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Dans le train qui les ramenait à Calais, juste après l’arrêt à Audruicq, lequel épuisa un peu plus la rame de voyageurs, un jeune homme à la silhouette svelte et musclée se jeta à l’eau et avoua ses sentiments à celle qui lui faisait face. Les vacances estivales se profilaient et il craignait que cette période étiole leur relation.
La jeune femme aux iris bleu océan, similaires aux siens, aux cheveux blonds retenus en une queue de cheval accueillit la déclaration dans un silence gêné. Un ange… Deux anges... Trois anges passèrent avant qu’elle ne réagisse enfin.
— Je t’apprécie aussi, commença-t-elle en pesant ses mots. Mais …
Mais... ! Blessé par cette déconvenue, le jeune homme n’entendit pas la suite de la phrase et se retrancha dans une centaine de souvenirs agréables. Leur rencontre à la piscine universitaire. Leurs œillades discrètes. Leurs paroles maladroites. Leurs silences embarrassés. Leur rapprochement dans leurs cours communs. Leurs sorties entre amis puis en duo. La proposition de vivre en colocation à la rentrée prochaine. Sans oublier qu’à chaque fois que Marius croisait le regard de Marine, il éprouvait un sentiment de plénitude. A plusieurs reprises, il s’était surpris en songeant qu'il avait trouvé LA fille . S’il avait aimé auparavant, cela n’avait jamais été avec une telle intensité. Etait-ce ce que les poètes nommaient l’amour avec un grand A ?
— Marius ? le héla-t-elle en passant ses doigts fins devant son regard nébuleux. Je t’apprécie vraiment, sois-en sûre. Mais nous ne pouvons pas aller dans cette direction.
— Vraiment pas ? Enfin Marine, qu’est-ce qui nous en empêche ? Je pensais que … J’étais sûr que … Non laisse, se ravisa-t-il. J’ai dû me tromper. Je croyais que tu … Oublie ce que j’ai dit.
Un silence embarrassant s’installa entre les deux amis. La voix robotisée de la compagnie ferroviaire annonça : « Prochain arrêt – Calais, terminus de ce train. Avant de descendre, assurez-vous de ne rien oublier à bord. Lors de votre descente, prenez garde à l’intervalle entre le marchepied et le quai …» Marius expira bruyamment. La situation inconfortable qu’il avait lui-même créée allait prendre fin et il reléguerait ce souvenir dans la collection « râteaux – ne plus y penser » … jusqu’à la rentrée prochaine. Pendant ce temps, Marine pianotait vivement des messages, le regard rivé sur son cellulaire.
Une fois arrivé, Marius rassembla ses affaires. Navré mais non aigri par la situation, il libéra de l’espace bagage les deux énormes valises de son amie et l’aida à les porter jusque dans le hall de la gare. Les roulettes ne fonctionnaient plus, elles avaient subi un énième choc funeste dans les marches du métro lillois.
Marine délaissa sa discussion tapuscrite et rangea son téléphone dans la poche arrière de son jean.
Rassemblant son courage avant de s’enfuir, Marius dit :
— Passe de bonnes vacances… Salut.
— Attend ! le retint-elle. Je suis désolée. Vraiment désolée. Est-ce qu’une virée sur la côte d’Opale te plairait ? Disons dimanche en quinze ?
Marius devait se faire violence et répondre par la négative, pour sauvegarder son coeur fendillé. Surtout ne pas céder, ne pas accepter. Elle ne voulait pas de lui, d’accord, il fallait maintenant l’oublier, faire taire ses sentiments, prendre du recul. Surtout ne pas croiser son regard. Ne pas croiser...son...regard. Ne pas... Peine perdue, au moment de donner sa réponse, il se perdit dans le bleu océan et répondit :
— Ok, on se capte dimanche en quinze !
— Super. C’est cool. J’ai hâte !
Marine lui claqua une bise humide, qui le laissa penaud et fila hors de la gare en traînant ses valises.
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