Le guetteur

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Il marcha longtemps. Les ruines des bâtiments autrefois magnifiques et fiers flambaient étrangement comme si un carburant inextinguible en avait imprégné la moindre pierre, et toujours aucune âme qui vive. Il continua sa progression, remontant cette fois les avenues vers le nord, frappé de nouveau par l’effroyable décor de désolation. Il se mit à réfléchir tout en pérégrinant, et repensa au rapport médical qu’il avait compulsé à l’hôpital.

Pourquoi serai-je rentré dans un hôpital ? Qu’est ce qui s’est passé ?... Je n’ai pas souvenir de quoique que ce soit… Et pourquoi ces pages avec ces années…2031 ? C’est impossible… ! J’étais dans un coma ?...

Toute ces questions le hantaient, le taraudaient et sans s’en rendre compte, il venait de s’engouffrer dans un vaste boulevard.

Tout à coup, un bruit attira son regard. Il tourna la tête et aperçu une silhouette, immobile, tapie à l’ombre d’un coin d’immeuble.

Son cœur se mit à battre la chamade. Immédiatement, il cria :

— Hé…vous ! Aidez-moi ! Ne...ne partez pas ! craignant que l'apparition ne se volatilise.

La silhouette ne cilla pas. Dockman tourna la paume de ses mains vers l’inconnu :

— Je n’ai rien, j’ai besoin d’aide, je suis perdu !

La silhouette esquissa un bref mouvement mais brusquement une forme sombre se profila sur le haut de la façade d’où elle se tenait.

La silhouette tressaillit et descendit d’un coup l’éboulement sur lequel elle s’était juchée au pied du bâtiment et couru à grandes enjambées droit vers Dockman.

— COURS ! lui ordonna d’une voix forte l’inconnu et il n’eut le temps que d’apercevoir une tête encapuchonnée de blanc lui tirer le bras et l’entraîner vers l’autre extrémité du boulevard.

Ils coururent quelques minutes mais il sentit une douleur à la tête lui revenir, comme quand il s’était levé la première fois de son lit d’hôpital. Il s’arrêta, hors d’haleine.

— VITE. TU DOIS PARTIR ! lui ordonna l’individu cagoulé. Ses vêtements étaient étranges, blancs avec quelques liserés orangés aux coutures et étonnamment ajusté de façon à donner à la fois un aspect de seconde peau et d’uniforme. La voix était rude et grave.

Dockman se retourna vers le coin d’immeuble maintenant loin derrière eux et distingua la large façade qu’il venait de fuir précipitamment. Bizarrement, celle-ci paraissait d’un coup très sombre. En fixant intensément le bout de la rue, il vit que le revêtement de la chaussée paraissait également anormalement sombre. Quelque chose glissait vers eux, imperceptible, comme une ombre qui gagnait lentement du terrain.

— COURS VERS LA GARE ! QUAI 22. EMBARQUE QUAI 22 !

Là-dessus l’homme à l’uniforme blanc se retourna et commença à s’avancer vers l’obscurité rampante.

— Mais…Attendez ! Revenez !

L’homme s’immobilisa. Il se retourna et dit distinctement :

— Dockman…Vas-y maintenant.

Puis l'homme en uniforme repris son trajet d’un pas décidé. Il se mit à courir. Quelque chose d’électrique se produisit alors. Au fur et à mesure qu’il avançait, un arc blanc se créait à chacun de ses pas, comme si le sol était chargé d’énergie.

— VAS-T’EN ! hurla la silhouette au loin en sautant par-dessus les éboulis, fonçant vers la zone sombre du boulevard, devenue noire comme la nuit.

Dockman se retourna et vit non loin la grande façade de fer et de verre d’un grand bâtiment. La gare de l’Est, reconnaissable entre toutes, était -incroyablement- encore debout. Il courut le plus vite possible vers les grandes portes de verre.

Parvenu devant la bâtisse, il entendit un grand cri au loin derrière lui. Il tourna la tête juste avant de rentrer dans l'immense hall et s’arrêta net, pétrifié : une grande ombre, enchevêtrée d’arcs électrique naissants et disparaissants sans cesse semblait ronger la grande avenue en débordant sur les façades attenantes. Cela donnait l’impression d’un trou obscur avalant les murs, les trottoirs, tout semblait disparaître. Il vit brusquement une petite forme aux reflets blancs se débattre, des éclairs semblaient émaner de son corps mais ce qui ressemblait à un combat paraissait peine perdue devant ce néant engloutisseur.

Terrorisé, Dockman dut se faire violence pour reprendre sa fuite éperdue. Il s’engouffra dans le hall et se retrouva à chercher frénétiquement les différentes voies sur le quai.

— Quai 22…quai 22…mais où est-il ? hurla-t-il à voix haute, perdant patience devant les pylônes numérotés qui défilaient devant lui.

Il parcouru le quai principal et finit par distinguer le panneau indiquant le numéro 22. S’arrêtant, il remarqua qu’en dessous, en tout petit, un drôle de tag noirâtre figurait. En passant de plus près à côté de l’indication, il y jeta malgré lui un coup d’œil et reconnu, stupéfait, le dessin que formait le graffiti : moins abîmé que la fois précédente, un "huit" aux côtés ouverts ornait sinistrement la signalétique, muni d'une sorte de symbole grec en forme de fourche à l'intérieur.

