La sentinelle

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Enfin, il revint.

Il avait beaucoup réfléchi. Il avait beaucoup hésité…Plusieurs fois, il s’était rendu à son poste d’observation au Pôle Central de la Section, et avait orienté ses recherches sur lui. Quelque chose lui rappelait de bons souvenirs, remuait en lui des sentiments étrangers. Puis après plusieurs années, il avait abandonné de guerre lasse, tant les bilans de santé qu’il téléchargeait secrètement via les réseaux pirates de la Section se ressemblaient les uns après les autres et ne présageaient rien de bon. Cependant, la Source avait senti en lui comme un trouble, une affectation de la concentration, et l’avait convoqué. Rencontrer la Source était chose rare, et l’entretien avait été bref mais douloureux. Il avait été obligé de Lui en parler, de ces impulsions dans ses pensées qui le troublaient parfois, comme si son moi intérieur se dédoublait quelques secondes. Laps de temps durant lequel il se rendait compte brièvement qu’il n’était pas d’accord en quelque sorte avec une action qu’il avait pourtant décidé, mais qu’une autre volonté que la sienne lui imposait. Puis cela s’estompait et il effectuait la tâche qu’il avait commencée.

Il en avait donc parlé à la Source, mais Celle-ci lui avait ordonné le silence. Puis quelque chose avait changé dans la discussion qui s’était ensuivie, et Elle lui avait conseillé de se reposer. Les actes de la Section étaient minutieusement préparés et étaient longs à concevoir, et « chaque pièce d’un échiquier à sa place stratégique » lui avait-Elle chuchoté à l’oreille. Il avait été dans la Salle de Soin, le temps pour la Source d’effectuer « un contrôle ». Et cela avait mieux quelque temps.

Mais lorsque l'homme dans le coma avait refait surface, qu’il était revenu d’entre les morts, il s’était dit qu’il ne pouvait pas laisser faire cela. C’était plus fort que lui, comme un lien invisible avec cet homme qu’il ne connaissait pas mais qui lui paraissait si proche. Depuis son poste d’observation, il l’avait vu sortir des décombres et errer seul dans les boulevards éventrés et noircis par le feu. Il avait sondé les options possibles d’échappatoires. Elles étaient faibles. L’attaque avait surpris tout le monde, y compris la Source. Le monde s’était trouvé littéralement écrasé sous une déferlante de feu alors que le Plan 22 était sur le point de se réaliser. Et il y avait le Mudder, qui rodait dehors depuis, et dont personne ne savait ce que c’était. Ce phénomène était en cours d’analyse, et la Source devait leur communiquer le détail de ses résultats d’ici peu afin de déterminer une nouvelle action à mener pour la Section.

Après avoir longuement hésité, il était allé voir le Vieux Fou, et celui-là que les autres ignoraient par mépris, il l’écoutait. Ses prédications incantatoires et ses phrases mystiques dont il avait le sens de la formule le fascinaient. Elles lui rappelaient des souvenirs de son enfance, lorsqu’il était petit, et cela lui semblait agréable et rassurant. Quelqu’un sans doute qu’il avait connu il y a longtemps lui contait peut-être des histoires, il ne savait pas, il ne souvenait pas, d’ailleurs de quoi se souvenait-il ? Le vieil homme le rassurait et il était allé le rencontrer dans l’obscurité des égouts. L'ermite l’avait alors observé longuement et lui avait juste grincé à l’oreille : « Le Diable n’a pas d’antidote, contrairement à ses Valets qui le servent ! ». Puis il avait ajouté mystérieusement : « Tu es aveugle, mais tu veux voir. Tu connais le remède. »

Alors il était revenu.

Il entra dans la pièce et fixa l’individu qui se débattait à bout de force. Il savait que cela était inutile. Les bracelets d’acier étaient beaucoup trop solides, il les avait déjà éprouvés lui-même car il connaissait l’endroit : la Salle de Soin. Il devait faire vite, personne ne savait qu’il était là. Déjà, la table sur lequel reposait l’homme pivotait, et un son grave et diffus commença à résonner. Une voix automatique retentit, et annonça :

  • Attention. Lancement du Processus Automatique Falcon. Résonnance quantique en attente de localisation… Résonnance localisée...

