LA PUISSANCE DE L’AMITIÉ

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ENSEMBLE

Je ne me souviens que d’un mur immense 
Mais nous étions ensemble, ensemble nous l’avons franchi

J’ai besoin de nos chemins qui se croisent
Quand le temps nous rassemble
Ensemble tout est plus joli

Souviens-toi, ensemble nous l’avons franchi

LA PUISSANCE DE L’AMITIÉ

J’avais toujours à l’esprit le souvenir de mes précédents voyages à Lourdes quand, un jour, j’ai appris l’organisation d’un nouveau pèlerinage destiné aux jeunes. Inutile de dire que j’ai aussitôt contacté les organisateurs, dont le Père Guy.

Par précaution, celui-ci a d’abord pris l’initiative de parler de mes besoins spécifiques à de jeunes pèlerins habitués à ces déplacements. Il avait connu en particulier une personne handicapée native de Montpellier, qui se rendait tous les ans à Lourdes. Comme tout se passait bien pour elle, il m’a permis de participer, moi aussi, à ce pèlerinage. 

Le train partait aux alentours de seize heures. Je me suis retrouvée dans un compartiment en compagnie de jeunes de mon âge, qui partageaient les mêmes convictions. L’aventure commençait.

C’est là où j’ai battu mon record (si tant est que c’en soit un) : celui de me retenir le plus longtemps possible avant d’aller aux toilettes ! Pourtant, ces jeunes acceptaient spontanément de me prendre en charge ; de mon côté, je trouvais normal d’essayer d’être la moins encombrante et la moins exigeante possible. Surtout pas un fardeau ! J’ai réussi à tenir, depuis notre départ, jusqu’au coucher tardif du lendemain soir. Plus de trente heures sans les solliciter ! Il faut dire que j’avais particulièrement restreint ma consommation de boisson, même s’il faisait chaud. Ces jeunes avaient suffisamment de choses à faire sans que j’en rajoute. C’était le prix à payer pour une certaine liberté.

Lors de ce périple, je me suis liée d’amitié avec de nombreux autres jeunes. Tous m’étaient dévoués. Ils me lavaient, m’habillaient, m’emmenaient aux toilettes et m’installaient dans mon fauteuil. Ils devaient aussi me pousser, car je n’avais pu embarquer mon fauteuil électrique. Je logeais avec eux, au camp des jeunes, sous une tente qu’ils avaient également montée eux-mêmes. 

Certes, on m’avait offert la possibilité de loger à l’hôtel, mais mon budget ne le permettait pas. De plus, je n’imaginais pas réaliser ce pèlerinage sans ma sœur ni mon frère. J’avais donc choisi la formule la plus économique.

Afin de ne pas dormir à même le sol, j’avais cherché des lits de camp suffisamment hauts pour faciliter la tâche de mes « assistants », lors de mes transferts. Par bonheur, j’ai déniché des lits pliants en bois recouverts d’une toile verte, comme ceux des militaires. On y avait disposé des matelas gonflables, car il était hors de question que je fasse appel à mes amis durant la nuit. Je ne voulais pas les épuiser. 

Lourdes est un lieu d’exception où j’ai eu plusieurs fois la chance de faire des rencontres exceptionnelles. C’est vrai que des personnes extraordinaires existent sur cette terre. Encore aujourd’hui, j’en côtoie certaines. Elles étaient toutes issues de famille plus ou moins favorisée.

Tous ces jeunes avaient environ vingt ans, ils avaient reçu une excellente éducation et, comme moi, ils démarraient dans la vie. Ils étaient joyeux et dotés d’une grande intelligence. Nous avons beaucoup discuté, énormément ri. Ils m’avaient intégrée et ils tenaient à ce que je vive exactement comme eux. Pour ce faire, ils palliaient mes déficiences. Ils m’épataient par ce don total de soi. Au milieu d’eux, je me sentais presque « normale ».

Certains se destinaient à devenir médecins, d’autres au secrétariat de direction, mais tous envisageaient au moins des études secondaires après leur bac. Intellectuellement parlant, je m’y retrouvais. Ils m’interpellaient sur divers sujets. Je m’enrichissais d’eux. Grâce à eux, j’ai encore grandi. 

Inévitablement, des couples se sont formés. Quoi de plus normal à cet âge ? De mon côté, je restais à l’écart, assistant passivement à un spectacle auquel je ne pouvais être — du moins, le croyais-je — que spectatrice.

Certaines rencontres m’ont profondément touchée. Je les garde tout au fond de moi, comme les multiples pièces d’un trésor que l’on garde précieusement enfouies tout au fond de l’intimité de ses souvenirs. Sachez que vous avez éclairé ma vie. Vous faites partie des petites lumières parsemées, çà et là sur mon chemin.

