LE TÉLÉTHON
ILS SAUVENT DES VIES
Les chercheurs vont trouver, mais ils ont besoin de nous tous,
Alors soyez prudents et soyez fiers
LE TÉLÉTHON
À la fin de mon séjour au foyer Jean Grafteaux, je m’étais rendue, comme je le faisais souvent, dans un coin du hall, où se trouvaient quelques fauteuils et une table basse. Curieuse comme je suis, je regardais machinalement les documents déposés sur cette table, quand j’ai aperçu une publicité relative à une émission télévisée qui devait avoir lieu sous peu. Un mot écrit en majuscule se détachait de cet article : MYOPATHIE.
Quoi ? Comment ? On allait parler de la myopathie à la télé ! On allait en parler devant tout le monde ? Des millions de personnes allaient découvrir ce que nous vivions ? Nous allions enfin sortir de l’ombre ? J’étais dans un état de quasi-euphorie. Je ne parvenais pas à y croire, tellement j’étais excitée.
Dans la foulée, j’ai appris avec étonnement qu’il existait déjà au moins une association dédiée à cette pathologie. Il s’agissait d’une association de parents confrontés aux difficultés liées à nos maladies. Or, j’avais dix-neuf ans et, jusqu’ici, personne ne m’en avait parlé, personne n’avait orienté mes parents vers ces communautés et personne ne les avait aidés, alors que leurs trois enfants étaient concernés, alors qu’à l’évidence, des structures s’organisaient !
Et là, d’un coup, d’un seul, par la simple lecture d’un bout de papier, un véritable tsunami m’a balayée. Le terme « MYOPATHIE », ce mot tabou que personne n’osait prononcer, on allait le diffuser partout pendant vingt-quatre heures. Les chaînes de télé allaient montrer notre quotidien, notre vie, nos obstacles et nos victoires.
J’ai attendu ce jour comme un enfant attend Noël. C’était tellement important pour moi ! Moi, la petite fille différente, moi l’enfant qui avait grandi trop vite, moi l’enfant que l’on protégeait de tout. Cette maladie taboue allait faire la Une de tous les journaux. C’était inimaginable.
Puis, le jour « J », le slogan du tout premier Téléthon s’afficha sur les écrans :
« La myopathie tue muscle après muscle »
J’ai regardé cette émission comme si je vivais une délivrance. J’ai tout enregistré. Je ne voulais pas en perdre une miette. J’ai même pleuré des larmes d’émotion quand Jerry Lewis[1] — fondateur du Téléthon américain — a pris dans ses bras un jeune garçon prénommé Emmanuel.
Le lendemain, tous les journaux parlaient de ce Téléthon et affichaient en lettres capitales la somme inespérée qu’il avait permis de récolter. Pour ma part, comme l’émission avait duré très tard, j’ai revisionné le dimanche suivant, les séquences durant lesquelles j’avais dormi.
Nos savants et nos Professeurs pouvaient enfin commencer leurs recherches avec une nouvelle dynamique. Le mystère de nos maladies allait peut-être un jour être levé. Mes parents et moi-même allions peut-être enfin comprendre ce qui nous arrivait. Nous découvrions que nous n’étions pas seuls, d’autres familles vivaient la même angoisse, d’autres personnes présentaient une pathologie identique. Nous allions pouvoir nous réunir, nous entraider. Désormais, nous nous sentions plus forts.
Cet événement représenta un tournant inimaginable dans ma petite vie. Enthousiasmée par « l’effet Téléthon », j’ai décidé, moi aussi, de m’investir.
Mon parcours au sein de l’AFM, l’Association Française contre les Myopathies, a commencé en 1987. J’ai d’abord pris contact avec la déléguée départementale. Avec des professionnels et quelques parents, nous avons alors organisé une petite conférence au foyer J. Grafteaux afin d’approfondir nos connaissances.
Dans la foulée, j’ai pris contact avec des parents d’enfants atteints d’amyotrophie spinale. Ceux-ci m’ont fait parvenir une foule de documents. Je n’aurais jamais imaginé recevoir autant d’écrits sur ma maladie ! J’hallucinais : il existait tant de publications, et je n’en avais jamais eu vent ! D’autres gens connaissaient notre maladie, d’autres gens essayaient de la comprendre.
Il existait au sein de l’Association un groupe de personnes dynamiques, animées par le besoin manifeste de savoir. Je me suis investie corps et âme au sein de l’AFM. Cette démarche était capitale pour moi, tant notre famille avait souffert de cette pathologie qui nous avait tous transformés et blessés. J’espérais enfin !
