NOTRE TERRE D’ACCUEIL

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JE TE DONNE

Je te donne, je te donne 
Tout ce que je vaux, ce que je suis, mes dons, mes défauts, 
Mes plus belles chances, mes différences

LES CHOSES

Si j’avais, si j’avais ça
Je serais ceci, je serais cela
Sans chose, je n’existe pas

NOTRE TERRE D’ACCUEIL

Les gens ne se rendent pas compte qu’un agriculteur perçoit sa rémunération lorsqu’il a vendu ses récoltes, et pas avant. Certes, quand mes parents pratiquaient l’élevage, la laiterie les payait tous les mois. Toutefois, ces rentrées n’étaient pas régulières ; il suffisait qu’une vache arrive en fin de lactation ou qu’une autre tombe malade, et le chiffre dégringolait. De toute façon, ce montant était largement insuffisant pour faire vivre toute la famille.

Que dire d’aller au restaurant, profiter des soldes, partir en vacances, assister à une séance de cinéma, acheter ce qui s’apparente à des futilités ? Eh ! bien, il n’en était pas question. Rassurez-vous, ça ne me dérangeait pas. Je m’étais rendu compte depuis belle lurette que toutes ces envies — ou ces tentations — étaient superficielles. Mon bonheur à moi était ailleurs.

En cette année 2002, ma sœur travaillait depuis plus d’une décennie. En ce qui me concerne, j’avais commencé en 1990. Désormais, l’argent rentrait tous les mois à la maison, notre compte en banque se remplissait et nous en ressentions tous les effets bienfaisants. Quel contraste ! Nous n’étions pas habitués à ce flot régulier d’argent. 

Je ne suis pas hostile à la consommation, dans la mesure où elle reste « raisonnée et raisonnable ». Par contre, je m’insurge contre une consommation irréfléchie et, encore plus, contre une consommation à outrance. Le plaisir d’obtenir — ou plutôt de mériter — quelque chose après en avoir longtemps rêvé est tellement plus fort et plus valorisant que de voir tomber du ciel des choses dont on n’a pas forcément besoin !

Certaines personnes autour de moi bénéficiaient de telles facilités. Comme on dit communément : « Tout leur tombait tout cuit », au point qu’elles n’appréciaient plus à leur juste valeur les plaisirs simples de la vie. Elles ne visaient que les plaisirs matériels. De ce fait, toutes ces petites choses qu’elles avaient pu acquérir d’un simple claquement de doigts perdaient presque aussitôt leur intérêt.

J’ai appris que la véritable richesse n’est pas de posséder, ni de détenir. Mais combien de gens en ont conscience et partagent ce point de vue ? Pourquoi tant de personnes tombent-elles dans le piège de notre société de consommation ? Combien se retrouvent prisonnières de la publicité et — tant pis si j’en choque certains — du paraître ? 

Pour ma part, au lieu d’ingurgiter des tomates dures et insipides au mois de décembre, je préférais acheter les graines, les voir germer, regarder maman repiquer les plants, les arroser, puis les récolter et les savourer. À l’image de mes parents, j’ai appris l’importance de toutes ces petites choses, l’importance de la vie, le respect et la valeur de mes moindres achats. Je ne m’engageais pas à la légère, j’avais à cœur de mûrir mes projets comme il est de bon ton de le faire.

Je nourrissais un seul regret : bien que l’activité de la ferme ait cessé, il fallait entretenir les bâtiments. Or, comme nous n’avions pas de « bras », il nous était impossible de participer à quoi que ce soit. Nous n’étions même pas en mesure d’appliquer un coup de peinture ! Si nous voulions continuer à vivre dans cette ferme, nous devions rapidement trouver le moyen d’en assurer la pérennité, et ce, malgré nos carences physiques. 

Il fallait en premier lieu restaurer la toiture des anciennes étables, car celles-ci allaient sous peu tomber en ruine. C’est alors qu’une idée lumineuse a germé dans nos têtes : nous allions transformer ces bâtiments inoccupés en gîtes. Nous allions rendre vie à ce « chez nous » qui allait tomber en désuétude. Personnellement, je rêvais d’en faire un coin de paradis où des vacanciers venus de tous horizons savoureraient le calme de la campagne parmi nos animaux. Ce retour aux sources est recherché par tant de personnes ; des personnes détachées de la nature, mais surtout soumises à un mode de vie de plus en plus anxiogène.

Papa et maman prenaient de l’âge et il ne faut pas avoir fait l’ENA pour le dire : ils ne seraient pas éternels. Bref, il était plus que temps pour nous de trouver le moyen d’être autonomes. Certes, nous avions un travail et percevions un salaire, mais ce n’était pas suffisant. J’avais plein de projets en tête. Parmi ceux-ci, la création de gîtes était l’option idéale, si nous voulions continuer à vivre en cet endroit. Le produit des locations permettrait d’entretenir notre bien.

J’imaginais même créer une fermette pédagogique en y intégrant de petits animaux : une petite vache de Jersey, des moutons d’Ouessant, des poules « nègre de soie », des mandarins, des carolins, de la volaille de race et, pourquoi pas, un petit cochon. Nous avions déjà des ânes, des poules, des oies et des paons…

Je rêvais d’allées carrossables dans la pâture, pour que les fauteuils roulants puissent s’y balader. Nous pourrions ainsi profiter avec nos vacanciers de la beauté de la vie, de la magnificence du monde animal et de la splendeur de la nature. Mon Dieu, comme ce projet était beau ! Permettre aux gens des villes de découvrir ce monde magique, leur offrir quelques instants de sérénité, leur permettre de retrouver une nature qu’ils avaient, pour la plupart, oubliée. Tel était le but que je me m’étais fixé. Dans ma tête, tout cela était rigoureusement planifié.

Nous avons pris les renseignements nécessaires, effectué les démarches administratives et pris rendez-vous avec le site des Gîtes de France. Nous avons alors comparé les différents devis et procédé à la réalisation des travaux. Connaissant les bizarreries de l’Administration, vous imaginez les embûches auxquelles nous avons été confrontés ! Néanmoins, quelques mois plus tard, ces étables édifiées par nos grands-parents après la Seconde Guerre mondiale étaient devenues de superbes gîtes. Nous avions d’ailleurs gardé les magnifiques voûtains en briques.

Je n’aurais pu mener une telle entreprise à moi seule. Par contre, sans ma détermination, rien ne se serait fait non plus. Cette réussite a été le fruit d’un combat collectif et, en 2003, les gîtes s’ouvraient au public. 

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Ma vie s’annonçait plus sereine. Au travail, je continuais tranquillement mon ascension. Je faisais preuve de volonté et de sérieux. Quant à notre projet, il continuait d’évoluer. Il n’y avait pas de raison pour qu’il en soit autrement.

Par conséquent, nous envisagions notre avenir sous les meilleurs auspices. Pourtant, insidieusement, de ténébreux nuages s’amoncelaient au-dessus de nous.

Et si le pire était à venir… ou à revenir ?

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