UN PETIT COIN DE PARADIS

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LÀ-BAS

Faut du cœur et faut du courage

Si tu as la force et la foi 
L’or est à portée de tes doigts 

UN PETIT COIN DE PARADIS

« les Z’amours »[1]

Nous vivions dans un endroit privilégié, un charmant petit de coin de verdure situé à la fois en pleine campagne et proche de la ville. Les citadins venaient y chercher la tranquillité. Leurs nouvelles constructions témoignaient d’ailleurs de cet engouement pour une vie rurale. Hélas ! leur folie bâtisseuse faisait reculer toujours plus loin les limites de cette campagne tant prisée. 

Mes parents allaient bientôt arrêter leur élevage de vaches laitières. Il était peu rentable et réclamait beaucoup trop de travail. De plus, mon frère était revenu au domicile familial et mes parents devaient désormais se partager entre deux enfants en situation de grande dépendance, sept jours sur sept, tout au long de l’année et sans aucune aide extérieure. 

Le revers de la médaille, c’est qu’en arrêtant cet élevage, leurs pâtures deviendraient des friches improductives. Or, mon père rêvait depuis longtemps d’acquérir un cheval ; pas un cheval de labour comme celui qu’il avait suivi dans les champs durant son enfance, mais un cheval pour le plaisir.

Je comprenais sa nostalgie et son attrait pour cet animal. Celui qu’il possédait jadis lui avait rendu tant de services et lui avait épargné tellement de peine. Cet animal si attachant a servi l’homme durant des siècles, il a ainsi contribué à nourrir le monde. Sans lui, le cultivateur était réduit au rang d’esclave de la terre.

Il fallait néanmoins prendre en compte le fait qu’un cheval peut sauter assez haut. Par conséquent, papa devrait en premier lieu remplacer nos clôtures, ce qui représenterait à la fois un travail et un coût non négligeables. 

J’ai alors réfléchi de mon côté. En effet, passionné par l’informatique et les nouvelles technologies, mon frère s’était équipé d’un ordinateur. Profitant du développement des réseaux sociaux, je me suis aussitôt documentée sur cet animal que je connaissais uniquement par le nom. 

J’ai effectivement trouvé un forum de discussion consacré aux équidés. Nous étions un groupe assez restreint et, au fil du temps, certains membres sont devenus des amis grâce à Marie T. une dame qui élève des ânesses en Belgique. Comme je ne connaissais pas davantage les ânesses que les chevaux, j’ai voulu découvrir cette espèce animale et ses différentes races.

J’ai littéralement craqué pour cet animal méconnu et je me suis dit que ce cheval miniature ferait le bonheur de mon père. Il me restait à le convaincre de porter son dévolu sur un petit âne ou une ânesse, ce qui fut fait : il recevrait ce compagnon en guise de cadeau de Noël. J’en profite pour rétablir une vérité : en réalité, le bonnet d’âne tant décrié était posé sur la tête des cancres, non pour les punir, mais pour leur transmettre l’intelligence de cet animal si dénigré.

Bref, avec la camionnette, nous sommes allés chercher cet adorable petit être près du Touquet, sur la Côte d’Opale. Cette ânesse venait d’avoir six mois et, comme elle était sevrée, elle pouvait quitter sa maman et prendre son envol. Je l’ai appelée Opaline durant tout le trajet du retour, et ce nom lui est resté.

Pour qu’elle soit à l’abri des chocs durant ce long voyage, ses éleveurs avaient confectionné à côté de moi une sorte de protection au moyen de petits ballots de paille. Pour la rassurer, je la caressais et lui parlais doucement. Elle faisait désormais partie de notre vie.

Est-ce ce trajet de près de deux heures qui nous a attachées l’une à l’autre ? Toujours est-il qu’Opaline a toujours été proche de moi et elle ne m’a jamais mordue. Au temps où je savais encore me pencher en avant, il lui arrivait de poser sa tête entre le dossier du fauteuil et moi-même, sans jamais me bousculer. Son nez était d’une extrême douceur, j’adorais le caresser, tout comme j’adorais quand elle me reniflait les cheveux. Ses longues oreilles s’inclinaient sans cesse de droite à gauche, comme si elle voulait tout entendre et tout comprendre. Je n’ai jamais éprouvé la moindre crainte à son égard. Je l’aimais et je savais qu’elle m’aimait autant.

