La Table Blanche
Dockman se leva, les portes coulissèrent doucement.
Une vaste salle blanche et silencieuse apparut devant lui. Fébrile, il sortit prudemment de l’ascenseur et s’avança.
— Il y a quelqu'un ?
Aucune réponse ne lui parvint.
— Est-ce que quelqu’un m’entend ?
Il continua de marcher droit devant lui, arpentant le lieu désert et immaculé. Tout à coup il vit au loin une forme floue, surmontée d'étrange points sombres. Cela était fort éloigné et à peine discernable, mais les contours se précisaient au fur et à mesure qu'il avançait. Les minutes s’écoulèrent et toute sa concentration était désormais focalisée sur cet objectif. Enfin, la chose se précisa : il distingua des pieds sous l’objet, les points noirs au-dessus se muèrent lentement en formes humaines immobiles, assises autour de ce qui s'avéra être en réalité une vaste Table Blanche.
Ils étaient quatre, et un frisson lui parcouru l'épine dorsale : c'était encore eux ! pensa-t-il, complètement paniqué. Effectivement, les quatre mystérieux personnages encapuchonnés, enserrés dans leurs tuniques blanches, étaient bien là. Parfaitement immobiles, ne semblant pas même respirer, ils avaient tous les yeux clos, comme plongés dans une profonde méditation. Se rapprochant silencieusement, il put rapidement observer plus en détail leur tenue et remarqua qu’elle était faite d’une matière texturée, un peu comme du cuir. « C'est aussi ce que portait l’homme qui m'a sauvé à la gare de l’Est ! » songea Dockman, perplexe. « Des combinaisons faites pour des soldats… ».Prenant son courage à deux mains, il décida brusquement de leur parler :
— Hé…Hem...Excusez-moi...! interpella-t-il d'une voix étouffée, gêné de rompre ce silence si parfait.
Personne ne broncha. Il se rapprocha de la Table, et scruta les visages assombris par les capuches, et nota au passage la présence d’une femme. Soudain, les silhouettes lui apparurent tour à tour vaguement familières, mais il ne sut pourquoi. Il remarqua alors un siège libre à l’autre extrémité. C’est à ce moment que l’un d’entre eux bougea enfin. Lentement, son bras droit se leva vers la place libre et, la paume vers le haut, sembla lui indiquer d'y prendre place. Il hésita. Que faire ? L'étrangeté de la scène le mettait mal à l'aise, et sans plus réfléchir, comme dans un film au ralenti, Dockman s’asseya.
Les accoudoirs possédaient à leurs extrémités une dizaine de boutons noirs, chacun estampillé d’un petit symbole distinctif. Il leva les yeux et constata que seul son fauteuil était noir. Ceux des autres étaient blancs, comme l’immense Table, comme les uniformes, les murs, le sol et le plafond. Pris d’un vertige, il tourna la tête et tenta de regarder vers la direction qu’il avait prise pour venir. Peut-être dans l’espoir de distinguer l’ascenseur. Peut-être dans l’idée de s’échapper par une issue qu’il n’aurait pas vue. Tiraillé entre le désir d’hurler sa peur, que quelqu’un lui explique enfin tout ce que cela signifiait et l’envie de se réveiller pour sortir de ce cauchemar, il se mit à trembler.
Au final, il ne comprenait rien à ce qui se tramait, mais sentait confusément au fond de lui que cela le concernait, lui tout particulièrement. Et il ne savait pas pourquoi.
Puis tout s’éteignit d’un coup.
— Mais que… ! s’exclama-t-il, consterné.
Plongé dans le noir, il n’entendit plus que sa respiration. Brusquement, une série de petits craquements électriques se firent entendre dans l’air, et un étrange cercle sombre bordé d'un léger halo orangé se dessina lentement au-dessus de la Table, l'éclairant maigrement d’une lueur blafarde. Il chercha du regard les quatre inconnus, mais il ne put les distinguer, comme s'ils s'étaient volatilisés. Il chercha à examiner la sphère sombre de plus près, mais il s’aperçut soudain qu’il ne pouvait pas se lever. En effet, malgré ses efforts, il ne parvenait pas à décoller d’un centimètre du siège dans lequel il semblait littéralement ne faire qu’un.
- Qu'est-ce que... commença-t-il, mais une voix jaillit tout à coup du cercle, ténébreuse et profonde, au timbre glaçant de détermination :
— Bonsoir, Agent 1, dit la voix qui sembla résonner dans l’éternité. Alors vous êtes revenu ! Cela est positif. Et très profitable. La Section se trouve enfin au complet... La voix avait prononcé le mot « section » comme si elle l’avait emprunté au langage des serpents. Puis elle laissa entendre un rire sinistre. Dockman se figea. Il connaissait ce rire. Rassemblant son courage, il prit la parole :
— Qui êtes-vous ?