Merci à vous, mes amis, pour la richesse que j’ai découverte dans vos cœurs, au détour de vos gestes et de vos regards baignés de sourires. Le Seigneur m’a fait croiser votre route et vous m’avez donné un élan, un nouveau souffle de vie. Grâce à vous, j’ai continué ma route. Je n’ai baissé ni les armes ni le regard.

Vous m’avez emmenée à Saint-Jacques-de-Compostelle, voir le Pape Jean-Paul II lors des Journées Mondiales de la Jeunesse. Ce rassemblement était phénoménal, incroyable, bouleversant. Voir cette multitude unie dans la paix, dans la bienveillance et la Fraternité ; l’entendre parler tant de langages différents, illustrant ainsi la communion d’autant de pays ! Cette allégresse et cette exaltation sont d’une puissance inouïe.

Il faut l’avoir vu et vécu au moins une fois dans sa vie pour comprendre ce que l’humanité peut receler en matière de beauté. Tout n’est pas noir ni entaché de souffrance. Au contraire, si l’on regarde attentivement le tableau, si l’on ose s’en approcher, les couleurs apparaissent, les nuances scintillent et, à cet instant, l’être humain apparaît tel qu’il est dans sa globalité : imparfait, capable du pire, mais aussi du meilleur. En ce qui me concerne, entourée de tous ces jeunes, je voyais uniquement la beauté de l’humain. Ils me rendaient heureuse ; autour de nous, les couleurs brillaient de mille feux.

Une visite du Saint-Père constitue toujours un événement exceptionnel. Sa venue à Saint-Jacques-de-Compostelle n’a pas dérogé à la règle. Les autoroutes avaient même été fermées pour permettre aux autocars de se garer. Notre groupe de jeunes pèlerins était installé sur une plaine partiellement désarborée pour la circonstance. La terre, rouge et fine, pénétrait dans nos oreilles et nos narines.

Cette fois-là, selon l’expression consacrée, j’ai dormi « à la belle étoile ». En effet, nous avions choisi de faire usage du strict nécessaire, pour mieux prendre conscience qu’au fond, ce minimum de confort nous suffisait pour savourer ce que la vie avait à nous offrir.

De même, lors des repas, nous mangions des rations de soldat… avec la guerre en moins, fort heureusement. Si je devais satisfaire un « besoin naturel », les jeunes se disposaient en cercle autour de moi en tenant leurs sacs de couchage bien droits, de manière à constituer un genre de paravent pour empêcher qu’on m’aperçoive.

Nous avons chanté, nous avons ri, nous avons eu froid la nuit et très chaud le jour ; nous étions épuisés, harassés par ce périple, mais tellement heureux ! J’ai savouré. Ces jeunes m’ont tant apporté sur le plan humain ! Vous ne pouvez imaginer à quel point.

J’ai renouvelé cette expérience avec eux plusieurs années de suite. Nous formions un petit groupe fort sympathique. Tous ces jeunes m’ont aidée à éclore, à accepter ma vie et à m’accepter moi-même. Ils m’ont aidée à espérer. Je dois énormément à Lourdes et à tout ce qui s’y déroule. Je remercie Sainte Bernadette de nous avoir rassemblés en ce lieu de prière et de bonté qui accueille et réconforte les personnes les plus amoindries. Toutes sans exception sont reçues, acceptées et aimées.

Je remercie toutes les personnes qui font de cet endroit, un lieu si accueillant et si humainement exceptionnel. Toutes les âmes charitables qui se dévouent dans ce sanctuaire donnent à ce petit bout de terre une impression de paradis retrouvé. J’avoue qu’en m’y rendant, je voulais me sentir pareille aux autres, je refusais d’être infantilisée. Pendant ces quelques jours de profond partage, j’avais besoin qu’on me considère comme une personne à part entière, malgré mes capacités physiques amoindries.

Sainte Bernadette a dit que la Sainte Vierge l’avait regardée comme une personne qui parle à un autre individu. Je voulais, moi aussi, qu’on me considère d’égal à égale. J’en avais besoin, et c’est ce que j’ai trouvé.

Plus tard, j’ai eu la chance de passer la période de Nouvel An à Vienne, aux côtés de ces amis, lors des rencontres européennes de Taizé.

La communauté monastique œcuménique de Taizé rassemble de jeunes chrétiens du monde entier. Elle se caractérise, entre autres, par ses chants qui portent à la méditation. J’y ai côtoyé plus de cent mille jeunes réunis pour vivre, en toute simplicité, des moments remplis de joie. Ils étaient venus à la rencontre d’autres jeunes originaires des quatre coins de l’Europe ; ils étaient tous venus prier, chanter et danser. Répartis en petits groupes, nous avons savouré des moments de partage authentiques, des conférences, des visites. Il y en avait pour tous les goûts. Nous nous sommes gavés de souvenirs inoubliables.

