La zone de Surface
Les battants coulissèrent lentement. Dehors, tout était sombre. L’ascenseur, serti dans un amas rocheux difficilement discernable dans l'obscurité ambiante, donnait sur une clairière. Le cœur serré, il sortit précautionneusement. Le vent lui cingla le visage, et il sentit une matière froide et douce lui mouiller le visage : la neige tombait en tourbillonnant tout autour d’eux, transformant le paysage alentour en ombres et collines fantomatiques.
— Suivez-moi, et ne faites pas de bruit, murmura l’homme en uniforme.
Ils s’avancèrent alors en silence dans la clairière, et empruntèrent sur la gauche un chemin descendant, parsemé de grands arbres. Le vent s’intensifia tandis qu’ils cheminaient et Dockman se demanda si les conditions climatiques n’allaient pas compromettre leur évasion. Quelques instants plus tard, il s’approchèrent d’une haute clôture et l’Agent se retourna :
— Nous allons longer l’enceinte de Surface et atteindre la Porte C. Là-bas, il faudra être rapide. Vous ferez exactement ce que je vous dis.
Puis il fit volte-face et s’éloigna en petite foulée, tête baissée. Il lui emboîta le pas prestement et ils suivirent la longue et grande muraille sombre pendant un long moment. La neige se fit cinglante et les obligea à se recourber un peu plus pour se protéger le visage, mais elle couvrait de fait leur nocturne. Telles deux ombres furtives, l’évadé et son guide coururent ainsi parmi les arbres jusqu’à apercevoir une lumière diffuse au loin.
— Nous approchons ! souffla le soldat. Concentrez-vous. Le mauvais temps va nous protéger. Nous allons franchir le poste KerKa 3, il n’est pas équipé en raison de l’inaccessibilité du site, détailla-t-il presque mécaniquement.
— D’accord. Je vous suis.
Il s’avancèrent en silence vers les derniers arbres qui les abritaient et la lumière environnante leur permis de distinguer la grande porte de métal qui se dessinait dans la paroi immense de la clôture.
Deux tours grises percées de sombres ouvertures flanquaient l’ensemble et surveillaient le passage d’un œil morne. Ils sortirent furtivement du dernier bosquet qui les protégeait et s’approchèrent de la tour gauche.
Soudain, à peine avait-il parcouru les derniers mètres qui le séparaient des parois qu’il fut assailli de toute part de sons étrangers. Ils étaient plus forts que la fois précédente, plus stridents, plus agressifs. Paniqué, il agrippa l’épaule de son guide en grimaçant. L’Agent 2 se retourna brusquement :
— Concentrez-vous ! intima-t-il. Il vous cherche. Vous êtes relié et Il s’en sert. Vous ne devez pas céder, sinon Il vous trouvera !
— Mais enfin qu’est-ce que c’est que ces voix, ces sons…d’où viennent-ils ? Il s’accroupit sous l’effet de la multitude de sons, de paroles obscures, de murmures sifflants, rauques et étranges qui semblaient raconter milles choses à la fois.
— Ils viennent de la Source, reprit le soldat. C’est comme un flux d’information continu, qui vous est destiné. Votre uniforme est comme un récepteur, mais votre pensée en est le sélecteur de fréquence : vous pouvez choisir d’écouter ou pas ! martela-t-il. Alors focalisez votre volonté sur quelque chose qui vous calme, faites le vide !
Mais qu’est-ce qu’il raconte ? pensa Dockman, je suis avec un fou ou quoi ? Un sélecteur de fréquence…, moi ? Et la Source, de quoi parle-t-il donc à la fin ?
A ce moment précis, l’Agent attrapa son bras et le releva d’un coup sec. Le plaquant contre le mur sombre et froid de la tour. La lumière environnant la porte Kerka 3 s’était brusquement intensifiée, et cela ne présageait rien de bon.
— Ne bougez pas ! murmura-t-il. Puis il se faufila avec une aisance presque surréaliste, glissant tel un fantôme parmi les épais flocons de neige, vers la grande porte. Au bout de longues minutes, il revint d’entre les ombres.
— Venez ! Nous avons un passage. Restez concentré.
