UNE RÉALITÉ TRONQUÉE

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ENTRE GRIS CLAIR ET GRIS FONCÉ

Longue et semée d’embûches est la route

UNE RÉALITÉ TRONQUÉE

Petit à petit, tous mes amis formaient des couples, se mariaient et commençaient à avoir des enfants. J’ai assisté à plusieurs mariages et certains copains m’ont d’ailleurs prouvé leur profonde amitié en me demandant d’être leur témoin. Ces marques d’attention m’ont fortement touchée.

Cependant, je me rendais compte avec un pincement au cœur que ma vie serait différente de la leur. Se limiterait-elle pour autant à la trilogie « auto-boulot-dodo » ? Pourquoi devrais-je abandonner l’espoir de faire comme les autres ? Juste parce que j’avais un fauteuil ? Non ! Je ne voulais pas d’une vie sans but, sans futur, sans réalisation ; je me refusais à mener une vie aussi terne.

Vous savez, je suis constituée de chair et de sentiments comme tout le monde ! J’ai un cœur pour ressentir les émotions et un cerveau capable de penser. En un mot comme en mille : je suis un être humain.

Je me suis alors rendu compte que j’avais pris pas mal de poids, ce qui amplifiait les contraintes liées à mon handicap. Visiblement, les personnes qui me venaient en aide avaient de plus en plus de mal à me soulever. J’ai donc pris une résolution radicale : j’allais maigrir, devenir moins lourde.. et moins lourde à tous niveaux. Je ne voulais plus représenter un poids pour ces personnes ; je voulais être à leurs côtés sans être trop pesante.

J’ai aussitôt commencé un régime et j’ai maigri, maigri… maigri sans savoir m’arrêter. Tout le monde me félicitait, applaudissait ma volonté. Vous imaginez combien j’étais fière ! Je réussissais quelque chose de visible, de palpable. Non seulement je menais à bien un combat particulièrement contraignant, mais je le menais toute seule.

Au début, j’étais motivée par une sorte d’excitation. J’arrivais enfin à maîtriser mon corps ; en quelque sorte, il m’obéissait. Un jour, maman a même réussi à me porter seule. Dans la foulée, des amis m’ont invitée à visiter leur maison. Je n’aurais eu la chance de voir leurs petits nids si je n’avais pas maigri. À l’évidence, mon surpoids avait constitué un handicap supplémentaire. J’ai donc voulu encore perdre d’autres kilos. Tous les prétextes étaient bons.

J’ai maigri sans relâche, jusqu’à un stade où, sans m’en rendre compte, je mettais ma vie en danger. En effet, le peu de muscles qui me restait continuait de s’amenuiser, je fondais comme neige au soleil. Mes muscles respiratoires, en particulier, fatiguaient dangereusement et me rendaient, on ne peut plus fragile. Par conséquent, les infections bronchiques s’enchaînaient et je m’épuisais.

Rendez-vous compte : en moins d’un an, j’avais perdu plus de cinquante kilos. Hélas ! ce régime drastique avait précipité la dégradation de mon état. La nuit, je devais même avoir recours à une assistance respiratoire pour soulager mon diaphragme. Une machine respirait à ma place. J’y étais allée fort, très fort, beaucoup trop fort.

Néanmoins, motivée par la vision de mes amis qui vivaient en couple, je caressais toujours le désir de vivre un jour comme eux. Je ne pouvais me résoudre à rester seule au bord de ma route, alors qu’eux, ils avaient suivi cette route jusqu’à son terminus : une vie d’amour et de félicité.

Autour de moi, le monde bougeait, avançait et moi, je faisais du surplace ; comme une spectatrice, je regardais simplement défiler la vie des autres et cela, je ne pouvais plus le supporter.

Dans un sens, tous ces amis étaient mes guides. Soit, je m’intégrerais parmi eux, soit ma vie n’aurait aucun sens. Je voulais tant mener ce genre de vie dite normale ! J’avais tant de fois été mise à l’écart durant mon enfance !

Après tous les combats que j’avais menés, j’avais besoin de cette normalité. Je voulais mener la même vie que mes semblables, connaître les mêmes joies, les mêmes émois. Malheureusement, la perte de poids que je m’étais imposée ne résolvait pas tout. Certes, mes transferts s’en trouvaient facilités. Par contre, le cours de ma vie sentimentale n’avait pas bougé d’un iota ! 

Je savais ce qu’il me manquait : je devais me fixer de nouveaux objectifs, échafauder de nouveaux projets. C’était la condition sine qua non pour me permettre d’aller de l’avant. Non seulement je devais viser de nouveaux objectifs, mais il s’agissait de les atteindre et, pour ce faire, je devais très vite acquérir une certaine autonomie. « Mon » autonomie !

Ma décision a été aussi brutale qu’inattendue… surtout pour mes parents : je voulais désormais vivre dans « mes meubles », dans mes propres pièces, dans ma chambre, ma salle de bains. Je disposerais même d’un coin pour cuisiner et recevoir les amis. En toute liberté.

Il n’était pas question que je prive pour autant ma famille d’une partie de sa maison. La solution consistait donc à aménager les pièces de mon futur « chez moi » à l’étage. Je disposerais enfin d’un univers rien qu’à moi. Pour tout dire, je serais enfin totalement « moi » !

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