observais à la fois avec envie et avec indifférence. Certains couraient bêtement dans la cour de récréation, d’autres s’amusaient à cacher des cartables. Rien de bien intelligent… À la cantine, nous devions faire la queue, prendre un plateau, puis passer au self. J’avais froid, même très froid. De plus, j’étais dans une « mauvaise sixième ». Les élèves étaient turbulents et, pour tout dire, stupides. Je me sentais en total décalage avec eux, surtout avec leur mentalité. J’avais surtout beaucoup de mal à trouver ma place.
Entretemps, ma maladie s’aggravait et je portais mon corset toute la journée, car personne n’aurait consenti à me l’enlever. De toute façon, je n’aurais pas osé le demander non plus. De plus, cette année-là, papa était très mal psychologiquement. Résultat : ma première année au foyer fut un échec à presque tous les niveaux.
Modernité oblige, un premier fauteuil électrique était arrivé en France en 1973 grâce à l’Association Française contre les Myopathies. J’ai reçu le mien en 1978, à peine un an après sa prise en charge par la Sécurité sociale. Les tout premiers exemplaires étaient de conception assez rudimentaire et dotés d’un châssis fixe, à savoir que le dossier ne pouvait pas s’incliner. On pouvait juste se déplacer sur terrain plat en actionnant une manette, tellement il était lent. Pour vous dire, il plafonnait à la vitesse de trois kilomètres/heure. Un vrai calvaire. Comme j’étais honteuse d’arriver toujours la dernière en classe ! Je me sentais la plus nulle de toutes les élèves. De plus, ces fauteuils étaient peu fiables. Le mien était constamment en panne et repartait régulièrement pour deux ou trois mois chez le fabricant en Grande-Bretagne.
Je n’exagère pas en affirmant que mes deux ou trois premières années au foyer m’ont fait détester la vie en fauteuil. De plus, lors des pannes de mon fauteuil électrique, je réintégrais mon fauteuil manuel muni de grandes roues à l’arrière. Impossible pour moi de faire avancer un tel engin sur de longues distances ! Or, entre chaque cours, nous devions changer de classe, et donc nous rendre dans une autre rotonde en traversant une cour pentue. Je pleurais de rage, car je n’avais pas la force de faire avancer ce fichu engin !
Fort heureusement, quelque temps plus tard, le foyer a reçu d’autres fauteuils plus performants pour pallier les diverses pannes et avaries. Cette fois, j’étais en mesure d’arriver au cours en même temps que tout le monde. Si vous saviez comme c’était bon de se déplacer à la même vitesse que mes compagnes ! Cela vous paraîtra peut-être futile mais, connaissant mon caractère, je peux vous assurer qu’être toujours à la traîne était particulièrement agaçant. Tout le monde me dépassait ; personne ne prenait la peine de m’attendre.
Pour en revenir à ma scolarité, j’avais dans ma classe un garçon prénommé Patrick. Un spécimen ; le roi des cons ! Il donnait sans arrêt des coups de pied dans les roues de mon fauteuil. C’est qu’il pouvait marcher, « lui » ! Il ne portait qu’un corset. À mes yeux, ce n’était pas un vrai handicapé moteur, étant donné qu’il savait tout faire par lui-même. Il avait juste besoin d’être recadré. Heureusement, il n’a passé qu’un an au foyer.
Une fille de quinze ou seize ans, grande et costaude, se trouvait, elle aussi, au foyer. Du fait de son spina-bifida, elle accusait pas mal d’années de retard au niveau scolaire. Comme nous venions tous les trois du foyer, Patrick, elle et moi, les éducateurs avaient cru bon de nous regrouper dans la classe. À leur grand dam, je ne me suis absolument pas intégrée à ce genre de clan fabriqué de toutes pièces. Par conséquent, je ne parlais jamais à ces deux camarades, ni d’ailleurs aux autres élèves de la classe.
