Les portes de l’enfer

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Paris-22 Juillet 2031-Champs de Mars

Il tituba. Un vent léger s’était levé et des cendres fuyaient dans le ciel charbonneux. Dans une odeur âcre de fin du monde, des tourbillons de fumerolles et de poussière dansaient en spirales solitaires, offrant presque un air de calme et de nonchalance à cet enfer. Il marchait péniblement au milieu de ce chaos indescriptible depuis quelques temps déjà, et la fatigue se faisait sentir. Une fois sortit des ruines de l’hôpital, il avait longé la Seine en rejoignant le quai jouxtant les restes de l'édifice et errait machinalement parmi les décombres qui jonchaient les rues, la conscience enfouie dans un océan de brume. Hagard, il contemplait les pans de quartier écroulés défigurer les avenues à perte de vue, reconnaissant parfois ça et là un square, les restes d'un immeuble, un carrefour autrefois animé.

Après un long moment il s’arrêta soudain pétrifié à un angle de rue. Ce qu’il vit lui transperça le coeur : arrivé au Champs de Mars, celui-ci n’était plus qu’une vaste esplanade calcinée, irradiant la chaleur d'une véritable fournaise à plusieurs centaines de mètres. La tour Eiffel, les pieds immobiles, ancrée dans le sol, regardait désormais sa cité natale d’un angle inhabituel : tordue à moitié de sa hauteur et menaçant même de rompre, sa silhouette se courbait désormais d'un air sinistre.

Médusé, il demeura immobile et sentit le désespoir lui saper les genoux. Se prenant la tête entre ses mains, il laissa de longues minutes s’écouler, interrompues de temps en temps par quelques éboulis au loin. Le constat était sans appel : la catastrophe, quelle qu'elle eût été, avait consumé la ville et celle-ci se mourrait sous ses yeux, agonisait telle une bête frappée d’un coup mortel.

Brusquement, il leva la tête.

Un son différent des autres l’avait extirpé de ce cauchemar dans lequel il s’enfonçait lentement.

Le son se rapprocha.

Il se leva et aperçut une ombre qui gesticulait au loin. Le cœur battant, il se mit à marcher sans réfléchir, puis courir comme hypnotisé par cette image.

Arrivant enfin aux abords de l'endroit, haletant, il distingua parmi les volutes de fumée une vague silhouette humaine lui tendre la main. Mais d'un coup, elle disparu derrière un monticule de gravas. S’approchant vivement, il se pencha et découvrit un profond cratère dans lequel avait glissé la forme. Il comprit vite cependant que la situation n’était pas exactement celle qu’il espérait : un homme était bien là, agrippé à mi-hauteur du trou, mais involontairement. Quelque chose le tenait. Quelque chose l’empoignait par la jambe droite, d’une prise d’acier, et le traînait inexorablement vers le fond obscur du cratère. L’homme, désespéré, n’avait plus de force pour se débattre, mais parvenait encore à s’accrocher à quelques reprises à un bloc de pierre ou de bitume et ainsi à ralentir quelque peu sa descente.

Il avait mal. Très mal. Il regarda vers le haut du trou et vit cet homme en chemise d'hôpital déchirée et sale qui le fixait, tétanisé. Il tenta un geste vers lui, mais ce geste l’obligea à lâcher prise. La chose tira plus fort à ce moment sur sa jambe. Dans un craquement étrange il sentit que son corps se disloquait et la douleur le fit s’évanouir, l'enveloppant d'un grand voile noir.

Il recula du bord de la crevasse. Terrifié, il demeura interdit quelques secondes en essayant de comprendre ce qu’il s'était passé. L’homme en détresse lui avait tendu la main et avait brusquement grimacé et disparu derrière un bloc sombre tout au fond de la crevasse, comme aspiré. Puis plus rien. Le silence, seulement le silence, et le vent. Un sentiment de malaise l’envahit, et ses sens restèrent en alerte. Ses nerfs se tendirent, et il retint sa respiration. Un pas. Puis deux. Reculant lentement, sentant vaguement une menace présente, toujours tapie, son instinct lui dictait de s’éloigner, maintenant.

Le sol bougea. Imperceptiblement. Sans bruit particulier. A peine quelques petits frottements étranges. Mais il bougea. Quelques cailloux roulèrent. Quelque chose venait. Une ombre noire perla dans l’une des fissures du sol qui couraient autour du trou, comme un liquide comprimé qui se libérerait très doucement. Il recula d’un coup, mais trébucha contre le bout métallique d’un panneau de signalisation fondu et tomba à la renverse. Cela venait, et venait à lui, plus obscur que les ténèbres. En rampant, indistinctement animé, indistinctement intentionné, « peut-être est-ce juste une fuite, une canalisation endommagée ? », tenta-t-il de se rassurer, mais son instinct continua de lui intimer de déguerpir, qu’il y avait une menace.

C’est à ce moment qu’il décida d’intervenir. Il jaillit d’entre les ruines fumantes et le tira violemment vers l’arrière, le soustrayant d'un coup à l’inexorable noirceur qui atteignait alors presque ses pieds.

— Viens donc, fuyons ! hurla-t-il tout en se ruant vers la rue voisine.

L'homme en blouse d'hôpital le suivit prestement en criant :

— Attendez !

Il se jeta à la poursuite d’un vieil énergumène, dont l’allure était décharnée et débraillée. Celui-ci ne l’avait guère attendu, mais il parvint tant bien que mal à le rattraper.

— Là…ici ! Descends avec moi, pauvre fou ! lui brailla le vieillard, à bout de souffle.

Il souleva d’un coup une plaque d’égout et s’engouffra dans le trou béant du sol.

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