PARTITION XV : déchant ravageur au chœur écarlate

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Les jours qui succèdent à mon initiation charnelle se nimbent d’un voile cotonneux que je peine à déchirer. Sourire niais figé, remerciements mal appropriés face à quelques blagues douteuses à mon sujet, refus de m’aventurer hors d’Anjos, les rumeurs vont bon train sur ce qui m’est arrivé. Mellys et Jak l’ont deviné sans difficulté. Ruka aussi. Mais si les premiers m’envoient des clins d’œil intempestifs et des encouragements muets, mon amie m’esquive à la moindre occasion. Son air triste pèse sur mon âme et contribue à dissiper mon état second. Quant au principal intéressé, il passe le plus clair de son temps en compagnie de Sing et de Malow. Ses visites dans ma chambre se font plus rares, mais je n’y accorde pas d’importance ; après tout, j’ignore la façon de me comporter dans une telle situation. Parler de « couple » me semble prématuré, voire exagéré. Caleb préfère que notre union demeure secrète. Il craint en effet les moqueries : un humain se liant à une Sylvanos ? Sacrilège ! Je respecte son choix, mais parfois la sensation impérieuse d’être auprès de lui, de le toucher me submerge. J’ai eu le malheur de l’enlacer une fois en public ; son regard noir m’a dissuadé de recommencer. Une leçon difficile à appréhender. Heureusement, Mellys me soutient. Je me confie à elle sans ambages et, malgré son jeune âge, ses conseils m’apportent une certaine paix. Je passe beaucoup de temps avec elle et son petit protégé.

— Tu es trop jolie, me complimente Rio d’un air timide en se trémoussant.

Désormais, une robe longue fendu à mi-cuisse, couleur de la terre, me couvre en permanence. Je lui ébouriffe sa tignasse emmêlée ; ce geste affectueux semble le ravir.

— Merci, petit Rio. Toi aussi, très mignon !

Il saute dans mes bras et je le fais voltiger. Nos rires se confondent et résonnent dans le sanctuaire des sources.

— Rio, viens te laver ! s’écrie une voix de femme.

Je redépose l’enfant sur le sol. Il embrasse ma joue avant de rejoindre sa mère dans la salle des bains. Depuis ma transformation, elle accepte peu à peu notre amitié tout en conservant une certaine froideur à mon égard. Son instinct de protection reste le plus fort, je ne peux lui en vouloir.

Je récupère un seau près de la source principale, me penche et le remplit d’eau. Puis je transferts le liquide dans un baril destiné à subir une purification avant d’être distribué en rations à tous les habitants. Mon travail consiste à transporter ces fûts à l’étage. Ma force me procure l’avantage d’avoir ainsi soulagé nombre de porteurs et porteuses.

— Syl !

Mon regard converge vers l’entrée de la cavité. L’aînée des porteuses pousse devant elle un baril vide. Son âge ne lui permet hélas plus de soulever des charges lourdes sans se bloquer le dos alors elle se contente de ramener les tonneaux désemplis. Elle continue ainsi à participer aux taches communautaires sans ressentir d’exclusion.

— Irina te convoque dans la salle du conseil. L’Ordre s’est réuni.

Mon expression devient grave. Le rendez-vous avec mon compagnon est prévu demain à la nuit tombée. Les humains comptent sur moi, en particulier Jak. Or, en cas d’échec, je n’ai plus de solutions à leur proposer.

— Pas terminé travail.

La femme pose une main sur mon bras et me sourit avec bienveillance. Recluse dans ces souterrains depuis une éternité, sa peau pâle et lisse conserve une étonnante jeunesse. Le contraste avec sa chevelure d’argent en est d’autant plus saisissant. Baba – de son prénom Banetta – ne m’a jamais reproché quoi que ce soit jusqu’à présent.

— Tu as plus important à faire. Laisse, je prends le relais.

Sa gentillesse m’émeut. Elle cherche à me délester de mon fardeau, mais, à ses mains tremblantes et à ses doigts déformés par la vieillesse, je tiens fermement le baril dans mes bras.

— Moi en profiter pour ramener ça en haut. Déjà rempli.

Ses iris sombres s’éclaircissent. D’autres porteurs nous observent en silence, à l’affût.

— Tu es une gentille personne, Syl, admet la vieille dame à haute voix. Plus humaine que certains de mes congénères. Allez, va !

J’acquiesce, puis quitte les sources, la précieuse cargaison sur mon épaule.

Une fois déposée dans la réserve destinée à stocker les provisions, je monte les marches en quatrième vitesse. Plus haut, à proximité de la sortie, Malow discute à voix basse avec Caleb. Sa vue provoque en moi une explosion de plaisir, mais, très vite, je ralentis ma marche, mitigée entre l’enlacer ou l’ignorer. Son chant me perturbe ; il diffuse une énergie emplie de nervosité, un bouillonnement confus. De l’anxiété ? Je ne cherche pas à écouter leur conversation. Plus depuis que Jak m’a sermonné sur la malséance de cet acte après lui avoir rapporté des propos confidentiels et intimes sur un couple. Ils s’apprêtaient à concevoir un enfant sans l’accord de l’Ordre au préalable ; démarche jugée répréhensible : de l’équilibre du nombre d’humains dépendait leur survie à tous. Mais malgré ma bonne intention, je fus réprimandée…(voir si en parler plus tôt)

J’atteignis leur étage en quelques bonds.

— Salut, vous ! m’écrié-je.

Ils sursautent et me dévisage de concert. L’ingénieur m’envoie un signe de la main avant de s’éclipser sans un mot. Est-il si pressé de rejoindre le conseil qu’il ne veuille me parler ? Je rejoins mon cher ami. Ses tentatives pour dissimuler son trouble échouent. Il me séduit avec un sourire crispé. Je l’embrasse avec douceur dans l’optique d’adoucir ses tracas. Ses lèvres n’ont pas le même goût.

— Un problème ? lui susurré-je.

Il fronce les sourcils, fuit mon regard.

— Non, pas du tout ! Occupe-toi de tes oignons, putain ! rétorque-t-il, agacé.

Sa réaction me blesse. Distante, je recule d’un pas, puis pousse la porte de l’aile du bâtiment affecté à l’Ordre.

— Attends !

Il saisit ma main. Me force à me retourner.

— Désolé, OK ? Je… Malow m’a stressé. C’est pas une excuse, je sais.

— …

Son aura s’entache de flux grisâtres. Je ne sais que penser de ses remords.

— Syl, je…

Il se tait. Sa main se tend vers mon visage impassible, le caresse. Je ferme les yeux. M’enivre de ses attentions. Elles sonnent faux. Mes paupières s’ouvrent sur un Caleb contrit.

— Jak et autres attendre moi, déclaré-je soudain.

Mes pas nous éloignent l’un de l’autre et mon cœur se serre.

Il ne me rattrape pas.

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