Imola, Dimanche 1er Mai 1994

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Quelle personne réelle admirez-vous le plus ?


 Mon père, évidemment. Je ne vais pas commencer à expliquer pourquoi, ça prendrais des heures.

 Si je devais choisir une personnalité un peu plus connue que mon père, je choisirais sans hésitation son l'idole, devenue la mienne par héritage, et dont la personnalité a forcément infusé la sienne : Ayrton Senna, le plus grand pilote de tous les temps, mais avant tout un homme d'exception. Tempérament de feu, coeur généreux. L'injustice était ce qu'il haïssait le plus, et y être confronté pouvait le mener aux dernières extrémités. Dans un monde qui accepte toutes les oppressions sans broncher, il est parfois d'être animé d'une saine colère contre ce qui est mal.

 On se rappelle ces images incroyables de Spa-Francorchamps 92, où il s'arrêta en plein milieu de laa piste, s'extirpa de son cockpit, et courut comme un dératé entre les voitures pour secourir Erik Comas, inanimé dans ce qu'il restait de sa monoplace désintégrée.

 On se souvient malheureusement surtout de l'image déchirante de l'hélicoptère qui emmena sa dépouille au dessus dans le ciel de Saint-Marin, en cette journée maudite du 1er Mai 1994.

 Tout avait commencé lors de la journée d'essais du vendredi. Rubens Barrichello décolle sur un vibreur et s'écrase dans un mur de pneus à 210 km/h. Il est évacué, inconscient, au centre médical du circuit. Le lendemain, samedi, Roland Ratzenberger percute le mur de face, à 310 km/h, et meurt sur le coup. Senna pleure dans les bras de Sid Watkins, le médecin en chef du paddock, qui lui dit : « Ayrton, ne cours pas demain. Tu es triple champion du monde, tu es le pilote le plus rapide de l'histoire. Tu ferais mieux de te mettre à la pêche. » Senna lui répond qu'il est des choses sur lesquelles on a pas de contrôle, et qu'il doit continuer.


 Quelque chose de sombre traine sur le visage de Senna lorsqu'il sort de son motor-home le matin du dimanche 1er Mai. Tout le paddock porte le masque. On observe les oiseaux de mauvaise augure voler au dessus du circuit d'Imola.

 Quelques minutes avant le départ, Ayrton adresse un étrange message à Alain Prost, qui a pris sa retraite cette même année. Ils avaient été l'un pour l'autre les plus féroces ennemis, et s'étaient échangé pendant des années une haine réciproque, allant jusqu'à s'harponner en piste.

 Senna réalise alors un tour complet, filmé en caméra embarquée, et commente les particularités du circuit à l'attention des téléspectateurs. Il commence son tour en disant ces mots : « First, a special hello to my... our dear friend Alain. I miss you Alain. » Message de paix émouvant lorsqu'on sait que quelques minutes plus tard, le brésilien ne sera plus, que la dernière action d'Ayrton Senna avant de mourir fût d'enterrer la hache de guerre et que ses dernières paroles furent à l'endroit de son vieil ennemi,

 14H00 : un premier feu rouge s'allume au dessus des 28 cavaliers, retenant fébrilement leurss montures sur la ligne de départ. Un deuxième feu s'allume ; les chevaux montent dans les tours ; troisième feu ; quelques secondes pour s'observer ; quatrième feu ; la clameur des moteurs est à son comble. Le cinquième feu s'allume, 1, 2, 3, puis tous s'éteignent : c'est parti.

 Quelque chose cloche au fond de la grille. La Benetton de J.J. Letho n'a pas pris son envol. Elle aa calé. Heinz Harald Frentzen arrive derrière lui à pleine vitesse et parvient de peu à l'éviter. Pedro Lamy n'aura pas cette chance. Les débris des deux voitures sont propulsés dans les airs avec une puissance phénoménale, passent par dessus les grillages de sécurité et atterrissent dans les gradins, blessant un policier et trois spectateurs. Une roue s'écrase à quelques centimètres de l'un d'entre eux.

 Quelques instants plus tard, la camera se tourne brusquement sur la torpille bleue et blanche qui traverse l'écran comme l'éclair et percute le mur avec une violence inouïe. La F1 rebondit contre le béton qui la projette plusieurs centaines de mètres plus loin. Le pilote est immobile dans ce qu'il reste de la Williams. Le fameux casque jaune d'Ayrton Senna ne bouge plus. Personne n'est encore sur place, mais tout le monde sait que c'est sérieux.

 Les commissaires agitent les drapeaux rouges, la course est interrompue. Sid Watkins, l'ami d'Ayrton, arrive à la tête d'un bataillon de médecins qui commencent à s'affairer autour de l'épave. On sort le brésilien du cockpit et on l'allonge à même la piste. Il disparaît sous les médecins qui s'occupent de lui. Des centaines de milliers de spectateurs sont suspendus à leur télévision. Nous sommes des milliers, au chevet de notre héros, à nous mordre les lèvres d'angoisse en regardant les médecin avec impatience. Plus les minutes passent plus on sent qu'on s'éloigne d'une issue heureuse.

 Un hélicoptère se pose et on reprend espoir. Le soulagement est de courte durée. Les médecins soulèvent le pilote pour le porter dans l'hélicoptère, laissant apparaître la mare de sang qui imbibe l'asphalte d'une piste désormais souillée à jamais. Un frisson d'effroi nous parcourt tous. Même les commentateurs ont le souffle coupé par cette vision, et il leur faut quelques instants pour s'en remettre, alors qu'on voit l'hélicoptère nous ravir notre idole pour le porter à la tombe. Ce n'est pas pour le soigner qu'on le conduit à l'hôpital, mais pour signer son acte de décès. Mais ça, on ne le sait pas encore.


 Un second départ est donné, mais plus personne n'est là, ni les pilotes, ni les commentateurs, ni les spectateurs. On est tous ailleurs. Ca n'empêche pas le sort de continuer de s'acharner sur le weekend le plus noir de l'histoire de la Formule 1. La roue arrière droite de la Minardi de Michele Alboreto se détache lors de sa sortie des stands et fonce droit sur les garages, blessant deux mécaniciens de Ferrari et deux mécaniciens de Lotus sur son passage. Malgré cela, le directeur de course n'interrompra pas cette folie. On ira jusqu'au bout des 58 tours du Grand Prix, bien que deux pilotes (dont Erik Comas, qui doit la vie à Senna) se soient retirés de la course.

 Un certain Michael Schumacher passe enfin la ligne d'arrivée, mettant fin à cette course atroce. Les trois pilotes sur le podium ne touchent pas aux bouteilles de champagnes déposées à leurs pieds. La prochaine fois que ça arriverait, ce serait au terme du Grand Prix d'Italie, à Monza, un jour de Septembre 2001.

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