Dockman lui emboîta le pas prestement et n’entendit plus aucun son le parasiter. Dans un silence troublé seulement par quelques brusques rafales de vent entre les grands arbres noirs au loin, tout semblait se dérouler comme dans un songe. Ils arrivèrent à la hauteur de la Porte C. Immense, sombre et luisante sous la lumière des projecteurs dissimulés de part et d’autre, elle semblait infranchissable. Son guide semblait parfaitement savoir comment s’y prendre, et ils marchèrent le long tout en évitant scrupuleusement la zone éclairée. Ils atteignirent ainsi l’autre tour sans encombre. Là se trouvait, à peine visible, une petite porte dans l’encoignure gigantesque du bâtiment. La porte coulissa lorsqu'ils s'en approchèrent, et ils pénétrèrent dans la tour. A l'intérieur, une lumière orangée baignait une vaste pièce. Ils la traversèrent furtivement, et prirent un corridor qui les mena jusqu'à une autre porte. L'endroit était étrangement désert, aucun mobilier ne laissait présumer d'une quelconque surveillance humaine en ces lieux.
- Nous quittons la zone de Surface surveillée. J'ai désactivé le système de détection avant d'entrer, mais il nous reste que quelques minutes avant qu'il ne se réenclenche. Faites attention car la zone où nous entrons maintenant peut contenir des dangers que vous n'imaginez pas... Je vais vous mettre en sécurité, nous aviserons ensuite de la marche à suivre. Allez, dépêchons-nous ! Le soldat se détourna alors et se dirigea vers la porte qui glissa silencieusement sur le côté.
Ces paroles demeurèrent quelques instants dans l'esprit de Dockman. De nombreuses questions le taraudaient, mais il devait encore patienter avant d'en savoir plus. Il se faufila rapidement par l'ouverture, quittant enfin l'enceinte fortifiée mystérieuse.
Ils cheminèrent longtemps parmi les arbres hauts sous les bourrasques de neige. Il s'étonna encore une fois de ne pas souffrir du froid plus que de raison, et se demanda si son étonnant équipement y était pour quelque chose. Il souffrait en revanche de temps en temps à la tête, une séquelle probable des épreuves récentes endurées, le tout sans avoir avalé un solide repas et s'être reposé une seule fois. Après quelques temps, il entendit soudain s'exclamer :
- Nous y voilà !
Ils étaient arrivés à une vieille grange, à l'allure délabrée. Dans la nuit qui s'était installée, celle-ci paraissait abandonnée depuis longtemps et semblait même sur le point de s'effondrer. Se méprenant sur les intentions de son guide, Dockman l'interpella :
- Mais ça ne tient plus debout ! On ne va pas s'arrêta ici !
- Si...mais juste le temps de prendre quelque chose.
Il s'approcha alors de l'entrée et poussa les battants. A l'intérieur, le noir absolu régnait. Il continua et disparu.
- Hé ! Où êtes-vous ?
Seule une bourrasque de vent enneigée daigna lui répondre, le contraignant à s'abriter en faisant un pas à l'intérieur. Il ne distingua rien et regretta aussitôt de ne pas avoir sa torche. Une torche ! Il se rappela soudain que le petit trident - le Schröd comme l'avait appelé son mystérieux compagnon -, était en sa possession accroché à sa ceinture, et qu'il lui avait permis d'illuminer littéralement l'immense gare souterraine. Il porta la main pour s'en saisir et toucha le petit engin. Il était glacial. Il le détacha doucement mais rien ne se produisit. A ce moment précis un rugissement résonna au plus profond de la masure. Il sursauta et faillit en lâcher l'objet. Le bruit d'un gros moteur ronronnait à présent et emplissait la bâtisse. Il recula et cria :
- Oh, vous faites quoi là ? Où êtes-vous ?
Un phare puissant illumina l'intérieur de la grange et acheva de repoussa Dockman à l'extérieur. Puis d'un coup elle s'élança et sortit. Une énorme moto noire fit irruption dans la neige à peine éclairée par la lune. L'Agent 2, aux commandes du monstre, lui fit signe de monter. Revenu de sa frayeur, il grimpa prestement à l'arrière. Il aimanta son trident de nouveau à sa ceinture, et s'enquit :
- Où allons-nous ?
Quelques secondes s'écoulèrent avant que ne tombe la réponse, énigmatique :
- Chez toi.
Il mit aussitôt les gaz et la moto rugit, s'élançant à travers la piste à peine visible qui descendait sur le côté de la grange.
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