PARITION XIV : PARTIE 3
L’astre du jour décline, touchant de son cœur de feu la cime des arbres. Je ne crains pas de tomber sur les miens. En revanche, croiser la route d’un Flamboyant causerait ma perte.
Songer à mes amis me réconfortent. L’Ordre a déjà dû avoir connaissance de mon départ. Pardon de n’avoir pas su tenir ma promesse, Carlos. Néanmoins, je n’abandonnerai pas. À l’orée de la clairière parsemée de fleurs rouges, je réitère mon appel dans les airs et dans la terre. Sans sphère, le fil me rattachant à mon ancien compagnon est ténu, proche du résidu.
Je doute que cela fonctionne, et pourtant… Je l’aperçois se dégager derrière un large tronc de l’autre côté de notre terrain favori. Vierge du sang d’humains et de sève de Sylvanos. Notre havre de paix. Le revoir me comble de joie, ô combien différente de celle ressentie envers Mellys, Caleb ou Ruka, mais il est mon autre. Une note indissociable de la mienne.
Et je ne l’oublierai jamais.
Je sais qu’il en est de même pour lui lorsqu’il s’avance lentement à ma rencontre. La méfiance assourdit son chant. Autre chose, toutefois, a obscurci ses belles énergies émeraudes. Sa peau sombre, presque noircie, s’oppose à mon teint clair réséda.
Désormais, quelques petits mètres nous séparent. J’entame une danse connue de nous seuls. Ondule ma chevelure violine et mes courbes nouvelles. Son regard apathique semble peu à peu se ranimer. J’active ma bioluminescence ; celle-ci suit le trajet de ma sève et s’observe à présent à travers la finesse de ma peau. Il se joint à mon rituel corporel – la transmission de pensée entre nous dorénavant inaccessible – puis nous nous immobilisons. Nos iris luisantes nous aspirent l’un dans l’autre. Enfermés dans notre mutisme, nous frôlons nos membres avec douceur. Il étire le tissu qui me sert de robe puis l’arrache avant de me contempler. Entre fascination et dégout. Nous apprenons à nous redécouvrir. Il baisse les yeux lorsque je touche sa sphère vitreuse. Sa brillance d’antan s’est éteinte en même temps que la mienne.
Les ombres crépusculaires étendent leur territoire. Mellys doit s’inquiéter. Caleb m’en voudra-t-il d’être partie ? Je décide de briser le silence.
— Moi venir proposer trêve.
Il recule d’un pas. Ne saisit pas.
— Beaucoup de fusions, poursuis-je. Enfants de Roi nombreux alors que Sylvanos diminuent.
Cette fois, il me dévisage, effaré, jetant de rapides coups d’œil derrière lui. Son attitude me démontre à quel point mon intuition s’est révélée juste. Je tends une main vers lui. Un frisson l’enveloppe, mais il me laisse le toucher.
— Père détruire Sylvanos. Toi savoir pourquoi ?
Il secoue ses branchages rigides sur le sommet de crâne. Je resserre mon étreinte, rive mon front contre son orbe.
— Notre peuple avoir une origine humaine, susurré-je à la manière d’une berceuse. Nous mutants. Mais Roi haïr ça. Ses enfants, les Flamboyants, comptent plus que Sylvanos pour lui. Il recyclera vous.
Ses lèvres se déforment, un souffle s’exhale puis, enfin, il hulule des mots :
— Sacrifices prévus encore à prochaine lune pleine.
Sacrifice. Auparavant, il n’aurait jamais envisagé l’union sous cet angle ; preuve que les choses ont pris un véritable tournant.
— Et vous avoir peur…
Il hoche la tête, désemparé.
— Lien comme brisé, empoisonné. Après départ de toi.
Je relève son menton et fixe ses prunelles ocres.
— Moi m’appeler Syl, maintenant. Humains ont laissé vivre moi ; apprendre beaucoup avec eux. Paix possible. Eux éprouver terreur aussi. Roi vrai ennemi.
Je l’enlace de toutes mes forces. Il n’esquisse aucun mouvement en retour.
— Toi convaincre frères et sœurs de rejoindre camp humain. Pour se libérer de Père.
La demi-lune éclaire mon chemin. Je me fonds dans l’obscurité de la forêt à l’aide de mon camouflage, limitant les répercussions sonores de mes pas. D’après mon compagnon, les Flamboyants évitent de sillonner la région à la nuit tombée. Cependant, je ne préfère courir aucun risque. J’aperçois les montagnes au loin, les arbres se raréfient et j’atteins le haut grillage d’Anjos. Des armes pointées dans ma direction m’accueillent et l’alarme est déclenchée.
— Moi être Syl, leur crié-je.
La sentinelle cesse de sonner la cloche. Mais personne ne daigne m’ouvrir. La porte de l’hôtel claque soudain. Un homme fonce vers moi. Inutile de l’éclairer pour remarquer sa fureur. Ses flux chaotiques parlent pour lui.
— Putain, la Sylvanos ! Tout le monde te croyait morte à c’t’heure !
— Toi en colère.
Carlos serre ses poings avant de décocher l’un d’eux dans un poteau. Ce dernier ne vacille pas. Le garde grimace.
— N…Nom de… Bordel, bien sûr que je suis en colère ! T’imagines pas la branlée que Jak m’a réservé !
Je l’examine derrière le grillage. Un œil gonflé, à demi-fermé.
— Désolée. Moi aller tout expliquer à Jak.
— Vaut mieux pour toi… J’te préviens, il est furax. Et me demande plus jamais rien, pigé ?
— Pigé.
Carlos virevolte et ordonne l’ouverture des grilles. Il disparaît ensuite dans l’enceinte d’Anjos. Je ne tarde pas à le suivre afin d’affronter le jugement du régent.
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