Par contre, il faisait un froid de canard, au point que des Autrichiens patinaient sur le Danube. Je n’en ai pas vraiment souffert, car la solidarité s’est immédiatement organisée autour de ma personne. Des amies — celles-là se prénommaient Laurence — prenaient particulièrement soin de moi. Elles m’habillaient chaudement, veillaient à ce que je porte mes gants et mon bonnet ; elles me couvraient même d’une couverture pour me protéger. Un corps inerte se refroidit si rapidement !

Nous dormions dans une école en compagnie de jeunes Italiens. L’un d’eux, Paulo, poussait régulièrement mon fauteuil. Il était extraordinaire et charmant, ce garçon ! 

Malgré les températures négatives, nous vivions à l’extérieur durant toute la journée. La plupart du temps, nous mangions même froid. Quand passaient des chevaux, nous entendions leurs fers résonner sur les pavés. Le cheval tient une place particulièrement importante dans la capitale autrichienne. On le retrouve partout : sous forme de statue, comme en chair et en os pour tracter les calèches. C’était merveilleux, authentique… mais glacial ! La chaleur était pourtant palpable, grâce à tous ces amis.

Je suis retournée durant plusieurs années à Lourdes avec mes amis. J’avais à cœur de renouveler ce qui était positif et beau, et ne conserver que cela. Il m’est arrivé une seule fois de partir sans ce groupe. J’y accompagnais Anne D., une amie partie rejoindre son copain qui effectuait son service militaire dans la gendarmerie, au Pays basque. Nous avons sillonné toute cette magnifique région des Pyrénées-Atlantiques, de Bayonne à Saint-Jean-Pied-de-Port, en passant par Biarritz et Saint-Sébastien. Nous avons même pris un bain à Guéthary !

Comme j’ai eu peur, avant de partir, que cette amie n’arrive pas à s’occuper de moi, toute seule ! Heureusement, tout s’est bien passé.

Une autre fois, ces amis intrépides avaient eu l’audace de nous emmener en vadrouille bien au-delà de notre région. Comme Emmanuelle, Gaëtan et Ludovic pouvaient compter sur leur amie Florence, qui habitait Toulouse, celle-ci nous a tous accueillis chez elle durant quelques jours. Après quoi, nous avons entrepris le « Pélé-Jeunes ». Grâce à eux, nous avons visité la fameuse Ville Rose et fait une balade le long du Canal du Midi. 

Comme lors du pèlerinage à Lourdes, mon frère et moi avions emporté nos fauteuils électriques afin d’être le plus autonomes possible. Je crois que nos amis avaient compris l’importance de pouvoir nous déplacer librement.

J’adore rencontrer de nouveaux horizons, de nouvelles contrées et de nouvelles personnes. Je me remplis de leur savoir, de leurs connaissances et de leur passion. C’est un vrai délice pour moi, mais quelle épopée ! Il a d’abord fallu entasser notre barda dans le véhicule : la tente, les lits de camp, les duvets, les matelas pneumatiques, le nécessaire de cuisine et les bagages de six personnes… sans oublier nos fauteuils.

Chargés comme des baudets, nous avons traversé le Massif central en pleine nuit dans notre Renault Trafic. Ludo conduisait, les autres dormaient. Pour ma part, je me retenais de m’assoupir, de manière à maintenir la vigilance du chauffeur en parlant avec lui. Conduire, alors que tout le monde est endormi, ne doit pas être bien agréable, je voulais donc faire en sorte que le voyage ne lui soit pas trop pénible. Peut-être était-ce ma façon d’assumer un modeste rôle lors de ce périple ? Toujours est-il que j’ai tenu bon.

Lors de ces escapades, je partais toujours avec ma sœur et mon frère. Sans eux, je n’aurais pas su jouir pleinement de mes vacances. Du reste, mes parents n’auraient jamais toléré que je parte seule !

Puis, au fil du temps, notre petit groupe s’est agrandi. Nous sommes alors partis en vacances à Bergerac, toujours en camping. Nous avons découvert la Dordogne, son foie gras, son Monbazillac et ses vignobles, Sarlat et son marché. Je crois d’ailleurs que c’est dans cette ville que j’ai assisté au plus beau et plus long feu d’artifice de ma vie. 

Il en fallait, de l’audace, pour nous emmener parfois très loin malgré nos incapacités, pour oser nous prendre en charge, pour oser conduire le Trafic dans des conditions parfois risquées… Pour avoir cette bravoure, tout simplement.

Mes amis, je le dis et je le pense : vous avez été géniaux ! Merci de nous avoir permis de vivre tout cela. Tant de personnes redoutent presque de nous regarder, sous prétexte que nous sommes en fauteuil ! Combien d’entre elles s’adressent à la personne qui m’accompagne, au lieu de me parler à moi ? Combien de fois ai-je perçu ou ressenti de la réticence à mon égard ?

Vous, par contre, vous avez fait abstraction de ma différence, vous avez mis de côté tout jugement et toute appréhension. Vous nous avez permis de vivre des moments extraordinaires. 

Merci de tout cœur pour cela.

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