J’avais déjà si peu confiance en moi… Perdue dans cet environnement sans âme, j’en suis arrivée à me dénigrer. De plus en plus. Sans jamais en parler. La semaine comme le week-end, je subissais en silence.
En début d’année, je n’ai plus porté aucune orthèse de jambes, ni de jour ni de nuit. Seul mon corset restait de mise. J’ai trouvé cela super dans un premier temps. Hélas ! lors d’une verticalisation sans appareils, ils m’ont tordu le genou. Par facilité, les soignants du foyer décidèrent alors de ne plus me verticaliser du tout. Je devais dès lors rester en fauteuil toute la journée.
De plus, la fréquence de mes postures se limitait désormais à deux à trois par semaine. Ces séances ont ravivé de pénibles souvenirs, car la kiné m’accrochait également des poids aux pieds afin d’étendre mes genoux. Par conséquent, je me suis à nouveau retrouvée allongée sur le ventre avec une sangle aux fesses et un coussin sous les genoux. De plus, avec ces kilos de plomb supplémentaires, mes pieds dépassaient de la table.
Cette espèce de sauvage attachait les poids et, le dernier quart d’heure, madame en ajoutait encore. J’avais la nette impression que mes tendons allaient s’arracher ! J’ai haï cette kiné autant que je l’ai crainte. Elle me faisait mal et me terrorisait. Qui plus est, malgré ce traitement, mes genoux, mes hanches et mes pieds s’enraidissaient inexorablement.
Les années suivantes, pour leur confort et pour ne pas avoir à multiplier les transferts, les kinés m’ont laissée carrément à temps plein au fauteuil. Ils se contentaient de mobiliser un peu mes pieds. J’étais assise toute la journée, les genoux fléchis et, comme je ne me baladais plus jamais jambes tendues, je risquais à terme, de ne plus du tout savoir les allonger.
Autre conséquence de ce séjour permanent en fauteuil électrique, ma scoliose galopait et je m’effondrais littéralement sur moi-même. Mon corps était son propre ennemi ! Les kinésithérapeutes m’obligeaient à porter mon corset, mais pourquoi ne s’occupaient-ils pas davantage de mon dos ? Il faut croire qu’à cette époque, ce n’était pas leur préoccupation majeure vis-à-vis des enfants souffrant d’une telle pathologie.
Ne voyaient-ils pas qu’en bougeant de moins en moins, non seulement je me ratatinais, mais que je grossissais au lieu de grandir ? Certes, je savais le danger de ce surpoids, mais j’avais trop à penser, je ne pouvais pas faire attention à tout. On ne peut même pas dire que je mangeais beaucoup : je manquais d’exercice, c’est tout ! J’avoue cependant que je n’étais plus aussi difficile qu’avant en matière de nourriture… Manger n’était-il pas l’un des rares plaisirs qu’il me restait ?
Puis, un jour, on a dû me confectionner un nouveau corset. La technique était très différente de ce que j’avais connu au centre, elle était surtout beaucoup plus « soft ». Comparé à l’intransigeance des kinés du centre, c’était de la rigolade ! Le revers de la médaille, c’est que ce nouveau corset en cuir ne me corrigeait pas. Il me soutenait juste un peu. Pour corser le tout, on me l’enfilait quand j’étais assise et, de ce fait, il était toujours très mal positionné. On aurait dit que j’étais bossue ! Il n’y avait donc rien d’étonnant à ce que ma scoliose continue de s’amplifier.
Devant cette aggravation, le médecin commença tout doucement à envisager une opération. Mes parents ont appris la nouvelle peu avant mes douze ans mais, pour eux, c’était « niet ! », hors de question. D’ailleurs, rappelez-vous que, d’après les médecins, je n’allais pas « faire de vieux os » ! Alors, pourquoi faire souffrir sa progéniture ou prendre le risque de la perdre encore plus vite, car cette intervention était très lourde...
