Évasion
L’homme pénétra prudemment dans un boyau sombre, et aperçut une autre lumière rougeâtre un peu plus bas. Il rampa, tous les sens en alerte, mû par l'envie sourde de s'échapper de ce trou à rat. Il atteignit une autre pièce, beaucoup plus vaste. Lorsque ses pieds touchèrent le carrelage froid, il fut saisi par tout le mobilier qui gisait sur le sol. Tout y était renversé : bureaux, chaises, étagères, armoires... des débris de verre jonchaient partout le dallage.
Déambulant parmi les débris, il s’avança vers le centre de la pièce baignée par les lumières de secours pourpres. Il s’arrêta devant un énorme bureau central qui n’était pas retourné, mais la plupart de ses grands tiroirs avaient été délogés et leurs contenus éparpillés. Machinalement, son regard s’arrêta sur quelques feuillets à ses pieds. Brusquement, il tomba à genoux et se mit frénétiquement à chercher quelque chose parmi les fiches et les pochettes en carton qui jonchaient le sol. Relevant la tête, il tira tout à coup un gros tiroir qui semblait avoir résisté au chaos. Sur le devant, une grosse lettre « D » en métal y était fixée. De plus en plus nerveusement, il fouilla dans ce qui s'apparentait à des dossiers archivés.
Son doigt parcouru des fiches par ordre alphabétique. Il finit par s’arrêter sur l'une d'entre elles tachée et abîmée, intitulée « DOCKMANNER ». Saisissant le dossier, il se mit à parcourir les informations inscrites :
ASSISTANCE PUBLIQUE/HOPITAUX DE PARIS
HOPITAUX UNIVERSITAIRES PARIS OUEST
HOPITAL EUROPEEN GEORGES POMPIDOU
DATE D’ADMISSION : 22/07/97
NOM : DOCKMANNER
PRÉNOM : ETHAN
N° DOSSIER : 35467892
RESPONSABLE(S) LÉGAL (AUX) :
Mr Georges & Mme Rachel DOCKMANNER
ADRESSE : 14 rue la Boétie 75008 PARIS
SERVICE D’AFFECTATION : TRAUMATOLOGIE
RAPPORT du 1er BILAN PRÉLIMINAIRE DE SANTÉ DU PATIENT : choc traumatique sévère-coma stade 3-risque élevé de séquelles/ lésions cérébrales-identifiées-Diagnostique : R/
La feuille qu’il tenait se mit à trembler.
— Mais…c’est moi… !!! ...Qu’est-ce qu'il s'est passé ??? pensa-t-il, sous le choc.
Puis il ouvrit le reste du dossier. Il trouva un cahier « Dossier médical DOCKMANNER-Soins journaliers », et tomba sur des lignes datées où étaient notifiés des soins quotidiens.
Sur la 1ère page, il put lire :
23/07/97 Chambre 57 : Soins effectués. Etat stationnaire.
— Juillet 97 ? Que m'est-il arrivé ??? Il fit un effort pour rassembler ses souvenirs...très flous. Juillet...oui...J'étais en vacances...mes amis... Les images qui lui revenaient étaient intermittentes, mais ses douleurs à la tête reprirent.
Il tourna les pages et vit à sa plus grande stupéfaction les dates défiler sous ses yeux :
05/09/97
22/05/98
11/09/01
…
L'estomac retourné, il tourna de plus en plus lentement les pages et parvint à la dernière :
22/07/31-Chambre 16 / Soins effectués + Néo-genèse administrée-état stationnaire/Rq : courbe anormale phase paradoxale 3 enregistrée à 4h06 : agitation oculaire anormale PSP
C’est impossible ! Qu’est-ce que c’est que ce cauchemar ? Ulcéré, ses pensées fusaient à la vitesse de l'éclair dans sa tête. Son regard éperdu lisait et relisait les lignes de dates sans discontinuer, cherchant l'erreur, la coquille, ce quelque chose qui permettrait de comprendre et de se rassurer sur l'évidente ineptie du document. Mais il ne trouva rien, les années semblaient s'empiler sagement page après page dans le dossier, renseignées chacune de commentaires manuscrits soigneusement consignés.
Sidéré, il leva alors la tête et aperçu soudain une faible lueur dans le recoin d’un mur sombre. Attiré, iI se releva et s’en approcha. Se baissant, il constata que la lumière émanait d’un autre trou dans lequel le passage était envisageable. Sans plus réfléchir, il s’y glissa et passa entre de gros blocs de béton arrachés, se faufilant dans un mince boyau en direction de la lumière. Il remarqua dans sa progression que plus il s’en approchait, plus celle-ci virait au jaune et rouge tout en étant de plus en plus vive. S’écorchant au passage, il peina tant bien que mal jusqu’à l’extrémité de cette sorte de tunnel et pu enfin passer la tête hors du trou. Quelques instants, il se figea.
Partout, du feu. Des décombres. De la fumée épaisse, noire et nauséabonde vint lui assaillir les sens. Il se trouvait enfin dehors, mais au centre d’immense blocs de béton et de gravas entassés formant un amas indistinguable de câble, de pierre et de métal au-dessus et au-dessous de lui. De surcroît, comme il se trouvait en hauteur, il vit avec effroi un panorama cataclysmique se déployer sous ses yeux. Une ville brûlait des flammes de l’enfer devant lui, étalant ses quartiers écroulés et noircis ainsi que ses avenues béantes et fumantes. Le ciel, emplit de noirceur incandescente, ne laissait passer aucune lumière. Paris brûlait, exsangue. Il respira un grand coup. Et ferma les yeux.
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