L’ENTRÉE DANS LA VIE ACTIVE
DÉLIRES SCHIZO MANIACO PSYCHOTIQUES
J’demande pourtant pas des millions
Une femme, un boulot, une maison
L’ENTRÉE DANS LA VIE ACTIVE
À la fin de mes études, je devais effectuer un stage en entreprise afin de me familiariser avec le milieu professionnel. J’ai donc entamé mes recherches et expédié plusieurs lettres de candidature.
Il se fait que, dans les années soixante-dix, une zone industrielle avait vu le jour à moins de cinq kilomètres de mon domicile, à proximité de l’autoroute. Par conséquent, j’ai eu la chance immense d’être acceptée par une entreprise qui s’y trouvait. L’envers du décor : mes parents allaient devoir à nouveau effectuer un tas d’allers-retours.
Ce fut mon tout premier contact avec la vie professionnelle. J’y ai d’ailleurs reçu un excellent accueil et le directeur a fait preuve à mon égard d’une humanité exceptionnelle. Figurez-vous qu’il a pris le risque de m’intégrer au sein de son service comptabilité. Il m’a donné une chance inouïe, il a cru en moi, il m’a fait confiance… Il m’a tendu la main !
Lorsque vous affichez des faiblesses, vous devez vous surpasser, élever votre niveau et faire en sorte que les personnes qui vous entourent oublient vos déficiences. Je me sentais dans cette obligation mais, je l’avoue, je craignais très fort de mal faire ou de me tromper. Autant dire que j’avais la trouille au ventre. Pourtant, je n’avais pas le choix : pour prouver ma valeur, je devais travailler vite et bien.
Ce qui me contrariait le plus dans mon travail, c’était mon impuissance à réaliser certaines tâches. Par exemple, j’étais incapable de faire du classement, car je ne pouvais atteindre les dossiers rangés dans le haut des armoires. D’ailleurs, certains étaient si lourds que je n’aurais pu les soulever ni même les porter. Mes mouvements étaient limités, c’était vraiment gênant. J’aurais tant aimé faire comme mes collègues !
Lorsqu’on intègre un service, les collègues ignorent ce dont on est capable, au niveau physique comme au niveau intellectuel. Le handicap moteur est tellement stigmatisé ! Il l’est, au point que pour bon nombre de gens, une personne en fauteuil est forcément stupide. Je devais donc prouver rapidement ma valeur, montrer à mon entourage que je comprenais les tâches à effectuer… et leur montrer surtout que j’étais capable de les mener à bien.
Le milieu professionnel — particulièrement en début de carrière — est particulièrement piégeux. On y rencontre de vrais loups. Ces gens-là craignent que leurs supérieurs nous trouvent meilleurs qu’eux, ils craignent qu’on prenne leur place ou qu’on gravisse les échelons plus rapidement qu’ils l’ont fait.
Si vous saviez comme ces attitudes m’importaient peu ! Je voulais juste accomplir les tâches qui m’incombaient, les faire bien, de mieux en mieux et de plus en plus rapidement. Je m’obligeais même à augmenter la difficulté des tâches que j’étais en mesure d’accomplir, tout en continuant sans cesse d’apprendre.
À propos de loups, l’une de ces personnes m’a particulièrement blessée quand elle a lancé :
— Ah ! non, cette année, on ne donne pas d’étrennes aux pompiers, on a déjà embauché Marie !
Comme cela fait mal d’entendre ces propos ! Cette personne aigrie sous-entendait que mon supérieur m’avait embauchée en premier lieu pour faire une bonne action au lieu de m’engager sur base de mes capacités. Non seulement elle n’était pas réputée pour sa diplomatie, mais elle était imbue de sa personne. De plus, comme elle était beaucoup plus âgée que moi, je lui devais le respect. C’est ce qu’on m’avait appris. C’est d’ailleurs l’une des bases de mon éducation. Le respect… Cette personne devait en manquer terriblement, car elle m’envoyait régulièrement des piques, rien que pour me casser.
Cette mauvaise personne prenait également un malin plaisir à me distribuer ma besogne au compte-gouttes. De cette manière, je devais à chaque fois quémander les futures tâches à exécuter et j’étais complètement dépendante d’elle. Comme elle devait s’amuser d’avoir à sa botte une petite jeune, qui plus est, une handicapée ! On ne m’avait pas appris à faire face à ce style de méchanceté gratuite. Comme toujours, j’ai encaissé sans rien dire.
Je n’ai jamais aimé cette personne. Elle s’en prenait toujours à moi lorsque nous étions seules dans le bureau. Je n’espérais qu’une chose : qu’elle prenne rapidement sa retraite ! En attendant, je n’avais d’autre choix que de prendre mon mal en patience.
Heureusement, j’ai eu la chance d’exploiter mes acquis au sein d’autres services. Mes nouveaux chefs ont ainsi découvert l’étendue de mes capacités. J’y ai aussi rencontré de belles et bonnes personnes.
Pour me sentir — au moins — à la hauteur de mes collègues, je m’obligeais à relever des défis, je m’imposais des buts. Par exemple, je me forçais à finir telle tâche avant telle heure ou pour telle date. En clair : je voulais compenser mes déficiences physiques par une plus grande rapidité dans l’accomplissement de mon travail. C’était indispensable à mes yeux.
Vous connaissez la blague de la personne qui se rend au « Mac Do » et que l’on refuse de servir parce que son fauteuil fait… « Quick » ? Personne n’osait me la raconter. Alors, je l’ai servie moi-même à mes collègues afin de les dérider. Le monde du handicap, son lot de freins et le regard qu’on porte sur lui, j’en étais dégoûtée, et même lassée. Je ne suis pas de marbre, je suis capable de rire et j’ai besoin de m’estimer un peu plus « normale » que les gens l’imaginent !
Je me suis rendu compte également qu’il existait un immense fossé entre les relations professionnelles et les liens amicaux. Les premières ne sont pas aussi profondes, elles sont même carrément superficielles.
D. en est l’exemple le plus pertinent. Cette fille est arrivée en même temps que moi, nous avions quasiment le même âge. Nous avons alors cheminé ensemble au sein de cette société. Que de parties de plaisir nous avons eues !
Nous avons toujours accompli nos tâches sans le moindre souci, nous prenions nos pauses en même temps, nous trouvions toujours des choses à nous dire. Bref, mon handicap ne la dérangeait pas.
Hélas ! alors que je croyais vivre une vraie relation amicale avec D., celle-ci m’a profondément déçue. En effet, le jour où l’on m’a licenciée pour inaptitude, elle m’a écrit un mail assez dévastateur.
Avec le recul, je me rends compte que je n’ai gardé aucun lien avec mon entourage professionnel. Toutes ces relations étaient fausses. Je me dis que si certains collègues me côtoyaient, c’était sans doute pour ne pas déplaire à mon supérieur principal qui, lui, m’appréciait vraiment. S’ils agissaient de la sorte, c’était soit par intérêt personnel, soit pour se faire valoir.
L’être humain est égoïste. En quoi jalouserais-je une personne dont les incapacités sont pires que les miennes ? À force de surveiller et d’envier les autres, les gens ne se rendent plus compte de la chance qu’ils ont. Chacun ne regarde plus que son nombril.
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