Sa voix était nouée et il eut du mal à articuler ces quelques mots. Un long silence suivit. Puis, le cercle sombre luminescent se rapprocha, et il fut frappé de constater qu’il flottait dans l’air. Mais la voix grave jaillit à nouveau de la sphère, sur un ton menaçant :
— Agent 1, êtes-vous opérationnel ?
La question semblait lourde de conséquence. Son instinct lui incita à répondre par l’affirmative.
— Oui, déglutit-il, tentant de masquer son ton mal assuré.
Un autre silence s’ensuivit. Il eut la nette impression que le cercle réfléchissait.
Soudain un voyant sur l’accoudoir droit de son fauteuil s’illumina discrètement, suivi d’un léger son, puis clignota. Il semblait attendre que l’on appuie dessus, mais Dockman attendit quelques minutes. Cependant, plus rien ne vint du cercle sombre. Il décida alors d’appuyer sur le bouton, comme s’il « activait » une commande qui lui était destinée. Et c’est précisément ce qu’il se produisit.
Son siège s’inclina brusquement en arrière et pivota à cent-quatre-vingt degrés. Puis il s’éloigna en glissant à grande vitesse de la sphère sombre et de la grande Table de Réunion blanche. Toujours aimanté à son fauteuil et ne pouvant pas se lever, il se cramponna et hurla :
— MAIS…ATTENTION…JE VAIS OU LÀ ?
L'incroyable traversée ne dura pas plus d’une minute. Aussi vite qu’il avait quitté la Table de Réunion, il atteignit une zone éclairée de rouge et aperçut un mur vers lequel il se rapprochait en ralentissant progressivement. Tout contre le mur, un cube en verre totalement transparent était comme posé au sol. Arrivé à quelques mètres seulement, le siège s’arrêta net, et se remit en position droite initiale. Dockman se sentit d’un coup plus léger dans son fauteuil, et se redressant il se rendit compte qu’il n’était plus « collé » à son siège, et se leva promptement. Il avança vers le cube et constata qu’il était un peu plus haut que lui, et tout juste large d'un mètre environ. C’est alors que la paroi face à lui du cube s’abaissa d’un coup sec. La base du cube s’éclaira légèrement de blanc, comme une invitation à entrer dans le cube. Il hésita. Jusqu’où cela allait-il l’entraîner ? Cet endroit lugubre et la voix sinistre qui l’avait interpellée sentait la peur, voire la mort…Il rechigna, mais au fond de lui, il savait qu’il n’avait pas eu beaucoup de choix possibles dernièrement, et qu’il devait se battre pour survivre. C’est là qu’il commit sa première erreur.
Il fit un pas et entra dans le cube. Aussitôt la paroi de verre glissa derrière lui et referma l’ouverture. Et le cube se mit à glisser lentement au travers du mur. Affolé parce qu'il allait se faire écraser, il eut à peine le temps de frapper les parois de verre qu’il se fit engloutir par la paroi.
Hurlant dans le piège de verre, il se débattit quelques secondes et le cube cessa de bouger.
— ARRETEZ ! hurla-t-il. AU SECOURS !
Il ne s’aperçut réellement d’avoir traversé le mur qu’après avoir repris une respiration normale.
— Putain, mais ce n’est pas possible !!! Je suis où ? Aidez-moi !!!
Derrière le mur se trouvait une petite pièce, avec en son centre une table équipée d’appareils médicaux. L’endroit ressemblait à une salle d’opération morne et hostile. Le cube continua à glisser en silence à environ un mètre cinquante du sol, et s’inclina doucement à l’horizontal. Renversé, Dockman fut plaqué contre le verre. Il se retrouva allongé dans sa prison de verre, qui l'achemina jusqu’à la table médicale, se plaçant juste au-dessus. Puis elle se posa dessus délicatement. Il se retourna alors et voulu s’asseoir mais brusquement des bracelets métalliques lui attrapèrent les poignets et les chevilles et le clouèrent à la table. La paroi sous son dos avait subrepticement glissée sans qu’il ne le sente, ce qui avait achevé de le déposer. Alors le cube se souleva au-dessus de lui tout en refermant sa paroi et disparut en s’enfonçant à nouveau dans un des murs.
— Aidez-moi ! Quelqu’un ! Y-a-t-il quelqu’un pour m’aider ? À l’aide ! cria Dockman, haletant comme un enragé et se contorsionnant dans tous les sens pour arracher ses entraves.
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