Mais un craquement sinistre se fit entendre du côté du hall et il pressa le pas.

Il atteignit rapidement le quai qu'il cherchait le long duquel un train y stationnait. Comme il put étrangement le constater, c’était le seul qui arborait sur ses flancs le chiffre 22. « Comme si ce train avait sa propre voie qui lui était réservée », songea Dockman. Le train possédait six wagons. Il se hâta instinctivement vers la locomotive de tête. Il pénétra dans l’habitacle et se retrouva nez à nez avec le tableau de bord bardé de manettes, de cadrans à aiguilles et d’écrans.

Et que dois-je faire ? Ça marche comment ce truc ? pensa-t-il.

Un autre bruit se fit entendre dans la gare, et Dockman sentit le danger se rapprocher.

Il regarda attentivement les boutons et vit dans un coin un interrupteur marqué « START ». Il l’actionna.

Immédiatement, la turbine se fit entendre et le train frémit. Il s’aperçut qu’à côté de ce bouton, une commande indiquait « AUTO » et s’était mise à clignoter.

Brusquement, une forte secousse se fit sentir et une fissure béante s’ouvrit juste à côté de la locomotive le long du quai qu’il venait d’emprunter. Par réflexe, il écrasa le bouton « AUTO ».

Le train s’ébranla instantanément et Dockman dû rapidement se tenir au siège pour ne pas tomber car celui-ci accéléra fortement. Le train traversa les mètres qui le séparait de l’extérieur de l’immense verrière qui surplombait les voies et il eut l’envie irrépressible de vérifier ce qui se passait depuis le quai en ouvrant la porte pour se pencher. Tout semblait normal. Dans le vent qui lui battait les cheveux, il ne put distinguer quoique ce soit, rien ne bougeait plus, comme si rien ne s’était passé.

Il fronça les sourcils et plissa les yeux au fur et à mesure que le train prenait de la vitesse et s’éloignait de la gare.

Bon dieu…Qu’est-ce que c’était… ?

Le train se stabilisa automatiquement sur une vitesse modérée, il décida alors d’explorer les six wagons. Au terme de sa recherche, il ne trouva rien d’autre qu’une vieille malle abandonnée sur le porte-bagage de la deuxième voiture. Gravées près de la poignée sur la serrure en cuivre, deux lettres semblaient indiquer les initiales de son propriétaire : « RP ». Il décida de l’ouvrir et, en forçant légèrement l’ouverture, il n’eut aucune peine à l’entrebâiller. A l’intérieur, il trouva des vêtements, des chaussures, des médicaments, une sacoche ainsi qu’un objet léger, brillant, semblable à de l’aluminium. Dockman évalua la taille des effets et trouva qu’ils lui correspondaient, aussi ne perdit-il pas de temps et enfila prestement les habits. Ils étaient confortables et à sa taille, et se composaient d’un simple jean noir, d’un T-shirt noir et de sous-vêtements. Les chaussures lui convenaient par chance également, il s’agissait de chaussures de sécurité et il songea que leur robustesse ne pouvait pas être mieux utile qu’à ce moment-là. Cela le rassura et cette pensée positive le détendit quelques instants.

Il prit ensuite un fortifiant parmi les médicaments présents dans la malle, ainsi que des vitamines en capsules liquides. Puis Dockman observa avec intérêt le dernier objet : lisse et étincelant, il ne pesait pas bien lourd dans la main et semblait effectivement réalisé en aluminium. Sa forme épaisse aux contours arrondis ressemblait à une petite fourche à trois dents, munit d’un manche très court. L’examinant sous toutes les coutures, aucune rayure ni marques d’usage n’apparaissait sur sa surface et il semblait parfaitement neuf. Ne sachant qu’en faire pour le moment, il se releva, ajusta la sacoche en bandoulière et y fourra l’objet brillant ainsi que quelques médicaments.

Dockman remonta vers la locomotive et se demanda alors ce qu’il devait faire. Il se dit qu’il roulait maintenant depuis au moins une heure, et il se sentait passablement fatigué. Le train continuait en mode « AUTO », le bouton allumé était toujours enclenché, mais la nuit tombait et le paysage de désolation continuait dehors à défiler. Les arbres tordus ou calcinés dessinaient aux lointains des silhouettes maudites et la voie de chemin de fer, en bon état, restait la seule issue vers l’inconnu. Repensant aux derniers évènements, à la gare qu’il avait quittée en catastrophe, la peur de se faire rattraper par quelque chose l’assaillit de nouveau. Il s’assit dans le fauteuil du poste de pilotage, décida de laisser le train poursuivre son trajet, et surveilla d’un œil las la voie défiler.

Bercé par le roulis, il s’endormit bientôt sans s’en rendre compte. La locomotive et ses six wagons continuèrent leur trajet et la nuit s’épaissit sur les contrées consumées. Au lointain, un immense brasier illuminait une partie du crépuscule, les flammes continuaient leur travail de destruction sur les ruines des villes avoisinantes de la capitale. Par endroit les rails avaient souffert des effets de la chaleur et le train tremblait et grondait comme un animal se cambrant, mais il garda son cap et continua vers son but, immuable et obstiné.

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