Périple de Magellan
Journal de bord d’Arliden Curano Trisitien
Le 30 mars 1556
Nous n'étions maintenant plus que dix-huit à avoir survécu parmi les quelques deux-cent-trente-sept hommes de la flotte du capitaine Magellan. Lui-même perdit la vie aux mains des Philippin, uite à une attaque d’archers. J’embarquais alors avec le reste de l’équipage sur la Victoria, une caraque encore bien conservée pour nous assurer la suite du voyage vers les Moluques. Les vivres étaient moindres et dans un état pitoyable, dans notre hâte nous n’avions pas pu réaménager un stock de nourriture plus convenable. Sans parler des vêtements, des cordages, des portulans et autres accessoires qui étaient, soit trempés et rongés par les vers ou rouillés, soit manquants.
L’équipage était tout aussi miséreux. Les maladies rendaient notre corps sanguinolant, avec des gencives qui ne tenaient plus nos dents et la bouche pleine de sang et de surcroît les vers qui, une fois nos chemises trop entamées, s’attaquaient à notre peau pour nous grignoter lentement.
Voir nos camarades tomber soudainement sans se relever, devoir les balancer à la mer, ça aussi n’égayait pas notre humeur déjà amère. C’est dans de telles conditions que nous continuâmes notre avancée sur l’océan Pacifique à bord de la Victoria.
Il fallait naviguer jusqu’aux Indes afin de découvrir l’Épicerie et la ramener en Espagne pour pouvoir ravir sa Majesté de notre exploit. Nous avions navigué en longeant les littoraux, faisant halte à Bahia de santa Lucia, rio de Solis, Puerto San Julian, puis Capo Virginies. C’était le vingt-et-un octobre 1520. Vint alors un moment crucial de notre traversée. Nous avions subi des révoltes et des soulèvements dramatiques au sein de l’équipage, et étions restés de longs mois sans reprendre la mer. Toute la flotte était éprouvée : il ne restait plus que trois bateaux sur cinq. Nous avions fait des découvertes comme Tierra de los Fuegos que le capitaine Magellan avait lui-même baptisée dû aux feux que l’on pouvait distinguer sur les rives. Ce fut le mercredi vingt-huit novembre que nous passâmes le Cap Deseado et le détroit de Magellan, qui nous ouvrait enfin les larges portes du Pacifique.
Nous voguâmes alors vers l’endroit où la mort nous attendait. Elle nous avait suivis tout le long du voyage, mais hélas, sa prochaine victime était le capitaine alors que nous arrivions sur l’ile Mectan aux Philippines.
Nous avions suivi les étoiles grâce à nos instruments maritimes tel que l’astrolabe ou encore la boussole. Les vents étaient avec nous pour nous mener vers les Indes, pays des épices tant convoitées. Mais avant d’avoir pu fouler du pied et empocher notre butin, notre capitaine et une majeure partie de la flotte avaient péri par le fer, par la mer ou par les vers. La science ne nous avait pas épargnés pour autant. Même les divers instruments à la pointe du progrès ne nous protégeait pas de la mort, mais nous continuions le voyage suivant aveuglément l’aiguille toujours tournante de la boussole déjà branlante. Nous étions quand même parvenus à emporter quelques épices et autres richesses du vaste monde. Nous fîmes halte au Cap-Vert, plein d’espoir de retrouver notre maison mère, l’Espagne, dans peu de temps.
Bien que l’île soit sous le joug des Portugais, l’on jeta l’encre, car tout notre petit effectif était mort de faim et la maladie s’était attaquée à moi aussi me faisant saigner des gencives à mon tour. Nous décrétâmes aux autorités locales que nous venions d’Amérique, mais l’un de nous échangea du riz contre du clou de girofle, et les Portugais découvrirent nos origines. Les Portugais nous confisquèrent notre denrée si durement obtenue, en nous rétorquant que seul eux pouvait détenir l’Épicerie. Nous prîmes la fuite, et après de longs jours de famine, nous accostâmes. Nous étions le seul reste du prestigieux équipage du capitaine Magellan : dix-huit hommes blafards qui avaient fait le tour du monde. J’écris ces lignes en souvenir de ce voyage difficile, alors âgé de cinquante-six ans et attendant patiemment la mort. Vie d’un marin espagnol, Arliden Curano Trisitien, dernière page de mon journal de bord ayant pris l’eau.
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