Le néant et le Vieux Fou
Noir. La nuit totale. Un noir palpable, tellement l’air lui-même devait être "noir". Au fond d’un boyau sale aux odeurs infectes, étroit et humide, il se retrouva brusquement dans le néant. Plus de son, plus de bruit, les pas même du vieil homme ne résonnaient plus, et un inquiétant silence envahit l’espace sombre.
Puis un craquement d’allumette déchira l’obscurité, et une flamme crépita juste devant lui. Il eut un mouvement de recul, mais la flamme se déposa, mouvante, sur la mèche d’une bougie et prit vie doucement à son tour. Une maigre clarté en émana, puis la bougie se rapprocha de son visage et s’immobilisa, comme portée par un esprit.
— N’ai pas peur ! murmura une voix rauque et abîmée.
Une seconde s’écoula, il sentit une goutte de sueur couler le long de son dos.
Et soudain le visage ridé du vieillard apparu de l’autre côté de la flamme.
Son visage était creusé par le malheur, et la vieillesse avait profondément gravée ses traits déjà tourmentés : l’homme semblait d’un autre âge. Son regard étincela un bref instant et le fixa intensément.
— Te souviens-tu qui tu es ? grinça-t-il
Paralysé, il ne réagit pas, laissa passer un lourd silence.
Le vieux fou lâcha un petit rire éraillé.
— Tu ne te souviens pas… ! ajouta-t-il d’un air narquois.
La flamme vacilla brusquement et les ténèbres se resserrèrent un peu plus autour des deux hommes.
— Assieds-toi, ordonna-t-il simplement. Ils s’accroupirent autour de la flamme, lentement, sans se quitter du regard.
— Je…je m’appelle…
— Ethan Dockmanner…ou plutôt "Dockman" coupa le vieillard.
Il plissa les yeux et s’approcha de la flamme qui lui éclairait désormais tout le visage. Il articula en détachant chaque mot :
— Et…tu…es…mort…
Il éclata d’un rire sec. Puis il s’interrompit soudainement. Ses yeux semblèrent changer de couleur, son expression se fit anxieuse.
— Mais tu es encore là ! Et tu dois le trouver…Suis sa piste, regarde dans la direction des étoiles, il sera peut-être derrière toi dès le début, méfies-toi ! siffla-t-il entre ses dents, comme habité.
La flamme changea brusquement d’emplacement et vint se placer à quelque distance, près d’une paroi. Un symbole mystérieux à demi-effacé apparut ainsi à la lueur jaunâtre de la bougie, comme une sorte de graffiti abîmé par le temps. Dockman se rapprocha pour mieux observer la forme étrange : on aurait dit un grand huit avec une ouverture de chaque côté. Il remarqua également dans la partie basse du symbole une sorte de petite fourche, de trident. Perplexe, il tenta en vain d'en déchiffrer le sens .
— Cherches-les ! murmura soudainement le Vieux Fou. Retrouve la Section…Leur Maître est le créateur de tout ceci… Ceci est leur symbole !
— Mais qu’est-ce que c’était ?...je veux dire, cette chose dehors, là…Noire… ?
L’homme se tut. Puis la flamme s’éteignit brusquement.
— C’est une clé, répondit-il dans un souffle.
Un grincement se fit soudain entendre et quelque chose glissa rapidement puis disparut derrière un léger bruit de loquet.
Puis plus rien.
Rien que le silence étouffant qui reprend sa place, laissant comme une impression d’être en trop dans l’espace, car trop confiné.
— Hé ?...Où êtes-vous ? s’écria d’un coup Dockman. OU ETES-VOUS ?
Le vide lui répondit par le simple écho de sa voix.
Dehors, le vent se leva une nouvelle fois. Les émanations de toutes sortes enveloppaient parfois totalement les rues, et Dockman avait la plus grande difficulté à respirer.
Mais où sont-ils...? Où sont les hommes, les femmes qui vivaient ici ? Sont-ils tous morts ? Cette pensée laissa monter une angoisse qu'il dut maîtriser avec peine. Un frisson lui parcouru l'échine. Il faut que je me trouve des vêtements, songea-t-il. Sa tenue d’hôpital se déguenillait, et il commençait à avoir très froid.
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