Oui, je savais qu’on pouvait trouver des remèdes, j’étais persuadée qu’on soignerait un jour cette maladie. J’espérais même faire partie des cobayes, j’étais disposée à me prêter à des essais cliniques, quitte à prendre des risques, dès lors que je pourrais faire avancer le savoir et entretenir l’espoir. Entretemps, je dévorais toutes les publications, je devais comprendre, je voulais savoir… Au point que des chercheurs m’ont demandé un jour si j’étais biologiste ou si je faisais partie de leur milieu professionnel !
Je participais à des réunions, je soutenais de jeunes parents désemparés face à cette pathologie. Je croyais dur comme fer à la prochaine découverte d’un traitement. Beaucoup d’adultes, trop d’enfants n’avaient pas survécu ; la maladie les avait tous emportés. Un rhume, une bronchite, une opération qui tourne mal… et voilà une étoile de plus au firmament.
Combien en ai-je connu ? Combien de fois ces départs m’ont-ils touchée ? Dans le silence de mon chagrin, j’ai maintes fois pleuré en pensant à eux. La vie n’offre pas que des cadeaux, tant s’en faut. Leur souffrance fut aussi un peu la mienne.
Nous devions donc nous battre, main dans la main, pour que ce massacre cesse un jour. Plus aucun enfant ne devait souffrir comme moi-même et tant d’autres avions souffert ; aucune personne, désormais, ne devait vivre au rabais, privée de l’usage de son corps. Cette affliction devait s’arrêter.
Désormais, grâce à l’espoir que nous leur distillions, les parents avaient dans le regard cette étincelle, ce désir ardent que leurs enfants mènent enfin une vie digne, et qu’ils souffrent surtout le moins possible. Ces petits anges ne devaient en aucune façon quitter cette terre avant d’avoir eu le temps de s’épanouir et de s’accomplir. Nous devions les aider.
Je savais l’importance de ce combat. Je connaissais trop les conséquences de ces maladies quasiment ignorées de tous, j’en portais les stigmates. Les séquelles de ces pathologies, je les portais en moi depuis des lustres. Combien de personnes, autour de moi, ces myopathies avaient-elles meurtries ? Combien de larmes avaient-elles fait couler ? Combien de frères de lutte avaient succombé dans nos rangs ? Jusqu’à ce jour, nous faisions partie d’une armée de l’ombre, une armée sans arme. Tant de souffrance pour vivre quelques années de plus ! C’en était trop, une telle torture devait prendre fin. J’allais me battre pour nous tous, au nom de nous tous, car nous avions droit, nous aussi, à un avenir décent.
J’ai réussi à organiser moi-même un Téléthon dans mon village. Si nous, les personnes principalement concernées, ne mettons pas la main à la pâte pour sensibiliser les « bien portants », qui le fera ? Mais quel travail pour mettre sur pied un tel événement ! Un travail récompensé à la mesure de l’énergie dépensée, car les différentes associations y ont participé.
J’ai aussi pris part à de multiples conférences et j’ai tenu maintes fois le devant de la scène. Dans de telles circonstances, je l’avoue, j’ai parfois dû me faire violence. Il n’en reste pas moins que je mettais un point d’honneur à dévoiler autour de moi la difficulté de notre quotidien, à expliquer à des novices ce qu’est une maladie génétique, à leur faire comprendre que, malheureusement, chacun de nous peut un jour être concerné. Entretemps, je distillais mon enthousiasme et je boostais mes troupes.
J’ai même assisté à des colloques en compagnie de médecins et de chercheurs, j’ai visité des laboratoires de recherche, j’ai essayé à mon niveau de comprendre l’infiniment petit. Mon combat principal a néanmoins consisté à aider les familles en détresse, des familles qui se retrouvaient seules et démunies. Mes parents en avaient trop souffert. Il fallait tout faire pour aider les autres, les « oubliés de la société ». Je devais leur inoculer l’énergie nécessaire pour qu’ils se battent, pour que leur enfant vive mieux. Rien de tel que l’espoir !
L’AFM a été pour moi un révélateur, un vrai moteur. Moi qui voulais combattre, elle m’en a donné l’opportunité. J’ai rencontré des personnes d’horizons, de statuts, voire de religions très différentes. Pourtant, nous avions un point commun : la même faute d’orthographe dans notre génome, avec toutes les conséquences qu’elle impliquait.
Ce combat doit se poursuivre. Nous devons trouver notre place et nous faire accepter dans notre société. Nous sommes surtout en droit d’espérer un avenir meilleur.
Déjà avant le premier Téléthon, je fondais des espoirs dans la science, alors que les recherches dans notre domaine étaient encore inexistantes. Nous étions de petits êtres perdus, avec une espérance de vie tellement faible ! Je ne pouvais admettre ce raisonnement aussi frustrant qu’injuste, et je l’ai combattu bec et ongles.
[1] Il a lancé le Téléthon français le 4 décembre 1987.
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