CHAPITRE VIII: PARTIE 3
— On savait déjà, qu’excepté un cœur similaire au nôtre, le reste des organes semblent fossilisés sans aucune fonction dans leur organisme. Sans parler de l’estomac ou des intestins carrément absents.
Le docteur Ruka marque une pause devant les membres de l’Ordre. Chacun d’eux, assis autour d’une table, m’observent. Certains, à la dérobée. D’autres, sans aucune gêne. Je reconnais Irina, la mère de Mellys, assise bien droite, mains à plat sur ses genoux. Jak est absent, ce qui me surprend. Un homme, d’apparence plus jeune que les autres, grand et recouvert de poils orange tressés, m’a assené d’entrée un regard antipathique. Sur la défensive, prêt à m’abattre au moins mouvement suspect de ma part. Deux autres hommes me sont inconnus. Tous semblent étonnés de mon manque de réactions agressives à leur égard. Ligotée à un poteau, racines immergées dans une eau fraîche, vivifiante, je recharge mes batteries en silence. Ruka cogne un bâton de fer sur le sol pour attirer de nouveau l’attention sur elle.
— J’ai pu observer un phénomène intéressant de bioluminescence le long de ses doigts et de ses lianes. Peu d’entre nous avait eu l’occasion d’en certifier l’existence, malgré quelques rares témoignages. La transformation de l’énergie chimique en énergie lumineuse occasionne toutefois une perte considérable de leur force. D’où son utilisation dans des cas d’urgence ou si le besoin se fait ressentir. L’état de faiblesse de Syl lors de l’examen…
— Syl ? l’interrompt un homme aux yeux étirés qui semblent dépourvus de paupières.
— Le prénom que Mellys a donné au sujet, rappelle Ruka. Un problème, Sing ?
Le jeune humain robuste aux airs d’orang-outan s’est levé de sa chaise, la renversant dans sa colère.
— Ouais ! On leur donne un petit nom et puis, après quoi ? Elle s’intègre ici et chante des berceuses à nos mômes avant de les endormir pour mieux les trucider ? J’en ai assez entendu, j’me casse ! Hors de question de pactiser avec l’ennemi.
— Mais, lui crie Ruka, on a enfin le moyen de mieux les connaître ! Comprendre ce qu’ils sont. Leur métabolisme est incroyable !
— Blablabla, sérieux, Ruka ? Non, mais tu t’es vue ? On dirait une gamine surexcitée en découvrant un nouveau jouet ! T’en pinces pour cette créature ou quoi ?
Les joues de Ruka s’empourprent. Cela fait ressortir sa tâche sur sa joue.
— J…je ne disposais que de cadavres jusqu’à présent ! se justifie-t-elle. Un spécimen vivant, c’est une aubaine !
Sujet, spécimen… C’est donc tout ce que j’inspire à cette femme qui se dit vouloir devenir mon amie ?
— Comptez pas sur moi sur ce coup ! persiste Sing. Un Marcheur…
— Sylvanos, corrige Irina, d’un ton las.
Elle ne se départ jamais de son air de sévérité, sauf en présence de Mellys. Intéressant.
— Marcheur ou Sylvanos, je m’en fous, rétorque Sing. Seule leur mort m’intéresse.
La main sur la poignée, la porte s’ouvre soudain sur Jak, sourcils épais froncés.
— À quoi vous jouez, bordel ? On vous entend à l’autre bout du couloir ! Sing, tu pars où comme ça ?
Le géant fait bien une tête de plus que le régent. Il le défie de toute sa hauteur, le menton relevé.
— Chasser. Ça pue le bois pourri, ici, lâche-t-il en reniflant dans ma direction.
Jak le retient par le bras alors que l’autre tente de forcer le chemin.
— Tu restes là ! exige-t-il d’une voix forte. Ce n’est pas le guerrier que j’ai invoqué dans cette assemblée, mais un des membres de l’Ordre ! Nous nous devons de respecter une impartialité à tout jugement rendu. Alors ta haine tu te la fourres où je pense et tu te rassois !
La mâchoire de Sing se contracte. Plus personne ne fait attention à moi. Ces êtres ne mesurent pas leur chance ; en à peine quelques secondes, tous baigneraient dans leur sang si l’envie me prenait. Je contemple la cime des arbres se balancer à travers la vitre d’une fenêtre protégée par des barreaux. Le vent souffle fort. Je regrette de ne pas le sentir fouetter mes lianes. Enfermée à l’intérieur de leur hôtel, je me dissocie de la nature. Et par conséquent, de ma propre nature.
Un bruit sourd me sort de mes pensées. Sing, le tueur de Sylvanos, vient de pousser son chef contre le battant de la porte.
— Désolé, Jak. Ce sera sans moi. Appelez-moi pour la faire flamber, sinon démerdez-vous.
— Sing, je t’ai donné un ordre ! rugit le régent, décontenancé.
L’homme part sans se retourner, le doigt du milieu de sa main bien en évidence vers son supérieur.
Jak soupire et claque la porte avec colère. Les autres membres le regardent avec une once de pitié. Ils ont l’air d’être habitués au caractère explosif de leur camarade.
— Je savais qu’en accueillant une des leurs, Sing péterait un câble, déclare-t-il. Bon, on fera donc sans lui. Ruka, poursuis ton exposé !
Le docteur replace une de ses mèches couleur du soleil derrière son oreille et examine ses notes.
— alors, euh, où j’en étais ?
— La bioluminescence, lui remémore l’homme aux yeux insolites.
— Ah oui, merci Malow. Donc, Syl – on va pas encore polémiquer sur la question de ce nom – s’est évanouie après l’avoir activé. Trop faible après deux jours passés dans une cellule obscure.
Deux journées ? Marébellion me coûte plus cher que prévu si je touche la mort en si peu de temps sans lumière.Je me focalise de nouveau sur le discours de mon amie.
— Cependant, alors que ses doigts dans les miens étincelaient d’une lueur bleue irisée, je l’ai sentie pénétrer mon esprit, comme si elle me sondait. Syl, c’est bien à cela que sert cette particularité propre à votre race ?
Tout le monde se tourne vers moi de concert. Ils attendent une réponse que j’hésite à leur soumettre. Que feront-ils de cette information par la suite ? Ma venue dans ces lieux ne dépendait que de Mellys et elle ne se trouve pas parmi dans cette salle. Je ne leur dois rien.
— Oui, consens-je à confirmer au bout d’un moment. Pour connaître personne, animal ou végétal. Communication par images.
J’omets de leur mentionner qu’elles me permettent aussi de me nourrir de leur énergie si je n’en ai pas d’autres à portée de main. Inutile de leur ajouter une nouvelle source de peur.
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