Lecture spatiale
Paris-22 juillet 1997-Champs de Mars
Un jeune homme était allongé sur l’herbe en face de la Tour Eiffel. Il faisait beau, il avait les yeux clos, il semblait rêver. Il avait un ouvrage ouvert posé sur la poitrine, dont le titre se détachait nettement du fond noir de la couverture : « 2001, l’Odyssée de l’Espace, A. C. Clarke ».
L'air était chaud, calme, le ciel azuréen régnait en maître sur la capitale. Tout semblait figé dans une tranquille immobilité quand subitement, un groupe de quatre jeunes gens s’approcha.
— Hey, Dockman, qu’est-ce que tu fous ? Toujours en train de bouquiner tes romans de SF ? cria presque à la cantonade l'un d'entre eux avec un léger accent autrichien. Il était grand, large d'épaule, et l'expression franche de ses traits associée à une chevelure châtain-roux aux mèches rebelles lui conférait une allure décontractée et désinvolte à la fois.
— Hans, il n'y a pas moyen de faire une sieste quelque part sans que tu viennes me casser les oreilles ! grommela l'interpelé, en redressant la tête.
Un autre, en donnant du coude à son frère jumeau qui se tenait à ses côtés, renchérit :
— T’es toujours dans la lune toi, fais gaffe quand tu te réveilleras, ça fera mal !!!
— Rose, j'imagine que tu vas t'y mettre, toi aussi ? s'enquit Dockman auprès de la seule jeune fille du groupe, d'un ton faussement ennuyé.
Elle hocha la tête, ses longs cheveux brun ondulant doucement, un sourire plein d'entrain aux lèvres. La bande d’amis s’esclaffa. Se frottant les yeux, il se leva prestement et rangea son livre dans sa sacoche. De taille moyenne, son visage expressif aux grands yeux clairs et à la mâchoire carrée lui donnait une sorte d'autorité naturelle, à laquelle ils lui cédaient bien volontiers. Il remit de l'ordre dans ses cheveux ébouriffés, sourit et reprit :
— Ok les gars, on se casse ? Je vous rappelle qu’aujourd’hui c’est mon anniv’, j’ai tous les droits ! …Et si on recollait à la réalité justement... On se fait un Counter ? proposa-t-il malicieux.
Le groupe s’éloigna alors en rigolant. Ils quittèrent en même temps la vaste pelouse du Champs de Mars dominée par la Dame de fer. Hiératique et élégante à la fois, celle-ci ressemblait en cet instant à une gardienne sacrée du temps, laissant passer inlassablement celui-ci en se déroulant tel un ruban infini sous ses arches d'acier séculaires.
Le quintuor avait laissé quelques empreintes de pas autour d’une silhouette allongée que dessinait l’herbe fraîche écrasée. La lumière s'attarda parmi les quelques brins aplatis qui se redressaient lentement, puis les contours fantomatiques s'évanouirent peu à peu dans la chaleur lourde de l'après-midi.
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