Un jour, Marie T. organisa une rencontre chez elle en Belgique. Nous sommes allés visiter son élevage en famille. Quel émerveillement de nous trouver dans cet endroit magique, rempli d’amour, de rêve et de beauté ! Même si je suis plus attirée par tout ce qui est petit, j’avoue avoir été subjuguée par la qualité de son exploitation, par toutes les attentions qu’elle portait à ses ânesses « géantes », par autant de choses positives. J’étais dans la fascination la plus totale. Comme tout cela était beau !

Avec l’aide de son mari, cette femme, avait réussi ce dont je rêvais depuis toujours. De son côté, Opaline m’ouvrait les yeux sur des personnes qui étaient autant d’exemples. Elles nourrissaient les mêmes aspirations que moi. Elles adoraient la nature, les animaux, tout en aimant l’être humain. J’y ai rencontré des êtres exceptionnels.

Le soir, nous nous sommes tous rejoints dans un petit estaminet. Là, j’ai eu le coup de foudre pour un jeune homme prénommé Manu. Ce garçon se mettait à ma hauteur pour me parler. C’était si rare qu’on me témoigne une attention aussi extraordinaire !

Manu, même si mes parents n’étaient jamais loin de nous, toute la soirée, je n’ai vu que toi. C’était comme si des murs me séparaient des autres, je n’entendais que toi, je me sentais en fusion avec toi. Cette soirée a fait vaciller mon cœur et je suis tombée amoureuse.

Tu n’étais pas du coin, tu étais un jeune et beau Savoyard. Quand je suis rentrée dans le Nord, nous nous sommes longuement parlé au téléphone. Hélas ! tu avais un copain… oui, un copain. Et tu l’aimais. J’ai dû me résigner. Par contre, je suis toujours en contact avec quelques-uns de ces amis belges, amoureux des ânes.

De son côté, Opaline atteignait peu à peu l’âge adulte. Lorsqu’elle a eu trois ans, mon père a souhaité qu’elle mette bas. Dans la foulée, il lui a trouvé un étalon — Olaf — que son propriétaire nous a proposé de garder. Il nous a même payé sa castration. 

Douze mois plus tard, Opaline mettait au monde un magnifique petit ânon que l’on prénomma Othello. Nos deux animaux portaient déjà un prénom commençant par la lettre « O », alors autant continuer. Tant pis si l’on ne respectait pas la lettre officiellement liée à son année de naissance.

J’ai vécu à cette occasion un événement rarissime chez les ânesses : quelques heures après son ânonnage, Opaline m’a léchée ! Ce geste signifie qu’Opaline me plaçait au même rang que son petit. Elle me démontrait un amour aussi profond que celui qu’elle vouait à son ânon. Elle ne faisait aucune différence entre nous deux. Lorsque j’ai appris cette singularité, j’en ai été complètement bouleversée : elle m’aimait comme son bébé !

Je savais depuis de longues années qu’un animal était capable de vouer une véritable adoration à son protecteur. C’est beau, c’est gigantesque. Cette beauté que la vie nous offre est tellement magique ! Or, c’est précisément cette vie simple, resplendissante et profonde que j’aimais ; ce à quoi j’aspirais. 

Cet épisode de ma vie n’est pas anodin. Il a même influencé la suite de mon parcours. En effet, j’ai compris petit à petit où était mon bonheur : je devais créer autour de moi le même petit coin de paradis que d’autres avaient réussi à construire. Grâce aux connaissances de mes amis belges, grâce aux ânes eux-mêmes, j’avais au moins envie d’essayer.

[1] Contraction très personnelle d’ânes et amours, car ces animaux sont de véritables amours.

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