Autant au Centre, ils ne voyaient que mon corps, mon corps et encore mon corps, autant au foyer, ils se focalisaient sur mon intellect. Mon corps pouvait se déformer à outrance, tout le monde s’en foutait ou presque. On lui accordait le minimum d’importance. Non seulement les kinés ne s’occupaient plus de mon dos, mais ils se désintéressaient aussi de certaines articulations. De mon côté, je me forçais à me tenir malgré tout bien assise. Tout compte fait, l’essentiel pour moi, c’était de bien travailler.
Durant cette même période, mes parents se sont aperçus à la fois que mon petit frère perdait la marche, et que ma station assise devenait précaire. Papa était désespéré. Il ne supportait pas d’assister, impuissant, à nos détresses.
Je me souviens particulièrement d’une visite que nous avions rendue au frère de maman. Mes parents m’avaient installée dans un canapé. Vous ne pouvez imaginer mon humiliation quand ma tante leur a fait remarquer sans ménagement que je ne me tenais « pas correctement » ! J’étais honteuse de moi, honteuse qu’une personne de la famille lance une telle remarque à maman, et que maman prenne cet affront en pleine figure. Maman lui a répondu que ce n’était rien. L’a-t-elle dit pour me protéger, sachant que je l’avais entendu ? A-t-elle répondu cela pour couper court à une conversation qui pouvait s’avérer trop délicate et douloureuse pour elle ? Ou pour ces deux raisons ?
Au fond, quelque part, mes parents avaient honte de mon état ; ils ne voulaient pas que d’autres personnes remarquent mon handicap. L’un de nos voisins, une personne aigrie s’il en est, n’avait-il pas lancé à mon père :
— Faut pas demander ce que tu as fait au bon Dieu pour être puni ainsi !
Lorsque mon père nous a relaté cet incident, mon cœur s’est rempli de peine pour ma famille, comme si tous leurs malheurs venaient de moi. J’ai ressenti le terrible sentiment que le poids de leurs maux, le poids que je leur faisais porter au quotidien, tout cela était ma faute. Cette culpabilité m’a profondément tourmentée.
Je ne voulais plus que l’on colporte toutes ces choses à propos de mon état de santé : que je devais porter un corset, que j’avais une scoliose, ni surtout que ma santé s’aggravait. Je voulais que l’on me considère comme une petite fille normale, pas comme une éternelle malade et encore moins comme une pathologie montée sur roues ! Je ne voulais plus être un cas d’étude, je voulais être comme tout le monde. Était-ce trop demander ?
Pourtant, après le constat choquant de ce voisin et la réflexion déplacée de ma tante, j’ai vécu — un peu maladroitement, je l’avoue — une autre forme d’humiliation.
En effet, à l’occasion de la fête de Noël, notre village offrait un cadeau à chaque enfant. Or, cette année-là, les enfants de mon âge avaient reçu des raquettes et une balle de tennis de table. Imaginez ma déception… Je me souviens avoir été attristée autant par ce cadeau dont je ne savais rien faire, que par le visage affligé de maman.
Tout le monde savait pourtant que je me déplaçais en fauteuil électrique. Tout le monde le voyait. Et malgré ça, la municipalité m’offrait ce cadeau aussi ridicule qu’inutile. À vrai dire, personne ne prêtait attention à la particularité de notre situation de handicap, personne ne s’en souciait. C’était plus simple !
Je souffrais tellement de me trouver tout le temps en situation d’échec, surtout par manque d’attention. Cette expérience m’a profondément marquée.
Comme je l’ai mentionné plus haut, la santé de papa était, elle aussi, chaotique. Durant mon séjour au foyer, il a même été hospitalisé durant près de deux mois. À mon grand désappointement, ma communion solennelle a donc eu lieu en son absence. Je me souviens avoir pleuré dans le chœur de l’église, tellement j’étais peinée. Je me sentais coupable, responsable de ce qui lui arrivait.
