PARTITION XIII: partie 2

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Nous nous empressons de gagner la chambre de Diego. Un pressentiment m’envahit. Mon cœur cogne dans ma poitrine. De peur cette fois-ci, non de désir. L’heure n’est pas au batifolage. Nos appels à sa porte restent sans réponses. Je colle ma tête contre le battant puis me concentre. Un grognement à peine perceptible m’encourage à pénétrer à l’intérieur. Diego git sur le sol, devant son fauteuil. Sa canne à quelques pas de lui. Sans doute n’a-t-il pas pu la récupérer pour se relever. Caleb se penche sur son torse.

— Son cœur bat. Il est vivant !

Quelques minuscules taches de sang constellent le filet de bave au coin de sa bouche. Je le transporte dans mes branchages avec délicatesse jusqu’à la salle de soin.

Occupée à soigner Sing, inconscient, elle relève un visage agacé par notre interruption. Caleb et moi sommes certainement les deux personnes qu’elle souhaite le moins voir à cet instant, mais l’état de Diego l’enjoint à mettre de côté sa rancœur pour un temps.

— Qu’est-ce qu’il lui arrive ?

— On l’a trouvé évanoui dans sa chambre. Je suppose que sa dernière quinte l’a affaibli et qu’il n’a pas su se relever.

Nos flux chantent à l’unisson la détresse que nous ressentons tous face à la disparition prochaine du doyen d’Anjos. Le dernier humain ayant foulé la Terre avant le Cataclysme Vert. Ruka tourne un regard désolé vers moi.

— Dépose-le sur le lit.

Je couche le corps frêle sur le matelas usé situé sous la fenêtre. La pluie bat les carreaux de la vitre en un rythme soutenu.

— Mon ami, le ciel pleurer pour toi…

Une de ses paupières tressaute avant de s’entre-ouvrir.

— … suis pas encore mort… souffle-t-il dans un râle.

Ruka se précipite à son chevet et éclate en sanglots. Deux fois dans la même journée qu’elle déverse son chagrin. Son rire me manque, tout comme sa joie de vivre.

— Bien sûr que non, grand-père ! Tu vas te battre encore un peu ! déclame-t-elle.

Caleb, soulagé, s’adosse contre la porte en soupirant. Je le rejoins.

— Syl… journal enfin… achevé.

— Chut, repose-toi, exige le docteur. Vous en parlerez quand tu iras mieux. Je m’occupe de toi dès que j’en ai terminé avec Sing.

Elle pivote et nous regarde à tour de rôle. L’amertume l’enlaidit ; son âme resplendissante s’est ternie. Par ma faute. À mes côtés, Caleb ne bronche pas. Ses doigts cherchent les miens. Boum boum. Les trouvent. Ruka ravale ses larmes et retourne près de son patient.

— Vous pouvez partir, vous me gênez.

— Ruka…

— Laisse, m’exhorte le jeune homme. Elle a du travail.

Il ne comprend pas. Il ignore tout de notre rencontre matinale, mais je choisis de me taire, éloignant ainsi tout risque de maladresse. Ce n’est que dans le couloir que je réalise où il m’a amenée. Nous ne prononçons aucun mot lorsque nous entrons dans son antre personnel. D’une sobriété équivalente à la mienne, sa chambre a vue sur la cour. En bas, les végétaux attendent d’être récoltés ; des sacs à moitié remplis délaissés à cause de l’alerte. Les enfants semblaient si heureux de cette tâche et ce rêve s’est transformé en cauchemar. Je frappe mes doigts contre le mur. Un trou s’y dessine désormais.

— Pardon. Syl en colère.

— Pourquoi ?

Caleb caresse mon dos. Un frisson me traverse de part en part. Cependant, je ne quitte pas la cour des yeux.

— Pour tout. Moi devoir faire quelque chose… besoin réfléchir.

— Tu connais la façon de tuer ces créatures… ? murmure-t-il.

Je hausse les épaules.

— Le feu sûrement. Mais écorce plus épaisse que celle de Sylvanos. Moi pas vouloir tuer mon peuple. Roi seul ennemi.

Je sens les bras du jeune homme enlacer mon tronc. L’embrasser de chastes baisers. L’affliction de Ruka disparait de mon esprit. Seul compte cet humain au caractère revêche qui a volé mon cœur. Il me traîne jusqu’à son lit, m’allonge sur le dos et se positionne à califourchon sur moi.

— Là tout de suite, profitons de ce court répit pour nous reposer. Le sommeil porte conseil dit-on. Nous trouverons une solution. Mais avant…

Il inspire puis se penche sur moi et dépose ses lèvres sur les miennes. Nous ouvrons la bouche et nos langues s’enroulent l’une autour de l’autre. J’ignorais que ce petit organe servait à autre chose que parler. Une chaleur agréable submerge mon organisme. Jamais je n’ai éprouvé cela de mon existence entière. Il se redresse, retire ses habits avec précipitation. La boue séchée colle encore à ses cheveux et une partie de son visage, mais cela m’importe peu. Enfin nu, j’admire ses formes. Plus carrées et robustes que celles d’une femme. J’effleure la blessure de son bras. Il avait raison, ce n’est qu’une petite coupure. Ses yeux de jais me contemplent avant de m’embrasser. Encore. Encore.

La main de Caleb explore mon corps avec une bestialité déconcertante, bien loin de la douceur exquise de Ruka. Ne préfèrerait-t-il pas toucher le corps d’une humaine, souple et soyeux ? Il fouille la zone de mon bas-ventre et s’impatiente de ne trouver aucune cavité interne. D’un seul coup, il s’effondre sur le côté, pose un bras contre ma poitrine et ferme les paupières.

— Dormons…

Déconcertée par la vitesse à laquelle son désir impérieux s’éteint brutalement, j’observe son visage endormi en silence. Je l’ai déçu, je ne vois que cette explication. Il ne s’attendait pas à ce corps infertile tel que l’entendent les homo-sapiens. Si seulement, je ressemblais à la guérisseuse… Demain, il me faudra m’excuser auprès d’elle. Je ne regrette pas notre étreinte seulement ma gaucherie. Une douleur transperce ma poitrine telle une lame chauffée à blanc. Ma cicatrice brûle. Des cliquetis internes résonnent puis un bruit sourd. Ensuite, tout redevient calme. La souffrance a disparu. Que m’arrive-t-il ?

Les yeux tournés vers le plafond, je repose étendue à l’horizontal, position somme toute inconfortable : impression de déracinement complet, lien avec la terre et le ciel rompu. Pour cet homme, je ferai une exception. Alors que ma respiration se cale à ses ronflements, ma sève ralentit sa circulation. Trop. Une fatigue intense me foudroie. Mes paupières se ferment contre ma volonté. Je reconnais tous les signes d’une hibernation. Inconcevable ! Je ne peux lutter contre le phénomène et tente de prévenir mon compagnon, mais il ne se réveille pas. Ma conscience disparait derrière un voile obscur.

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