Il s’approcha alors rapidement d’un panneau électronique latéral sur le mur près de l’entrée et tapa un code sur un petit clavier. Un levier blanc sortit silencieusement du mur et il l’abaissa alors que la voix lançait un compte à rebours :

Connexion dans 5…4…3… puis le silence demeura.

Il savait que maintenant, il était exposé. Combien de temps avait-il ? Cette donnée lui échappait. Peu importe. Il s’approcha de l’homme qui, épuisé, tentait encore de tirer sur les bracelets. Un instant leur regard se croisa. Il y eu comme une ombre dans son esprit. Il fit cependant un geste de la main et les bracelets rentrèrent doucement dans les interstices de la table. Epuisé, l’homme roula sur le côté et tomba au sol.

— Aidez-moi !

— Je vais vous aider, répondit-il. Mais vous devez me suivre.

Il releva sans effort Dockman, qui pourtant n’était pas de petite corpulence.

Puis ils sortirent rapidement de la Salle de Soin.

— Qui êtes-vous ?

Je suis l’Agent 2 répondit simplement l’homme, revêtu de la même tunique militaire blanche qu’il connaissait. Avalez-ça, lui dit-il en tendant la main.

Il vit une grosse bille jaunâtre translucide dans la main du soldat, et se demanda un instant quel risque il prenait.

— Maintenant !

Il saisit la capsule, la glissa dans sa bouche et attendit. Aussitôt la bille fondit et libéra un puissant liquide à la saveur veloutée. Une fois qu'il eût finit, ils avancèrent dans un couloir étroit et éclairé sobrement.

— Qu’est-ce que vous m’avez donné ?

L’Agent ne se retourna pas et lui répondit laconiquement :

— Soins et énergie.

— Merci…Mais où allons-nous ? Où sommes-nous ici ? interrogea fiévreusement Dockman.

— Vous êtes au Pôle Soins, et nous devons sortir du Pôle Central…Maintenant, veuillez observer le silence, rétorqua l’homme en blanc d'un ton ferme.

Il se tut et suivi en silence son guide, sentant instinctivement qu’il était plutôt sage de le suivre et de lui faire confiance pour le moment.

Ils marchèrent quelques minutes dans les couloirs lisses et ternes. L’Agent s’arrêta un instant, entra dans une petite pièce et pris un sac dans lequel il fourra quelque chose. Puis ils continuèrent sans un mot, le pas rapide, dans un silence de plomb. Soudain, une voix grave et glaciale interrompit leur périple :

— Agent 2… Merci de quérir l’Agent 1 en Salle de Soins, s’il vous plaît…

Ils s’immobilisèrent en même temps. L’Agent se retourna, fixa un bref instant Dockman. Puis il appuya sur un petit bouton sur le devant de sa ceinture blanche qui ceignait sa taille et ferma quelques secondes les yeux.

— Qu’est-ce que vous faites ?

Rouvrant les yeux, il prit une inspiration et répondit :

— Je gagne du temps. Il nous en laissera que très peu. Suivez-moi. Il fit volte-face et se mit à courir. Il lui emboîta le pas rapidement, contraint de suivre ce qui s’apparentait désormais à une évasion.

Ils coururent ainsi pendant quelques temps, longeant les couloirs tels des ombres fugitives, baignés d’une clarté blafarde. Ils atteignirent enfin un long corridor, qui les achemina vers une double porte vitrée rétroéclairée d’une lumière douce orangée.

— Vous montez avec moi ! Nous rejoignons la surface.

— Mais… Il fut interrompu par les battants vitrés qui s’écartèrent, laissant entrevoir un espace exigu. C’était un ascenseur.

— Dépêchez-vous ! ordonna l’homme, dont la voix impérieuse claqua dans l’air comme un fouet.

Ils pénétrèrent dans l’ascenseur, les portes se refermèrent silencieusement et ils sentirent la poussée de l’engin les tirer vers le haut.