L’une de mes tantes nous avait invités chez elle pour que cette journée soit, malgré tout, source de joie. Mon cousin, du même âge, faisait lui aussi sa grande communion. Nous avons donc « fêté » notre communion en famille, mais sans papa. Inutile de dire que mon cœur n’y était pas.
Je me tracassais autant pour maman, qui devait faire face à tous nos problèmes, à tous nos tracas, toute seule. Comment faisait-elle, chaque week-end, quand je rentrais à la maison, moi qui représentais une charge supplémentaire ? Comment faisait-elle, le soir, pour s’occuper en même temps de mon petit frère qui tombait tout le temps, et de ma sœur à la santé fragile ? Où a-t-elle réussi à puiser les ressources psychologiques et physiques ? Toute cette énergie ?
Et moi, comment ai-je réussi à combler toutes mes lacunes ? Comment suis-je parvenue à ne quasiment plus commettre aucune faute quand j’ai redoublé ma sixième, alors que j’en commettais des tonnes lors de ma première année au collège ? Comment ai-je pu surmonter autant d’obstacles ?
C’est vrai, j’ai eu la « chance » de redoubler mon année. D’ailleurs, cette année-là, toute la fratrie a redoublé. En effet, une trop forte accumulation de problèmes a pour conséquence de perturber l’équilibre psychologique, et Dieu sait si nous avions tous été perturbés à cette époque ! Si rien ne va bien à la maison, les enfants sont, eux aussi, en souffrance.
Je fais état de « chance », car ma deuxième sixième s’est très bien passée, du moins, sur le plan scolaire. Cette fois, j’étais dans une bonne classe, parmi des élèves plus sérieux et motivés. Je fréquentais essentiellement les plus doués. Eux, au moins, ne passaient pas leur temps à courir comme des imbéciles ! Ils parlaient, réfléchissaient, et nous pouvions discuter intelligemment. Bref, je me suis sentie beaucoup plus à l’aise en leur compagnie.
Il n’en reste pas moins que l’adolescence est une période très difficile pour les jeunes atteints d’une pathologie entraînant un manque important de musculature. Le corps grandit, s’alourdit, l’évolution est fulgurante, alors que les muscles continuent de s’atrophier lentement, dans un inexorable déclin.
Lorsque nos éducateurs organisaient les traditionnelles petites « boums », ma souffrance était immense de voir les autres danser. Je souffrais tellement de ne pouvoir faire comme les autres ! Je me retrouvais la plupart du temps à l’écart, parmi les personnes porteuses d’un lourd handicap. J’aurais tant voulu faire comme tout le monde ! De plus, j’avais déjà été si limitée dans mes activités durant mon enfance, que j’ai réellement vécu mon adolescence comme une interminable épreuve aux frustrations multiples.
Entretemps, je continuais de grandir et mes besoins grandissaient tout autant. L’amour, l’affection et la tendresse me manquaient énormément. Je rêvais de retrouver une alliance magique, telle que je l’avais vécue auprès de ma Vénus. J’étais alors en classe de quatrième, l’âge où l’on a encore plus besoin de réconfort. J’étais précoce sur le plan psychologique et je ressentais d’autant plus un puissant besoin de reconnaissance et d’amitié.
De fait, les amis prenaient une place de plus en plus importante dans ma vie, mais cela ne me suffisait plus. Je ressentais un autre besoin d’affection, celle d’un petit être qui serait à mes côtés quand je rentrerais à la maison.
Ce rêve est devenu réalité, le jour où un éleveur m’a confié un petit caniche nain au pelage noir, une gentille chienne prénommée Nina. Mes parents se sont d’ailleurs servis d’elle pour faire un peu d’élevage. J’ai bichonné ses chiots comme une vraie mère poule, mais la petite Nina a donné son cœur à mon papa… Elle m’aimait, c’est un fait, mais ce n’est pas moi qu’elle préférait.
L’amour ne se commande pas et ne s’explique pas.
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