Dockman en profita pour examiner à la dérobée cet individu qui semblait déterminer à le faire s’échapper de cet endroit lugubre. Qui était-il ? Il aperçut le bouton sur la boucle de la ceinture et repensa à cette scène bizarre où il l'avait vu appuyer dessus, les yeux clos, comme absent quelques instants. Levant les yeux, il fut déçu de constater que son visage était constamment ombré par la capuche qu’il portait, et il était impossible d'entrevoir ses traits.

— Comment vous appelez-vous ? demanda-t-il circonspect, tandis qu'ils montaient.

L’homme mystérieux ouvrit le sac qu’il tenait dans sa main et en sortit un vêtement noir, ainsi qu’une ceinture et des chaussures.

— Vous l’avez toujours ? questionna-t-il froidement, en guise de réponse.

— Quoi donc ?

— Votre Schröd ?

— Mon...quoi ?

— Le Schröd. L’objet que vous portez dans votre sac.

— Le truc bizarre en métal ? Oui je l’ai, mais pourquoi faire ?

— Le Schröd sert à l’intention qui l’utilise. Le principal est que vous le gardiez sur vous. C’est un instrument de puissance, Il ne doit pas le trouver.

Un silence s’ensuivit, et l’homme encapuchonné le fixa.

— Nous allons en avoir peut-être besoin. Nous allons avoir besoin de tout. Vous êtes recherché maintenant, vous êtes un fugitif. D’ici quelques minutes nous arriverons dans la zone de Surface. Cette zone est protégée, nous devrons trouver un point de retraite rapidement. Soyez silencieux, et scrutez les ombres, la plupart sont devenues hostiles.

Dockman accusa le coup : fugitif. Il était un fugitif. Mais de qui ? Et pourquoi ? Qui était ce Il, qu’employait avec crainte l’homme qui l’accompagnait ? Il fut soudain interrompu dans sa réflexion :

— Prenez-les et mettez-les. Dépêchez-vous ! dit l’Agent 2 en lui tendant les affaires qu’il avait sorti du sac.

Sans plus discuter, il s’exécuta. Il comprenait qu’il était en train d’évoluer dans un univers qu’il lui échappait totalement, et que le mieux à faire était, quelque part, de faire confiance à cet homme. Il le regarda quelques instants avant de commencer à se changer, mais le regard noir sous l’ombre de la capuche ne laissait transparaître aucune émotion.

Il enfila une sorte de tunique noire, faite d’une pièce dans une matière étrange au toucher, semblable à du cuir. La texture était douce et granuleuse à la fois, le tissu semblait raide et solide mais devenait étonnamment souple lorsqu’il bougeait un membre. « Comme une armure, mais qui s’adapterait aux contraintes du corps » pensa-t-il. Il enfila les chaussures noires qui ressemblaient à de courtes bottes de sécurité, dotées d’épaisses semelles blanches crantées. Il ceignit la ceinture à sa taille, et remarqua qu’elle possédait elle aussi un bouton étrange sur le devant de la boucle en acier.

— Mettez votre capuche, et accrochez le Schröd, indiqua le soldat. Il pointa du doigt un coin de la ceinture qu'il venait de mettre. L’endroit, situé sur le flanc gauche, comportait juste une petite plaque noire en métal.

Dockman ramassa sa sacoche et prit le petit trident qui s’y trouvait. L’objet était glacial, mais léger comme de l’aluminium. Il l’approcha de la plaque rectangulaire de sa ceinture et celui-ci s’y aimanta instantanément, le surprenant par la vivacité du mouvement. Puis il prit sa capuche sombre et se couvrit lentement la tête avec.

Des sons lui parvinrent soudain aux oreilles, comme venu d’ailleurs. Infiniment faibles, mais discernables, il secoua la tête comme pour faire disparaître des parasites. Etrangement, lorsqu'il focalisa son attention à nouveau, elles revinrent aussitôt. Il se tourna vers l’homme en blanc mais celui-ci avait deviné sa gêne :

— Ne faites pas attention à cela. Nous approchons de la zone de Surface, et cela est lié. Votre concentration sera dehors votre survie, focalisez-vous sur l’instant.

La phrase de son interlocuteur à peine terminée, il réalisa qu’il n’entendait plus de nouveau les murmures. Il voulut répliquer mais brusquement, une faible secousse se fit ressentir. Ils étaient arrivés.

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